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Cet ouvrage sur la coopération intercommunale propose une approche renouvelée de cette spécificité française. Servant de substitut aux fusions municipales, l’intercommunalité française s’est démultipliée à travers l’accumulation de statuts juridiques et de structures développées par les élus locaux. En 1999, la loi dite Chevènement, relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, a réduit à trois les formules de coopération (communautés de communes, d’agglomérations et urbaines), et refondé les pratiques et les enjeux de la coopération intercommunale. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’ouvrage dirigé par Rémy Le Saout et François Madoré. Autour d’eux, douze chercheurs d’horizons disciplinaires différents (géographie, sociologie, science politique et économie) interrogent le modèle français de l’intercommunalité, non par les dispositifs en tant que tels, mais par leurs effets, c’est-à-dire leurs conséquences sur l’action publique locale. Ce parti pris permet à ces auteurs de se dégager d’une optique d’évaluation de l’efficacité économique de la réforme pour porter une attention particulière à la manière dont les territoires s’en saisissent.

Cinq grands thèmes sont abordés à travers onze contributions. En termes de pouvoir politique local, l’intercommunalité semble mener à la concentration et à la «sur-sélection» des dirigeants territoriaux, et interroge de façon pressante l’élection au suffrage universel des représentants intercommunaux. Les effets économiques et fiscaux sont liés à la généralisation de la fiscalité propre aux instances intercommunales, qui lèvent désormais la taxe professionnelle unique sur leurs territoires. Si cela a permis de réduire la concurrence entre communes pour l’implantation d’activités économiques, il reste plusieurs incertitudes concernant la concurrence avec les autres territoires, ainsi que sur la manière dont la gestion locale s’articulera avec ce pouvoir fiscal intercommunal. Le troisième thème, jusqu’alors peu traité dans les travaux universitaires, aborde la question des personnels des établissements publics de coopération intercommunale. Leur arrimage aux structures communales soulève des enjeux bureaucratiques et organisationnels cruciaux. À partir de la culture, de la planification urbaine et de l’habitat, trois auteurs discutent, dans la quatrième partie, de la transformation de l’action publique territoriale. Enfin, la dernière section de l’ouvrage est consacrée à la recomposition des territoires à partir de l’affirmation de cet échelon intercommunal.

Cette approche par les effets paraît féconde pour s’extraire d’une réflexion limitée à la question de l’efficacité des réformes. Elle met en garde contre toute généralisation hâtive à la fois des effets de la réforme et des effets sur les systèmes locaux. Pour le lecteur québécois, ces cinq angles constituent des axes de recherche enthousiasmants pour questionner les récentes réorganisations municipales territoriales, qui nécessitent aussi de dépasser un questionnement en forme d’évaluation économico-centrée. Néanmoins, on pourra regretter qu’il n’y ait pas de montée en transversalité. Au-delà de la qualité intrinsèque de chacun des chapitres, l’occasion n’a pas été saisie d’entreprendre un exercice collectif de décodage plus général de l’intercommunalité. Or, sans cet effort, la compréhension du phénomène intercommunal reste hypothéquée par des regards sectoriels. De plus, cette juxtaposition disciplinaire a tendance à favoriser une surévaluation du changement par un effet lampadaire.