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Diane-Gabrielle Tremblay et Rémy Tremblay ont réussi à faire d’un recueil de communications un véritable ouvrage, structuré et cohérent. La réflexion va au coeur d’une problématique centrale : la compétitivité des villes et de leurs régions dans le contexte d’une économie reposant sur le savoir et l’innovation. Elle se situe au carrefour de l’économie du savoir, des régions apprenantes et des milieux innovateurs.

Partant du poids croissant de la connaissance dans le développement territorial, les auteurs posent la question de la concurrence, de la compétition accrue entre les villes, et donc des enjeux de la création, de l’attraction et de l’ancrage de l’innovation et des compétences. Se greffent ensuite les questions d’évaluation des compétences stratégiques, de fonctionnement des systèmes urbains innovants, de relation entre innovation, compétence et compétitivité, etc.

Les pistes théoriques explorées (milieux innovateurs et grappes, et théorie de la classe créative) mettent en évidence une difficulté essentielle : la compétitivité ne relève pas de facteurs aisément identifiables, mais d’inter-actions complexes entre des populations, des politiques, des formes de gouvernance et des entreprises. La compétitivité, en tant que système, amène à une remarque méthodologique : si l’on est passé d’une compétitivité des coûts à une compétitivité par le système, cela signifie qu’il faille changer d’outil, en se tournant vers la systémique, jamais utilisée dans l’ouvrage.

La première partie aborde quatre questions théoriques. De quoi dépend la compétitivité urbaine et régionale ? Quelle est l’importance de l’innovation dans la dynamique géoéconomique ? Quel est le rôle de la qualité de vie dans la compétitivité ? Et enfin quelle est la part de la communication et du marketing territorial dans la compétitivité ?

En utilisant des régressions, P.-P. Proulx identifie des déterminants de la croissance métropolitaine, mais en illustrant par sa méthode les problèmes reliés au choix de l’outil. M.-U. Proulx, au-delà de l’importance affirmée de l’innovation, souligne le passage d’une vision linéaire de celle-ci à une nécessaire vision systémique complexe, que les politiques devraient davantage intégrer dans leurs approches. Naud et R. Tremblay abordent la difficile question de la qualité de vie, importante mais jamais définie et encore moins étudiée. Cette question de définition, centrale dans une optique de compétitivité et des thèses de Florida, est trop souvent posée sans tenir compte de la perception des populations concernées. Enfin, Benko souligne le rôle crucial du marketing territorial dans une économie mondialisée à l’intérieur de laquelle les villes et les régions sont placées en situation de concurrence brutale.

Les études de cas, souvent centrées sur des grappes, les districts et les milieux innovateurs, éclairent de manière pertinente et convaincante la première partie.

En étudiant le pôle commercial et financier de Pittsburg, Kresl suggère l’idée iconoclaste pour certains selon laquelle des villes doivent parfois opérer des ruptures par rapport à leur passé, les politiques devant se libérer des héritages. Klein, D.-G. Tremblay et Fontan démontrent le rôle de la proximité dans les échanges entre acteurs du district de la fourrure à Montréal, en particulier pour la diffusion des innovations, ainsi que l’importance de l’organisation des acteurs (Conseil canadien de la fourrure) qui constitue une manière d’innover en soi. Des constats similaires ressortent de l’étude du secteur multimédia de Montréal (D.-G. Tremblay et Rousseau) et de Vancouver (Smith). Le district maritime du Québec (Doloreux et Shearmur) et le cas de Moncton (Desjardins) montrent comment des régions et des villes périphériques tirent leur épingle du jeu dans un système de concurrence territoriale à l’intérieur duquel elles n’ont pas la masse suffisante pour s’imposer. Dans les deux cas, un même constat : il faut utiliser avec prudence et discernement des outils et des modèles de l’innovation conçus pour d’autres espaces et à partir d’autres logiques.

Les diverses contributions de la dernière partie analysent de façon critique la théorie de la classe créative. L’innovation, les activités et les populations locales contribuent à l‘accroissement de la compétitivité, mais la définition de notions centrales comme talents et classe créative est imprécise et ne donne pas prise sur le réel. La théorie de Florida est très partielle, voire partiale, et ne touche qu’à une partie d’un tout complexe ; de ce fait, les acteurs politiques doivent l’utiliser prudemment, et non comme l’élément-recette qui solutionne tout ; enfin, les politiques qui en découlent soulèvent de vrais problèmes de fonctionnement de la société et de la démocratie, avec notamment le risque d’une politique axée sur les besoins – réels ou supposés – d’une « aristocratie mobile du savoir » dont l’impact n’est pas aussi clair qu’on le suppose.

En conclusion Fontan souligne le rôle des métropoles en innovation, mais aussi leur lien avec l’institutionnel, en appelant à une ouverture à toute forme d’innovation, y compris celles ne relevant pas de la création de richesse dans le système capitaliste libéral.

Par les perspectives qu’il ouvre, sa grande actualité en recherche et sa dimension réellement pluridisciplinaire, l’ouvrage présente un intérêt certain.

Un regret peut-être : la compétitivité est ici abordée selon un modèle territorial spécifique (districts, clusters, milieux innovateurs). Or de nombreuses villes et régions ne peuvent s’en prévaloir devant se replier sur d’autres compétitivités, notamment par les coûts. Dès lors, le problème de la compétitivité urbaine varie en fonction des échelles. Les régions dominées par ces métropoles de l’économie du savoir s’appuient sur des réseaux urbains qui en sont parfois exclus, le pôle dominant pouvant bloquer la diffusion. Cela soulève la question de la convergence ou de la divergence des systèmes urbains et régionaux. Se posent aussi des questions de temps, mais aussi d’organisation régionale, de gouvernance de ces espaces dont les structures sont souvent débordées par la dimension et la puissance des processus, et des choix politiques quant à la distribution spatiale et sociale des richesses, ouvrant la réflexion sur la finalité du système.

Mais il faut être juste : c’est là une autre dimension, trop importante pour être traitée dans un seul ouvrage. Un nouveau livre à venir, peut-être.