Note liminaire

Violence de la géographie[Notice]

  • Guy Mercier et
  • Olivier Lazzarotti

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Déjà, la poésie d’Homère résonnait des échos d’un sombre drame humain : la violence. Tragédie si troublante que la puissance en cause paraissait à l’aède trop grande pour tenir entre les seules mains des mortels. Qui d’autres que des dieux, maîtres des éléments et des âmes, pouvaient imposer cette condition ? Depuis, les dieux d’Homère sont morts eux aussi, mais l’être humain n’a pas échappé à la violence. Son histoire en témoigne amplement. Et la question demeure, lancinante : la violence humaine est-elle accessoire et remédiable ou fondamentale et incessante ? Comme toutes les autres avant elles, notre époque a tenté d’y répondre. Si on en croit l’air du temps, il faudrait abandonner toute illusion. Car pour un Elias interprétant l’histoire comme un processus de civilisation réducteur de violence ou pour un Sloterdijk articulant paix et conflits aux règlements des après-guerres, combien de Rousseau, de Marx, de Freud, de Girard et d’autres encore – dont ces futuristes glorifiant la guerre comme « seule hygiène du monde » – expliquent que la violence constitue le principal ressort de l’histoire humaine, voire qu’elle en est l’acte fondateur. Les faits, il est vrai, n’osent pas trop les contredire. Meurtre, guerre, exécution, génocide, extermination, esclavage, pollution, viol, attentat, invasion, tyrannie, enlèvement, enfermement, asservissement, terrorisme, émeute, rébellion, vol, harcèlement, fraude, extorsion, vandalisme, usurpation, saccage, pillage, intimidation, discrimination, suicide, carnage, destruction… Décidément, le répertoire de la violence contient suffisamment de nuances pour faire de chaque circonstance de la vie l’occasion d’agresser autrui, soit pour l’éliminer, le faire souffrir, lui nuire, le contraindre, l’intimider ou l’humilier. Quant à l’agresseur, il est purement et fatalement humain : soi-même, un parent, un voisin ou un étranger. C’est aussi un groupe ou un État qui agresse, le nôtre ou celui d’adversaires. Les motifs de l’attaque sont aussi nombreux que les prétextes qui la déclenchent. L’avidité, la frustration, la convoitise, la colère, la jalousie, la vengeance et le ressentiment sont parmi eux les moins avouables. D’autres se veulent plus nobles : punir un coupable, protéger la patrie menacée, venir en aide à un allié, défendre le droit et la liberté, rétablir la paix, sinon la sécurité. Présumée légitime ou négligeant toute justification, la violence n’a pas nécessairement besoin de passer à l’acte pour être effective. Une menace, surtout subtilement formulée, suffit souvent à la rendre opérante. Et la violence ne s’immisce-t-elle pas aussi dans des situations ayant toutes les apparences d’une normalité qui, dans la vie de tous les jours, astreint chaque individu, mais plus encore celui qui est pauvre, chômeur, réfugié, prisonnier, marginal, piéton ou simplement enfant ou écolier ? De plus, on n’a pas à s’en prendre directement aux personnes pour les atteindre, car l’agresseur peut tourner ses coups ou sa menace vers leurs biens : territoires, institutions, lieux sacrés, patrimoines, archives, parcs naturels, villes, infrastructures, ressources, environnement. Ainsi, où que nous soyons, quoi que nous fassions, même si nous n’y sommes pas pleinement impliqués ou confrontés, la violence paraît toujours prête à surgir. De sorte que l’on ne semble jamais pouvoir l’esquiver : la contrariété, la frustration, la peur, la douleur, la détresse, la misère, le désespoir, la désolation jusqu’à la déshumanisation étant des preuves constamment renouvelées de sa puissance. Il semble indéniable que la violence, qui enveloppe autant les individus que les sociétés, fait partie intégrante de la condition humaine et que toutes les civilisations, toutes les cultures et toutes les sociétés ont dû et doivent encore composer avec elle. C’est pourquoi il importe que la géographie – comme toute autre science sociale au demeurant – accepte de confronter la violence. Non pas pour nier que la …

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