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L’ouvrage produit par Sylvie Blangy est le fruit d’une thèse rédigée et soutenue sur la base des travaux de terrain issus, pour la plupart, de consultations antérieures et d’échanges dans 20 ateliers organisés avec des communautés indigènes, essentiellement d’Europe et du Canada.

Le livre s’organise autour de six chapitres d’inégales longueurs recensant l’état des lieux du tourisme autochtone (TA) et la situation de peuples autochtones dans le monde (chap. I). Il décrit en outre trois grands groupes culturels autochtones : les Cris, les Inuit et les Saamis (chap. II). La méthodologie est présentée dans une étroite fenêtre de 35 pages (chap. III) avec des redites ultérieures. Ensuite, l’auteure s’oriente vers la mise en place des partenariats de recherche dans les communautés nordiques en utilisant le cycle de vie des projets (chap. IV). Le chapitre V reprend en partie un guide des destinations indigènes publié par l’auteure en 2006, avec une focalisation sur un site Internet dont le chapitre VI du livre s’emploie à procurer 66 réponses aux 42 questions en ligne. Toutes ces investigations autorisent Blangy à conclure, à partir de l’exploration de nouvelles théories sur les peuples autochtones, que les technologies de l'information et de la communication (TIC), le Web 2.0 (p. 20, 427…) et les réseaux sociaux sont des outils pertinents recelant un potentiel énorme permettant de conduire des télérecherches collaboratives et participatives avec un ou plusieurs réseaux de chercheurs, autochtones ou non. Le tourisme, grand axe de l’ouvrage, peut apparaître comme un vecteur de reconstruction et de restructuration de toute société culturelle autochtone en mal de reconquête identitaire (p. 42). L’étude ne s’est focalisée que sur les cas observés en Occident, mais cela vaut autant pour les Aborigènes (Australie) et les Saamis (Scandinavie) que les Pygmées (Cameroun) ou les Maasaïs (Kenya).

Le mérite de l’auteure est d’avoir su puiser dans ses expériences antérieures de consultante pour bâtir une recherche collaborative tant désirée de nos jours sur les cinq continents dans ce siècle dédié au développement durable. En effet, en Afrique, en Europe, en Amérique, en Asie ou en Océanie, les méthodes de recherche participative et collaborative basées sur les savoirs locaux et les savoir-faire ancestraux ont été développées sous plusieurs formes et dépendent des contextes dans lesquels peuvent s’appliquer des systèmes d’analyse sociale. Ces systèmes associent efficacement tous les 12 outils / techniques de la méthode accélérée de recherche participative (MARP) largement utilisés par Borrini-Feyerabend (1996-2012), et le questionnaire coconstructiviste de la résilience des paysages conçu par la Community Development Knowledge Management for the Satoyama Initiative (COMDEKS) depuis 2010. COMDEKS vise à maintenir, reconstruire et revitaliser les paysages terrestres (landscapes) et marins (seascapes) de production socioécologique (socio ecological productionlandscape [SEPL]) pour la conservation de la biodiversité, tout en répondant aux besoins socioéconomiques des communautés locales et en leur procurant des moyens de subsistance comme le tourisme. L’évaluation de la résilience de paysages par COMDEKS s’appuie essentiellement sur 20 questions dont les scores fournis par les populations locales donnent lieu aux diagrammes identiques à ceux utilisés par Sylvie Blangy dans l’ouvrage (p. 237 et suivantes).

Ces méthodes de recherche en sciences sociales originales et mixtes (qualitatives et quantitatives, p. 227) facilitent la triangulation des résultats et produisent souvent des résultats de recherche de qualité supérieure aux méthodes uniques (Johnson et Onwuegbuzie, 2004). En outre, elles enrichissent l’analyse et la compréhension des données produites de telle manière que le projet de recherche y gagne en profondeur et en solidité (Creswell, 2009). Certes, tel qu’il est rédigé, l’ouvrage amène le lecteur à répondre par l’affirmative à deux questions : le tourisme autochtone peut-il être un outil au service de la reconquête culturelle et identitaire des peuples autochtones et d’une meilleure gestion de leurs territoires et de leurs ressources ? La recherche-action participative et les technologies de l’information et de la communication peuvent-elles contribuer à un meilleur engagement dans les projets touristiques et générer de nouvelles formes de collaboration entre chercheurs et experts autochtones à distance (p. 12) ?

Si trois hypothèses sont émises (p. 12-13), tout n’est pas dit, cependant. Il manque des exemples, photos et graphiques illustrant la situation en Afrique (Maasaïs et Pygmées) ou en Amérique latine (Indiens), avec le paradoxe de la marginalisation, de la chosification ou de l’exclusion des communautés autochtones parfois condamnées à disparaître. Ainsi en est-il du problème posé par Kibicho (2007) qui fustige une création d'aires protégées dans l’ignorance volontaire des conséquences sur les communautés locales ou autochtones vivant en symbiose avec la nature. La contestation qui en résulte n’est que trop justifiée. Elle conduit l’auteur à analyser comment le concept de durabilité peut être appliqué au tourisme de safari dans le pays maasaï. L’évaluation du tourisme communautaire réalisé au Kenya ressemble au modèle proposé par Blangy à Eeyou Istchee, au Québec, et à Moose Factory, en Ontario.

Néanmoins, en plus de la richesse des sujets, l’ouvrage de Blangy a le mérite d’être pluridisciplinaire par les thèmes traités. Il mérite de rejoindre des publications et recherches à lire sur l’identité culturelle, la reconquête identitaire et la préservation de la culture (p. 42), le tourisme autochtone versus communautaire, la réduction de la pauvreté et la résilience du paysage (51-53). Sont abordés de façon stimulante la perception du territoire et de ses ressources (p. 567) avec le dilemme communautés / extraction minière ou communautés / tourisme (Amérique latine, Afrique, Canada), la diversification du développement économique dans les communautés indigènes ainsi que le rôle des TIC et du Web 2.0.

Bref, bien que très répétitif, l’ouvrage de Sylvie Blangy façonne l’opinion de tout lecteur averti, d’où qu’il soit, et l’amène à vivre ou à tenter l’expérience en territoire autochtone. Il invite à quitter les préjugés sur ces peuples pour partager leur culture, s’en enrichir et apprécier leur mode de vie. Car les tentatives de mise en place des projets de développement touristique dans ces milieux par les gouvernements et les organisations sans l’implication des populations autochtones et sans la prise en compte de leurs aspirations se solderont toujours par des échecs ou des contestations, et par leur réduction à la dépendance.