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Voilà un ouvrage qui s’inscrit bien dans une géographie culturelle ouverte sur les pratiques contemporaines très diverses des jeux taurins. Il résulte d’un travail de thèse. Son auteur à été membre de l’École des hautes études hispaniques et ibériques de la Casa de Velasquez, avant d’être nommé maître de conférences à l’Université de Pau et des pays de l’Adour. Ce travail puise ses sources dans les âges anciens, mais l’auteur se méfie de la linéarité historique. Il note qu’en dépit des mythologies qui font des jeux de l’Antiquité les ancêtres directs de la corrida espagnole, les premiers écrits attestant irréfutablement l’existence de jeux taurins en Europe n’apparaissent qu’à partir des XIe et XIIe siècles. À la fin des années 1730, à Madrid et à Valence, l’organisation des spectacles taurins dans de grandes arènes circulaires pouvant accueillir plus de 5000 personnes, consacre l’autonomie de cette activité. Ainsi, l’émergence de la corrida moderne au milieu du XVIIIe siècle en Espagne, puis sa diffusion hors de ce pays, marquent une étape clé de la géographie des pratiques tauromachiques.
Pour l’auteur, la découverte du Nouveau Monde constitue la phase majeure d’expansion de cette pratique sur un continent qui ne connaît ni les chevaux, ni les bovins domestiques avant l’arrivée des conquistadors. Dès le XVIe siècle, apparaissent les premiers jeux taurins dans les grandes villes de l’administration coloniale, calqués sur les corridas équestres de la métropole, qui, tout en réjouissant la noblesse en arme, participent à l’édification des peuples conquis. Les indigènes deviennent très tôt des protagonistes lors de séquences qui leur sont réservées. Les peones, Indiens, Noirs, Métis, participent ainsi aux innovations techniques de la tauromachie qui caractérisent le XVIIIe siècle américain, puisant dans le double registre de la transformation des codes de la corrida ibérique et de la gestuelle inspirée des nécessités de l’élevage bovin.
Ces rappels historiques sont utiles pour comprendre la diffusion et la transformation des jeux taurins, mais c’est l’époque contemporaine qui est surtout étudiée à partir de huit chapitres rappelant les définitions, l’unité et la diversité de la tauromachie, son caractère festif, les limites et discontinuités de ses espaces, la formation et la structure des espaces tauromachiques européens et leurs dynamiques récentes. Le huitième chapitre, consacré aux tauromachies américaines, est particulièrement stimulant pour comprendre comment les rodéos d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud sont à relier aux pratiques tauromachiques européennes. Un des fils conducteurs de ce travail est de montrer que les jeux taurins sont des marqueurs d’espaces et des moyens d’expression identitaire. De la diversité de ces jeux résulte une mosaïque territoriale complexe où les identités s’expriment à l’échelle transatlantique. Pour JeanBaptiste Maudet, les pratiques tauromachiques américaines dans la variété de leurs formes « témoignent d’un processus de construction territoriale où se relaient deux temps forts de la mondialisation occidentale : l’impérialisme ibérique, contemporain de la colonisation de l’Amérique à partir du XVIe siècle, et l’hégémonie culturelle étatsunienne qui s’affirme dès le milieu du XIXe siècle ».
Au total, cet ouvrage offre de multiples pistes de recherche en soulignant l’ouverture actuelle de la géographie culturelle. Cette géographie s’intéresse de plus en plus à la mise en scène de cérémonies festives (qu’elles soient autour des cultures touristiques, sportives, musicales…) en soulignant que la diversité des pratiques réactive le sens du rapport à l’espace.