Géographie et littérature : entre le topos et la chôra[Notice]

  • Mario Bédard et
  • Christiane Lahaie

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Il y a longtemps déjà que géographes et littéraires se courtisent. Rappelons à cet égard les travaux précurseurs de Dardel (1990) ou de Wright (1947) en géographie, puis ceux de Franck (1972), de Lotman (1973), ou de Weisgerber (1978) en littérature. Force est toutefois d’admettre qu’ils le font souvent à distance, trop empreints qu’ils sont de leurs cultures disciplinaires respectives (Snow, 1964), pour qu’il en résulte beaucoup plus qu’un point de vue candide. En effet, pour révélateur et éclairant qu’il puisse être, ce regard demeure foncièrement extérieur et timide, un peu court, ce par manque d’immersion ou de moyens pour y parvenir. Ainsi, s’il s’avère hybridé par l’objet autre investigué, ce regard s’avère rarement hybridant, faute d’appropriation véritable de l’autre, et donc pas assez structurant. La perspective adoptée par chacun diffère en fait suffisamment pour qu’on puisse les considérer comme deux herméneutiques distinctes. En effet, pour les géographes, le texte littéraire n’a longtemps eu qu’une valeur documentaire. Ne présentaient d’intérêt géographique que les décors de l’intrigue, sans égard particulier à la forme. Tant et si bien que les premiers à s’y intéresser lors des années 1970 et 1980, dont Bédard (1987), Herendeen (1986), Lafaille (1989), Meinig (1983), Pocock (1981a, 1981b), Porteous (1985), Salter et Lloyd (1977), Silk (1984) et Tuan (1978), proposaient une réflexion le plus fréquemment thématique et impressionniste, largement inspirée de postulats phénoménologiques afférents à l’espace vécu révélé par les littéraires. Une seconde génération de géographes, dont Barnes et Duncan (1992), Brosseau (1994, 1996), Bureau (1999), Buttimer et al., (1998), Duncan (1992), Duncan et Ley (1993), Lévy (1989, 1997), Sharp (2000) et White (1996), davantage attachés aux tenants et aboutissants cognitifs, sémiques et symboliques de nos perceptions et représentations de l’espace comme du territoire, se sont eux intéressés aux divers genres littéraires en tant que mode d’expression de préoccupations sociospatiales spécifiques. Si ceux-ci se sont notamment inspirés des préceptes de la géographie humaniste – fortement intéressée par le « je », les perceptions et les valeurs impartis au sens du lieu – ils s’en sont rapidement démarqués pour ne plus considérer le texte littéraire comme simple témoin d’un habiter particulier mais également comme un acteur et même un enjeu d’un mode d’habiter. Ainsi, les géographes contemporains qui s’y intéressent ont de plus en plus tendance à tenir compte de la charge de signifiance liée à la forme littéraire, de ses multiples possibilités heuristiques et de ses nombreuses contraintes formelles. De leur côté, les écrivains, dans le cadre de leurs créations, imaginent des lieux ou des paysages. Parfois, ils se fondent sur les sites réels dont ils gardent un vif souvenir. D’autres fois, ils s’en remettent totalement à leur imaginaire (ce qui ne veut pas dire que les lieux imaginés n’ont jamais de liens avec la réalité). Les critiques littéraires, enfin, s’emploient à déconstruire et à analyser la teneur des lieux, référentiels ou non, représentés dans la littérature, ce type d’étude en immanence (Alsina, 1988 ; Lahaie, 2001, 2003) ou selon des concepts sociocritiques (Allard, 1997, 1998 ; Chapman, 2000) ne visant pas tant à démontrer leur pertinence ou leur justesse géographique que leur fonction dans l’intrigue et le symbolisme plus ou moins appuyé qu’ils pourraient receler (Boudjedra et al., 1984 ; Foucrier, 2004 ; Issacharoff, 1976 ; Montballin, 1987). Si les méthodes employées pour aborder le matériau géographique issu des textes littéraires se rejoignent à l’occasion (un certain nombre de colloques et de publications antérieures le prouvent, dont Anderson et Gale, 1992 ; Kitchin et Kneale, 2002 ; Mallory et Simpson-Housley, 1987 ; Nepveu, 1998, 2004 ; Nepveu et Marcotte, 1992), elles ne semblent pas viser les …

Parties annexes