Questions, opinions, débats

La mobilité en débat[Notice]

  • Pierre Lannoy,
  • Isabelle Thomas et
  • Marcel Pouliot

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Pierre Lannoy nous a fait parvenir un compte rendu d’un ouvrage de Jean-Pierre Orfeuil paru en 2008 Une approche laïque de la mobilité (Paris, Descartes & Cie, 173 p., ISBN : 978-2-844-46119-3). Isabelle Thomas et Marcel Pouliot nous ont fait parvenir un compte rendu d’un autre ouvrage de Jean-Pierre Orfeuil, également paru en 2008 Mobilités urbaines. L’âge des possibles (Paris, Les Carnets de l’Info, 256 p., ISBN : 978-2-9166-2839-4). Nous publions ici ces trois comptes rendus suivis du commentaire de l’auteur. Jusqu’ici, les débats invoquant la laïcité ont généralement porté, en France, sur de grandes institutions telles que l’État, la politique, les médias ou l’enseignement. Les atteintes à l’indépendance de pensée et aux valeurs républicaines y ont été et y sont intensément combattues au nom de cette laïcité. Mais voilà qu’Orfeuil nous dit qu’il serait temps de développer – ou plus exactement de sauver – une « approche laïque de la mobilité ». On pourrait voir dans cet appel une certaine logique d’extension du domaine de la lutte pour un espace public laïc, les mobilités quotidiennes et les politiques y afférentes étant finalement, elles aussi, constitutives de cet espace. Mais ici l’ennemi n’est pas une religion au sens classique du terme. Il s’agirait plus exactement d’une attitude religieuse de dévotion envers ce qui est selon lui devenu un dogme (un « impératif catégorique »), à savoir le devoir de préservation de l’environnement, se traduisant en un anti-automobilisme aussi aveugle que sourd. Ce qu’il dénonce alors, ce n’est pas l’objectif en lui-même, mais l’abandon d’une attitude rationnelle dans l’élaboration des politiques publiques contemporaines relatives aux mobilités. La déraison aurait aujourd’hui gagné les décideurs publics et même les experts : « Paris ou Bruxelles vaut bien une messe ». L’intégrisme anti-automobiliste caractériserait leur approche des problèmes. Or, Orfeuil s’attache à montrer, par la mobilisation d’une série de données et de réflexions clairement exposées, que les facteurs qui ont contribué au développement de l’automobilisme n’ont pas été uniquement castrateurs, d’une part, et, d’autre part, que « l’explosion automobile est en grande partie derrière nous », deux constats qui devraient amener à relativiser la vision dominante de « l’enfer et de l’axe du mal » que constituerait le système automobile. Face à l’attitude dogmatique des politiques et expertises, Orfeuil rappelle alors les « vertus réelles » d’une approche rationnelle, fondée sur le principe, simple en son énoncé, de l’évaluation socioéconomique des mesures en matière de mobilité. Un projet, une décision, une politique, doivent faire absolument l’objet d’une évaluation objective ex ante, en termes de coûts et d’utilité, tant pour les individus que pour les collectivités (voir notamment p. 74-81), et non pas être prises uniquement en fonction d’intentions premières, d’un « art divinatoire », dont les effets ne sont pas pris en compte. Derrière le bon sens qui semble nourrir cet appel vibrant à la rationalité contre « l’idéologie », je ne peux cependant m’empêcher de voir pointer un problème plus fondamental encore, qui est celui des rapports entre science et politique. Dans la conception défendue par Orfeuil, la science a pour fonction d’éclairer le politique : en amont, par la définition des critères pertinents de saisie des problèmes et par la constitution de données validées ; mais également en aval, par la délimitation du cadre des débats, qui se réduisent alors à une alternative simple. Soit les résultats de l’évaluation sont pris en compte, et la politique devient rationnelle, soit le politique s’en écarte, et alors c’est la déraison qui caractérise ses décisions. En définitive, cette conception de la science, bien plus que de laïciser les débats en matière de mobilité, les …