Questions, opinions, débats

Passer à l’avenirLe rôle des normes et des horizons d’attente[Notice]

  • Paul Claval

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Je commençais, il y a vingt-cinq ans, à m’intéresser à la dimension culturelle des faits géographiques. Nous en parlions avec Marcel Bélanger, hélas trop tôt disparu, un jour où il me faisait visiter sa maison de Saint-Malachie. Je lui exposai ce que je faisais. Il réagit en me disant : Ce fut pour moi une révélation : je n’ai pas cessé de m’interroger depuis sur le rôle que tient la prise en compte du futur dans les cultures que nous vivons et mettons en oeuvre. J’avais une conception néopositiviste du temps : le passé comptait par l’héritage qu’il laissait aux générations présentes ; l’actualité était vécue sur le mode d’une expérience aux mille facettes ; le futur entrait dans les catégories du rêve et de l’imaginaire. Pour expliquer le monde, c’était le présent qui comptait surtout ; le futur était négligeable (figure 1). Ce que m’a appris Marcel Bélanger, c’est que dans le domaine culturel, les projets élaborés par les individus tiennent une place essentielle : les éléments forment un tout dans la mesure où ils vont dans le sens des aspirations qui dominent la vie des individus et des groupes. Le passé n’est pas seulement une histoire qui laisse des héritages : en tant que mémoire, il est incorporé dans la trame des êtres, cependant que les objets qu’il laisse et qui participent à l’univers des significations vécues appartiennent au patrimoine. Le futur n’est plus seulement le domaine de la gratuité et du rêve : c’est en son sein que l’on découvre les au-delàs qui font comprendre la vie. Dans la perspective néopositiviste, centrée sur le présent, la question de l’identité ne se posait pas ; elle devient essentielle dans l’étude des cultures lorsqu’on les comprend comme des ensembles dynamiques cimentés par le sens donné à l’existence. Les géographes s’attachaient à la description des régions : ils se penchent sur les lieux ou les territoires qui participent à la construction des identités (figure 2). C’est pourquoi la prise en compte de la dimension projective de la culture entraîne une rupture profonde dans les façons de concevoir notre discipline. Nous avons besoin de connaissances, de savoir-faire, de techniques et d’outils pour développer notre prise sur le monde, exploiter ses ressources, produire notre nourriture, construire nos demeures, aménager nos réseaux ; il nous faut des moyens pour communiquer avec les autres hommes, fonder des familles et bâtir des organisations sociales plus larges ; mais cela ne saurait nous suffire : de grandes questions se posent, auxquelles il est indispensable de trouver des réponses. Les hommes cherchent à comprendre la nature qui les entoure et le rythme des saisons qui assure le succès des cultures qu’ils pratiquent ; pourquoi y a-t-il aussi des moments où les cieux se déchaînent et où l’environnement devient hostile ? Tous les hommes sont-ils semblables ? Auxquels peut-on faire confiance ? Pourquoi notre présence en ce monde ? A-t-il été fait pour nous, ou nous est-il fondamentalement étranger et hostile ? Tous les hommes ne formulent pas de la même manière ces questions, mais d’une manière ou d’une autre, ils se les posent. Ils ont besoin, pour y répondre, de perspectives qui leur révèlent ce qu’est la nature, ce que sont les hommes et ce que représente leur présence dans le cosmos. Ils ne peuvent les découvrir que par un mouvement de l’esprit qui les met à distance du réel, le leur présente avec du recul et leur révèle les forces qui y sont à l’oeuvre, celles qui sont bonnes comme celles qui sont mauvaises (Eliade, 1965a ; 1969 ; Claval, 1984 et 2007). C’est dans la …

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