Pierre George, un géant de la géographie

Pierre George et l’analyse des réseaux urbains[Notice]

  • Jean-Claude Boyer

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Dans la France de l’entre-deux-guerres, l’étude de la ville repose encore sur les approches traditionnelles : site, situation, phases de croissance, paysages urbains, fonctions, etc. Les relations ville-campagne sont cependant abordées et l’on commence à analyser les zones d’influence des villes, comme le fait Georges Chabot au Congrès de Paris de 1931. Walter Christaller publie en 1933 son ouvrage sur les lieux centraux dans le sud de l’Allemagne, mais le contexte politique de l’époque explique sans doute qu’il n’ait guère suscité d’écho parmi les géographes français. Les monographies restent, comme en histoire, la forme d’expression principale des études urbaines. Les thèmes de la hiérarchie des villes et des réseaux urbains ne se diffuseront qu’après la Seconde Guerre mondiale, surtout après la traduction en anglais du livre de Christaller (1966) et son appropriation par les géographes nord-américains, en premier lieu Brian Berry (1967). Or Pierre George a largement anticipé sur ce courant, puisque, dès le début des années 1950, il propose des sujets de thèse sur ces questions. Il restera d’ailleurs plus orienté vers la géographie européenne, et notamment allemande, que vers celle des États-Unis, en raison sans doute d’une conception de la discipline plus empirique que théorique. Sa contribution à la diffusion de l’étude des réseaux urbains en France relèvera principalement d’une pratique et d’une direction de recherches axées sur l’analyse régionale plutôt que d’une élaboration des concepts et des méthodes. La dichotomie ville-campagne marque encore la perception du territoire par les géographes d’après-guerre. Héritage d’une différenciation juridique, elle permet d’étudier des rapports d’échanges et de domination / dépendance qui ouvriront la voie à la détermination de zones d’influence, examinées d’abord de façon monographique puis dans la complexité de leurs emboîtements. L’opposition ville-campagne constitue aussi l’élément essentiel de la prise en compte de l’espace chez Marx, qui insiste sur la domination des villes et le poids de la rente foncière. Il est vraisemblable que Pierre George, marxiste à l’époque, ait été influencé par cette approche, qui l’a conduit à analyser les relations de la ville avec l’espace environnant. Il dispose pour cela d’un atout : sa bonne connaissance du milieu rural, illustrée par la publication de La campagne en 1956. Des rubriques classiques telles que le rôle de marché ou l’emprise foncière, il est ainsi passé à la mise en évidence des fonctions tertiaires, en particulier celle de centre de services. Les écrits de Pierre George sur le thème des réseaux urbains, comme les titres des travaux qu’il dirige, insistent encore sur le thème ville-campagne dans les années 1950. Les thèses de Bernard Kayser (Campagnes et villes de la Côte d’Azur) et de Raymond Dugrand (Villes et campagnes en Bas-Languedoc), soutenues respectivement en 1958 et en 1962, vont cependant plus loin, surtout la seconde, que les approches traditionnelles de la question. Entre temps, l’évolution s’est accélérée avec la thèse de Michel Rochefort, L’organisation urbaine de l’Alsace (1960), où la référence au milieu rural disparaît du titre, mais pas du contenu. On peut la considérer comme l’ouvrage fondateur de l’étude des réseaux urbains en France. L’auteur avait déjà préparé le terrain par des articles méthodologiques comme celui des Annales de Géographie (1957) sur le secteur tertiaire. On notera que c’est en 1952 que Pierre George a lancé ce sujet tout à fait neuf pour l’époque. Il existe peu de recherches collectives dans la géographie française de cette période. La production scientifique repose essentiellement sur la rédaction individuelle d’articles de revues, de communications à des colloques, de thèses et exceptionnellement de livres, que peu d’éditeurs se risquent à publier. Les rares manuels d’enseignement supérieur donnent une bonne image …

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