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Benoît Antheaume et Frédéric Giraut ont fait appel à dix-sept chercheurs internationaux (anthropologues, politologues, économistes, géographes, etc.), surtout français et francophones, pour dresser une sorte de bilan des incidences, en matière de développement, du phénomène universel de déconstruction et de recomposition territoriales. Dans cette optique, une approche comparée France/Afrique du Sud, parfois élargie au continent africain, plus ponctuellement à d’autres lieux de la planète (Liban et Guyane notamment) est privilégiée. Les deux éditeurs scientifiques, auteurs d’une éclairante et dense introduction, ont organisé cette publication en trois parties. Les deux premières (postmodernité et leurres ou impasses territoriales) cadrent parfaitement le thème du territoire par rapport aux enjeux majeurs du contrôle politique de l’espace et de la spatialisation, forcément plus fluide, du développement. La troisième insiste sur les solutions alternatives aux échecs des interventions dites up down, dont témoignent des modèles territoriaux complexes, articulés les uns aux autres, entrant dans une logique de régulation active (économique, politique, culturelle) des rapports sociaux spatialisés.

Par-delà leurs différences et leurs contradictions, les diverses contributions soulignent l’émergence d’une incontestable complexité territoriale engendrant des territorialités à géométries variables qui hésitent entre la maille et le réseau. Elles relèvent l’ébranlement général du territoire des États sous le triple effet des décentralisations (promotion de gouvernements locaux), du dépassement sinon de l’effacement des frontières politiques, des progrès de l’intégration régionale supra-étatique.

Deux thématiques se dégagent et dotent cet ouvrage d’une relative unité. L’une porte sur la validité des territoires en tant qu’outils de développement. Elle donne lieu à des opinions nuancées, allant de conceptions quasiment déterritorialisées (le territoire, à quelques avantages techniques près, se révélant un espace d’enfermement freinant le développement) à des points de vue affirmant au contraire le rôle régulateur d’un territoire politique et contractuel. L’autre thématique est celle du bon choix (stratégique) des modèles territoriaux de développement. On sait qu’ils se différencient énormément, naviguant des formes institutionnelles rigoureuses de l’intervention publique aux configurations nettement moins spatialisées de l’action des organisations non gouvernementales et d’autres acteurs de terrain. Les auteurs expliquent de quelle façon le développement durable est étroitement relié, dans les choix de société qu’il reflète, aux configurations territoriales qui lui servent de cadre conceptuel et opératoire : territoires clos et naturalisés de la conservation/protection ; territoires fonctionnels et participatifs, de projet, prenant en compte le temps long et intergénérationnel dans l’aménagement/développement local ; entités plus circonscrites de la gestion des ressources environnementales et paysagères.

Ce livre réussi n’insiste pas assez sur un point essentiel, tout juste évoqué à la fin de la troisième partie par A. Dubresson et S. Jaglin. Il s’agit de cette tension dynamique entre les territoires en tant que construits sociaux, appropriations objectives de l’espace par des forces politiques cohérentes, et les territorialités plurielles d’individus engagés dans le dédale de leurs réseaux de vie, projetant leur vécu et leur imaginaire sur des formes de l’espace qu’ils contribuent ainsi à signifier et à reconfigurer. Tout le débat sur la mort ou la résurrection des territoires ne tourne-t-il pas autour de cette codétermination majeure, entre légitimité et mobilité ?