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Problématique du dossier

Qu’on la qualifie de retour de l’espace ou de tournant géographique, la réhabilitation du territoire en sciences humaines et dans le domaine des études environnementales constitue un mouvement de fond, depuis plus d’une décennie (Lévy, 1999). Naguère associé au déterminisme, le territoire est maintenant jugé apte à porter un éclairage intéressant sur les sphères sociale et économique (Theys, 2002 ; Crozet et Lafourcade, 2009), notamment dans l’optique du développement durable. Ce mouvement ramène à l’avant-scène les recherches et pratiques liées au vaste champ de l’aménagement du territoire et du développement régional, champ que certains n’hésitent pas à désigner comme sciences du territoire (Massicotte, 2008). Toutefois, alors que les concepts fondamentaux d’espace et de territoire demeurent polysémiques et sont souvent indistinctement employés (Derycke, 2009), les dimensions « urbaine » et « rurale », auxquelles on se réfère pourtant fréquemment, se révèlent fort mal définies, autant dans la vie quotidienne qu’à l’intérieur du discours scientifique.

Il s’agit donc de nous questionner à nouveau sur la territorialité des sociétés contemporaines, en particulier sur ce que deviennent les caractères urbain et rural associés aux territoires et aux phénomènes socioéconomiques et politiques. Ces deux concepts sont-ils encore pertinents aujourd’hui ? Selon certains analystes, dans le contexte de la mondialisation, un accroissement marqué des flux de biens et services, la forte mobilité des populations ainsi que des relations sociales canalisées par Internet et les réseaux sociaux viendraient gommer l’opposition rural urbain (Di Méo, 2010). Déjà mis à mal par les processus d’industrialisation et de modernisation des sociétés datant du XIXe siècle, l’urbain et le rural seraient même désormais des catégories en perte de sens, aux yeux de plusieurs. D’ailleurs, Debarbieux parle du « syndrome de Moctezuma » [1], en référence à l’urbain et au rural, pour décrire une situation où « les catégories de pensée en usage se révèlent malhabiles, sinon incapables, de rendre compte de la réalité qui advient » (2008 : 71) [2].

Les huit contributions réunies dans le présent dossier éclairent, chacune à sa manière, cette question du devenir de « l’urbain » et du « rural » ainsi que les transformations de la territorialité. Elles le font dans un contexte marqué par des changements économiques et sociopolitiques d’envergure où la territorialité des sociétés contemporaines et des collectivités locales et régionales paraît être au centre de défis considérables, notamment en termes d’intégration et de cohésion sociale. Face à des transformations de vaste portée économique et sociale, mais également spatiale, une prise de distance face à ces deux catégories paraît s’imposer, d’où leur mise entre guillemets dans le titre de ce dossier spécial. Cela ne signifie pas nécessairement qu’elles ne sont plus significatives. Des contributions rassemblées à l’intérieur du dossier défendent même l’idée contraire, ou soulignent l’émergence ou l’ajout de nouvelles catégories spatiales plus fines.

Comme on le constatera, certains textes mettent l’accent sur des analyses que des pionniers des études régionales, urbaines et rurales québécoises ont formulées à propos du devenir de la ruralité et des phénomènes alors émergents associés à la formation de villes-régions ou de « communautés de vie » souhaitées plus autonomes sur l’ensemble du territoire. Pour leur part, d’autres contributions soulignent les difficultés à penser aujourd’hui les catégories conceptuelles diverses : urbain, rural, ville, campagne. Pourtant, quelles que soient les difficultés à définir ou à délimiter l’urbain et le rural, la plupart des États ont développé des catégories afin de caractériser et classifier des unités territoriales de plusieurs niveaux, les politiques et l’action publique y trouvant non seulement des fondements normatifs, mais y arrimant aussi des visées économiques ou politiques. Ces unités constituent-elles des entités qu’il est approprié de considérer urbaines ou rurales ? Ou ces deux épithètes définissent-elles plutôt des extrêmes bordant un continuum ou autorisant ce qu’on peut appeler des campagnes urbanisées et des villes – ou même des métropoles – ruralisées ?

Ces questions incitent à repenser aujourd’hui les frontières entre l’urbain et le rural et à revoir une vision souvent dichotomique de ces catégories. D’autres interrogations sont plus directement axées sur de nouveaux espaces hybrides en train de prendre forme et leur nature, mais également sur leurs liens, des complémentarités ou des vocations spécifiques possibles. Sans perdre de vue l’ampleur des changements en cours et la complexité des questions en jeu, plusieurs contributions mettent, quant à elles, plus directement l’accent sur les cadres socioterritoriaux d’action qu’on cherche à mettre en oeuvre tant en contexte métropolitain que périphérique. À l’heure d’un développement voulu durable, la gouvernance des territoires pour y résoudre des problèmes ou leur apporter des solutions, y assurer une concertation ou y instituer une grappe resterait, dans les faits, fort difficile à concrétiser. Un constat qui peut tout aussi bien nous amener à considérer le caractère encore émergent de la situation actuelle et de plusieurs situations ou initiatives aujourd’hui observables, qu’à redouter une fragmentation grandissante des unités territoriales, alors que peu d’entre-elles parviendront à devenir ou à demeurer des communautés de vie ou, du moins, des territoires de projet. À propos de la fin du règne rural au Québec dont il aurait été témoin, Gérald Fortin écrivait en 1971 : « La fin d’un règne ne peut être que le début d’un autre règne qui ne se laisse deviner que lentement. »

Les contributions des auteurs

Dans le premier article du dossier, celui de Dominique Morin, l’auteur s’intéresse à la démarche critique et au parcours intellectuel du sociologue Gérald Fortin (1929-1997) marqué, selon lui, par trois phases accomplies sur plusieurs décennies (fin des années 1950 aux années 1980) pour la connaissance du rural et de l’urbain. Dans La fin d’un règne (1971), Fortin déclarait avoir été témoin de la disparition du rural alors que le Québec serait, pour lui, devenu « une ville à inventer ». Sans minimiser le défi empirique de connaître ce qui se vit à différentes époques, sur une diversité de territoires, redoutant aussi la montée de travaux universitaires et plus détachés, Fortin aurait annoncé avec espoir l’avènement d’une recherche interdisciplinaire appliquée, affranchie des idéalisations qui opposent l’urbain et le rural. Ainsi, dès ce moment, des changements importants auraient affecté des réalités tenues jusque-là pour rurales ou urbaines, celles-ci, ou encore les catégories pour les désigner et les distinguer, étant mises en cause. Selon Morin, la signification même de ces termes aurait également changé chez Fortin, alors que celui-ci se préoccupait de plus en plus d’un idéal du développement, distinct d’autres conceptions (fatalistes ou ruralistes) alors proposées. La sienne était plutôt axée sur le projet d’une société globale ou de participation à instaurer et impliquant la création d’un mode de gouvernement et d’administration de nouvelles villes, métropoles ou  villes-régions, sur l’ensemble du territoire québécois.

Dans le second texte, ayant pour titre « Urbain, rural et milieux transitionnels : les catégories géographiques de la ville diffuse », Martin Simard manifeste à son tour un intérêt pour les notions d’urbain et de rural. Or, selon lui, si ces termes et d’autres (ville, campagne, banlieue, etc.) font toujours partie du vocabulaire courant à notre époque, des difficultés traditionnelles de définition et de délimitation se seraient maintenues, voire aggravées. Celles-ci prendraient en tout cas une dimension nouvelle dans un contexte marqué par la mondialisation et la métropolisation. Plus encore, la montée de l’économie de l’information et la popularisation d’Internet sonnent-elles le glas des territoires tels que nous les avons connus ? demande Simard. Après s’être penché sur certains efforts publics pour délimiter, sur la base de critères, les unités urbaines au Canada et dans plusieurs autres pays, l’auteur postule que l’on retrouverait aujourd’hui une myriade de territoires à l’intérieur d’une échelle graduée dont l’urbain et le rural ne sont que les deux extrêmes, souscrivant, laisse-t-il clairement entendre, à l’idée d’un continuum rural-urbain envisagé par certains tenants de l’École de Chicago, il y a presque un siècle. À partir de ces pistes, l’auteur discute ensuite les concepts de « ville diffuse » et de « milieux transitionnels », lesquels comprennent les cadres de vie suburbains et périurbains ainsi que les espaces périphériques affectés significativement par le navettage et la villégiature.Tout en montrant que de tels ensembles territoriaux hors normes font l’objet d’interprétations analytiques opposées, notamment sur le plan de leurs effets sur les inégalités socioéconomiques, certains analystes envisageant une clubbisation des espaces résidentiels, Simard plaide pour que ces questionnements de société qui interpellent le politique se poursuivent et soutiennent des clarifications sur la territorialité postmoderne peut-être en train de se dessiner.

Dans une troisième contribution au dossier, à partir cette fois d’une analyse d’approches critiques et d’idées reçues concernant l’étalement urbain, Guy Mercier et Michel Côté insistent, tout comme Fortin et Simard, sur l’importance d’une connaissance précise du territoire et sur l’existence de changements qui forcent à une réflexion sur les catégories conceptuelles (ville, campagne, urbain, rural, etc.). Ces approches sont selon eux enfermées dans un cadre conceptuel où ville et campagne sont deux entités irréductiblement distinctes. Elles propageraient ainsi une conception dichotomique suggérant que la vocation de chacune est exclusive (la ville étant urbaine, concentrée, et la campagne rurale, diffuse et agricole), et n’offriraient que peu de prise intellectuelle et politique – notamment en matière d’aménagement – sur des réalités et des changements ainsi mal compris. Les auteurs, tout en ne cachant pas leur affinité avec la seconde, discutent ensuite deux options consistant soit à mettre l’accent sur une ville et une campagne désignant des entités géographiques distinctes et complémentaires ayant en exclusivité un caractère propre, soit à désigner une ville et une campagne distinctes et complémentaires mais partageant, selon des modalités propres à chacune, des caractères à la fois urbains et ruraux. Ces options pouvant avoir des implications considérables sur l’action publique et les choix d’aménagement du territoire, Mercier et Côté indiquent que si des solutions pertinentes peuvent être trouvées, elles seront le fruit d’une large collaboration des spécialistes, des élus et des populations concernées.

Le quatrième article a été rédigé par Yann Fournis. Tout comme Morin, Fournis s’est penché sur les écrits, et en cela « regards », d’un chercheur fort actif dans le domaine des études rurales et régionales au Québec : Hugues Dionne. La démarche intellectuelle de Dionne, tout en étant très liée à l’existence d’un groupe universitaire de recherche, le GRIDEQ (Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement territorial, de l’Est du Québec, fondé en 1974), aurait porté la sensibilité de la sociologie la plus critique du GRIDEQ, suggère Fournis, le Groupe faisant par ailleurs très tôt sien le projet de penser la complexité de la ruralité en dehors d’oppositions reçues. Dans ce parcours, le groupe aurait d’abord considéré la ruralité en tension avec son environnement global pour ensuite (années 1970-1980) mettre l’accent à la fois sur une analyse structurale dans l’espace (tension centre-périphérie) et l’analyse actionnaliste dans les lieux. Pour sa part, au sein du groupe et de recherches collectives, Dionne s’efforcerait de saisir la territorialisation d’une dynamique communautaire dans certaines zones périphériques où une action collective se manifeste, même si des villages ruraux sont menacés de fermeture ou de disparition, et si des mutations profondes qui les fragilisent sont en cours. Selon Dionne, ces communautés sont non seulement des lieux de mobilisations ou de mouvements sociaux pouvant soutenir le développement, mais ce sont des lieux de vie. Il demeure que les années 1980 sont rudes pour la ruralité de l’arrière-pays bas-laurentien, la décennie s’achevant sur un constat d’éclatement et de marginalisation, même si l’ambition de penser l’originalité de la ruralité demeure. On mettrait alors l’accent à la fois sur les facteurs structuraux et sur les nouveaux mouvements sociaux, les pratiques économiques et sociales, la gouvernance et les territoires. Fournis suggère ici un nouvel élargissement des perspectives au GRIDEQ (joint depuis 2003 au Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT)) et pour divers champs d’études, la communauté constituant la forme politique, renégociée en permanence sur une base territoriale, des espaces de vie localisés bien que, comme il l’indique par ailleurs à partir des écrits de Dionne, l’articulation des communautés locales autour de la société globale reste aussi à l’ordre du jour.

Intitulée « Gouvernance et concertation métropolitaine à Ottawa-Gatineau : la planification et l’aménagement du territoire en contexte interprovincial », la cinquième contribution, celle d’Olivier Roy-Baillargeon et Mario Gauthier, prolonge dans une certaine mesure les réflexions de Fournis (et Dionne) sur la communauté et la question de son articulation à d’autres ou à des structures plus larges. Considéré comme une région métropolitaine de recensement par Statistique Canada et non constitué en district fédéral, le territoire au centre de l’analyse de Roy-Baillargeon et Gauthier n’est pas désigné comme une communauté, contrairement aux communautés métropolitaines de Montréal ou de Québec, autrefois d’ailleurs appelées des « communautés urbaines ». À l’instar de Sancton (2011), les auteurs laissent entendre que l’incorporation de ce territoire en district et la création d’un gouvernement métropolitain ne sont d’ailleurs pas envisageables sur le plan politique. L’enquête de Roy-Baillargeon et Gauthier indique que, malgré un intérêt pour le développement durable des deux côtés de la frontière Québec-Ontario, l’arrimage des politiques et les résultats sur le terrain ne sont pas au rendez-vous.

Ce manque de concertation entre les intervenants responsables de l’aménagement et de l’urbanisme à Ottawa et à Gatineau serait principalement attribuable à la complexité de la gouvernance métropolitaine interprovinciale ainsi qu’à des divergences d’intérêts politiques, économiques et sociaux. En effet, la présence de deux juridictions provinciales et de diverses instances fédérales vient multiplier les acteurs déjà nombreux et les tensions. Une concertation à l’échelle municipale est toutefois observable, même si elle présente elle aussi des défaillances procédurales – conflits entre élus ou avec les fonctionnaires, société civile parfois laissée à l’écart, dispositifs participatifs inadéquats, etc. Une certaine mise en cohérence de l’action collective urbaine resterait donc possible, les auteurs suggérant que, dans la foulée de la mondialisation et de la spécialisation fonctionnelle des sols, certaines transformations en cours des milieux de vie allant dans le sens d’une accélération de l’étalement métropolitain continueront d’avoir des impacts sur les pratiques et sans doute les formes de gouvernance.

Les deux textes qui suivent abordent chacun la question des villes moyennes selon une approche comparative. Intitulée « Communautés francophones minoritaires et grappes culturelles émergentes dans les villes moyennes : une comparaison Moncton-Sudbury », la contribution de Greg Allain, Guy Chiasson et Gina Sandra Comeau propose une réflexion sur l’utilité du concept de grappe culturelle lorsque appliqué au contexte des villes moyennes situées au sein de régions périphériques, et qui plus est, celui de communautés minoritaires. Généralement appliqué aux très grandes villes à partir desquelles seraient déployées des stratégies culturelles d’envergure mondiale, le concept a soutenu deux études de cas indiquant que le développement culturel à Moncton et à Sudbury s’appuie sur des facteurs comme la mobilisation communautaire et des dynamiques de proximité, qui ne sont pas nécessairement relevés dans les études sur les grappes culturelles. Les résultats indiquent que l’expérience de Moncton se démarque de celle de Sudbury par l’importance accordée au quartier du centre-ville comme lieu de convergence des institutions et des réseaux culturels, une dimension moins présente à Sudbury où la scène culturelle est plus éclatée géographiquement. Selon les auteurs, les stratégies de développement culturel des villes périphériques sont assez différentes de celles des grandes villes, le concept de grappe culturelle devant être utilisé de façon flexible pour bien comprendre les dynamiques à la périphérie.

Les stratégies de développement, en l’occurrence ici de revitalisation intégrée, sont aussi discutées dans le texte qui suit portant, lui, sur les espaces centraux urbains de villes moyennes d’une région périphérique – les arrondissements de Chicoutimi, de Jonquière et la ville d’Alma dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Tout comme l’étude d’Allain, Chiasson et Comeau, celle réalisée par Suzanne Tremblay et Pierre-André Tremblay met en évidence l’importance de la dimension communautaire et participative des dynamiques sociospatiales identifiées. Si, à la suite d’entrevues et d’observations directes effectuées sur une longue période, les auteurs constatent de multiples difficultés de mobilisation des groupes communautaires, ils indiquent néanmoins que certaines expériences de revitalisation intégrées seraient en émergence, notamment au centre-ville de l’arrondissement de Chicoutimi, à Saguenay, particulièrement avec le projet d’un Éco-Kartier. Parmi ces difficultés, certaines seraient directement reliées aux dimensions territoriales des problématiques traitées par ces groupes, la coordination territoriale des actions des organismes se révélant très difficile – les auteurs font référence à un déficit d’intégration – sans compter l’état de détérioration, depuis plusieurs décennies, de certains centres-villes auxquels il peut être difficile de s’identifier et de s’investir. Sur ce plan, l’amélioration des bâtiments, l’aménagement de lieux publics et d’espaces verts, ainsi que la mise en oeuvre de services de proximité sont autant de moyens qui, alliés à une vision d’ensemble, peuvent favoriser la participation des acteurs à la revitalisation de leur milieu de vie.

L’étude de Tremblay et Tremblay sur les villes moyennes en région périphérique québécoise indique bien l’importance montante des défis et enjeux de coordination territoriale que Roy-Baillargeon et Gauthier ont également observés dans la région métropolitaine interprovinciale d’Ottawa-Gatineau. Dans ces contextes territoriaux qu’ils se sont efforcés de caractériser et qui se révèlent très distincts sur plusieurs plans, des situations problématiques, induites ou aggravées par la mondialisation, rendraient nécessaires la mise en oeuvre de stratégies, certaines « vertes », de développement économique, culturel et social et une action non seulement plus intégrée, mais ancrée à des assises spatiales considérées comme milieux de vie. Ces défis paraissent tout aussi grands pour consolider l’émergence de grappes culturelles dans deux villes moyennes canadiennes où sont concentrées des communautés culturelles minoritaires importantes.

Comme l’illustre le huitième texte du dossier, celui de Patrick Mundler, les défis de mise en oeuvre de stratégies de développement se révèlent également importants en France, dans la région Rhône-Alpes en France où l’on trouve une métropole (Lyon), mais également de plus petites villes et des villages comptant de nombreux producteurs agricoles. Dans ce contexte territorial complexe où les populations doivent, comme partout ailleurs, se nourrir et s’approvisionner, l’auteur s’est penché sur les systèmes de distribution alimentaire axés sur la fourniture aux consommateurs de paniers contenant des produits locaux. Son attention reste centrée sur la question de l’efficacité énergétique de ces formules misant sur les circuits courts, lesquelles ont été comparées à des méthodes plus traditionnelles. Sans nous laisser perdre de vue les nombreux choix méthodologiques que l’analyse de tels systèmes requiert, la contribution de Mundler met en lumière leur ancrage à des lieux qui s’en trouvent ainsi reliés par des pratiques d’acteurs en situation d’échange. Si certains travaux remettent en cause la performance énergétique de ces formules – et leur durabilité du fait notamment des faibles quantités transportées –, la recherche qui a été effectuée démontre que les systèmes de distribution par paniers obtiennent une efficacité énergétique équivalente, voire meilleure, par rapport aux formules traditionnelles. Selon ce chercheur français, il importe de considérer la durabilité de ces façons de faire dans leur globalité, c’est-à-dire non seulement en termes d’efficacité énergétique, mais par rapport à plusieurs autres critères, notamment la création ou le maintien de liens entre acteurs.

Cette dynamique de développement durable, dont on comprend qu’elle touche celle de systèmes d’acteurs et d’action, n’est pas sans rappeler les préoccupations de Gérald Fortin et celles de Hugues Dionne analysées par Morin et Fournis, et qui ont concerné, il y a plusieurs années déjà, des milieux de vie souhaités plus autonomes, en même temps que reliés. Mais comme l’indiquent plusieurs contributions réunies dans le présent dossier, si on peut éprouver des difficultés à nommer ces systèmes et territorialités en train de prendre forme, ou que l’on aimerait constituer, leur intégration et leur gouvernance sont loin d’être simples. Dans son texte, Patrick Mundler se dit par ailleurs d’avis que seule une observation fine des comportements réels des acteurs… et de leurs pratiques spatiales concrètes, permet d’appréhender les avantages ou inconvénients des systèmes comme ceux des paniers. On peut aussi penser la même chose à propos de nouveaux liens ville-campagne lesquels, tout en reposant sur des routes physiques, comme dans le cas de la distribution alimentaire, renvoient à des formes d’organisation, certaines émergentes, dont l’observation fine reste indispensable.

À la lumière de ces divers textes, il apparaît clairement que les débats sur l’urbain et le rural, loin d’être clos, concernent directement des transformations significatives de la territorialité des sociétés contemporaines. Au-delà des concepts à la mode (classe créative, underclass, ville globale, etc.), qui ne suffisent pas à cerner l’ensemble des réalités et changements actuels, les connaissances sur les territoires et les catégories qui les structurent doivent encore progresser. Laissons donc parler les auteurs !