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Ces trois auteurs font oeuvre commune depuis longtemps en concentrant leurs recherches sur la reconversion industrielle de Montréal, d’une part, et, depuis quelques années, sur l’innovation sociale. Pour cet ouvrage, si le nom de Diane-Gabrielle Tremblay paraît en premier, alors que l’usage veut que l’ordre alphabétique domine, c’est que, de toute évidence, elle en est la cheville ouvrière. Très prolifique, dans l’édition de 2009, celle qui est toujours professeure à la Télé-université du Québec (TÉLUQ) avait rempli une page complète de ses ouvrages « récents ». À peine sept ans plus tard, le lecteur s’en voit offrir cette fois deux pleines pages. Alors, comme on le devine, l’ouvrage n’a pas été écrit d’un trait, beaucoup s’en faudrait, car plusieurs chapitres renvoient le lecteur à une version antérieure déjà parue dans d’autres ouvrages ou dans des revues scientifiques. Bien sûr, pour les références bibliographiques, certaines mises à jour ne manquent pas même si, très souvent, elles ne font que de la « figuration » en s’ajoutant aux anciennes à la fin d’un paragraphe issu de la première édition. Les nombreux renvois à la faveur de multiples autocitations font comprendre que, en la matière, on n’est jamais mieux cité que par soi-même. En fait, on ne peut dire qu’on est ici en présence, comme le veut l’usage, d’une version revisitée et augmentée. Car, mis à part l’ajout du chapitre XI, tout le reste est identique à la première édition, je dirais dans une proportion de 95 %, avec les mêmes travers, telles des répétions à l’avenant.

Dans un premier chapitre intitulé « Initiative locale et développement territorial », les auteurs précisent que l’approche sociale à laquelle ils se rapportent prend appui sur des travaux où le territoire local représente un cadre générateur de liens sociaux et d’action collective à l’intérieur des mouvements sociaux. On y présente un modèle où la concertation se conjugue avec les initiatives locales, la mobilisation des ressources et la conscience territoriale. Le terrain se trouve ainsi pavé pour bien définir ce que recouvre le concept de développement local (DL). On retrouve donc dans le chapitre suivant ce que Tremblay et Fontan avaient décrit dans un ouvrage paru il y a 22 ans : la différence entre le DL de type « progressiste » et le DL de type « libéral ». Le premier, la tasse de thé de Fontan, correspond à ce qu’on désignait, dans les années 1970, comme étant le développement communautaire. C’est une forme de DL marquée par un fort préjugé en faveur des formes économiques « alternatives », ou non traditionnelles, que sont les coopératives et les organismes sans but lucratif. En distinction, voire en opposition, le DL de type « libéral » se rapporte au modèle dominant d’entrepreneuriat, soit celui qu’incarne l’entrepreneur privé.

Le chapitre III, « Les initiatives de développement local et l’économie sociale », est, à n’en pas douter, l’oeuvre de Fontan même si l’on n’y trouve que deux citations de lui-même. On doit lui savoir gré de ne pas tout idéaliser en n’occultant pas le piège dans lequel peuvent se prendre l’économie sociale et ses partisans en étant coincés entre la manipulation étatique et l’économie de la pauvreté.

On doit le chapitre IV vraisemblablement à Tremblay à en juger par le nombre (22) d’autocitations, soit quatre de plus que dans l’édition précédente. On retrouve ici ce qui fut longtemps la spécialité de ma collègue de la TÉLUQ : les systèmes de production locaux, les districts industriels, les grappes et autres milieux innovateurs. Oui, comme l’écrit l’auteure, ces questions continuent de faire couler beaucoup d’encre. À ses yeux, les compétences doivent compter parmi les facteurs qui contribuent à la performance des entreprises d’un système de production local (SPL) ou d’une grappe. Cependant, elle juge utile la mise en garde suivante : éviter que les initiatives en faveur des clusters ou autres grappes se transforment en recettes magiques pour faire face aux défis posés par la nouvelle économie au point de devenir dangereusement à la mode.

Le chapitre V sur la cité créative et le district culturel s’avère, à mon avis, l’un des plus intéressants, même si son contenu n’est pas nouveau. Il s’agit ici, pour l’essentiel, d’une présentation de la thèse de Richard Florida qui postule que les entreprises – surtout de haute technologie – subissent l’attrait d’une catégorie particulière d’individus auxquels s’accole l’étiquette « classe créative ». Cette dernière comprend des artistes qualifiés de bohémiens ainsi que des scientifiques (ingénieurs, informaticiens, professeurs, etc.). On le sait, le gourou américain installé à Toronto propose son creative index qui comprend trois « T » : talent, tolérance et technologie, autant d’ingrédients susceptibles de favoriser des emplois de qualité. Une sous-section consacrée aux principales critiques de la thèse de la « classe créative » confère à ce chapitre un intérêt indéniable.

Après un chapitre sur l’innovation socioterritoriale, probablement attribuable à Fontan, on se voit offrir l’un des plus beaux exemples de reconversion industrielle qu’on puisse trouver au Québec : le technopôle Angus. Situé dans l’est de Montréal, sur le site du Canadien Pacifique très florissant jusqu’au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ce qui est devenu un technopôle par suite d’une forte implication du milieu arborait à son blason pas moins d’une quarantaine d’entreprises, donnant lieu à plus de 2000 emplois associés en grande partie au DL de type « libéral ».L’institut de cardiologie fait bon ménage avec un fabricant de sushis et une pizzeria. Le récit du rôle exercé par la Corporation de développement économique et communautaire (CDEC) Rosemont–Petite-Patrie permet de comprendre ô combien pouvait s’avérer précieux ce type d’organisme à l’échelon d’un quartier.

Dans des chapitres ultérieurs, le cas de la Tohu permet d’illustrer comment la culture renforce l’identité sociale et le sentiment d’appartenance qui unissent les citoyens. Ensuite, dernier exemple de DL de type « libéral », on fournit au lecteur le cas de la reconversion du secteur du vêtement et le rôle joué cette fois par la CDEC Centre-Sud / Plateau Mont-Royal.

Enfin, le chapitre XI pourrait, aux yeux de certains, justifier cette nouvelle édition portant sur le cinéma Beaubien qui, après la fermeture du cinéma Excentris, demeure à Montréal le seul cinéma d’auteurs avec une attention particulière aux oeuvres d’ici. Une très belle histoire merveilleusement bien racontée. On retrouve ici la CDEC Rosemont–Petite-Patrie, dont l’action fut déterminante en vue de bien ancrer ce cinéma dans l’économie sociale en lui donnant un statut d’organisme à but non lucratif. Le responsable de ce chapitre a jugé utile de fournir un bref historique de l’avènement des CDEC à partir des années 1980, non sans mentionner (hélas) leur disparition en 2015 qui a accompagné celle des Centres locaux de développement (CLD), que ne semblait pas affectionner l’administration Couillard en mal de coupures.

Le lecteur trouvera dans cet ouvrage à la fois matière à réflexion sur des concepts très utiles se rapportant à la nouvelle géographie économique, d’une part, et des informations, d’autre part, sur ce qui se passe au sein de la métropole québécoise depuis le début du siècle.

Mais, à l’étudiant peu fortuné, je conseille de tenter de trouver la première édition en solde dans une librairie offrant des ouvrages d’occasion. Il sera gagnant au change.