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Pertinente pour le progrès sociétal, la riche praxis en matière d’innovations sociales nécessite la mise en commun des diverses analyses scientifiques afin de rendre davantage intelligible le phénomène dans sa globalité. Puisqu’une telle convergence s’avère manquante, ce recueil de textes offert par la collection Innovation sociale des Presses de l’Université du Québec désire lancer le nécessaire chantier collectif à la manière d’un défi pour la communauté scientifique. En réalité, l’ouvrage s’inscrit comme le premier jalon d’une lecture territoriale panoptique concernée par le croisement de réflexions et d’analyses sur l’objet de l’innovation sociale. On y trouve sept textes d’excellente qualité, dont trois s’avèrent particulièrement utiles pour éclairer le phénomène en question. Onze auteurs ont participé à la rédaction de ces textes, dont sept sont membres du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES).

Les références théoriques traitées dans cet ouvrage sont instructives. La perspective territoriale préconisée pour l’observation et l’analyse des innovations sociales s’avère bien présentée, notamment dans le chapitre de Paul-André Lapointe, qui traite pertinemment de ce « néo-régionalisme » contemporain. Sa définition du territoire, telle une assise institutionnelle servant à tisser les relations entre les divers acteurs, amène Lapointe à souhaiter un nouveau cadre d’analyse qui puisse permettre la conjugaison du rapport salarial et du rapport territorial. En ce sens d’institutions territoriales, l’analyse exploratoire de Jean-Marc-Fontan jette des bases intéressantes pour éclairer la dialectique entre l’ordre institué et l’impératif processus instituant pouvant alimenter les idées nouvelles, la créativité, l’innovation. L’institué, qui par essence encastre, ordonne et même cristallise les comportements individuels, rend possible l’instituant, selon l’auteur, grâce à la réflexivité qui conduit au renouvellement utilitaire des normes et des règles sociales. L’enjeu devient alors d’offrir une plateforme territoriale adéquate pour stimuler la réflexivité dans un esprit de renouveau institutionnel capable de générer l’innovation sociale. À cet effet, l’analyse des conditions de réussite des initiatives locales en contexte de territoires dévitalisés qui est livrée par Juan-Luis Klein aboutit à un must en matière de modélisation. Au coeur du modèle s’inscrit le leadership dans une sorte d’équilibre vertueux entre stabilité et renouvellement, équilibre qui devient possible grâce aux réseaux sociaux (Paul Leduc Browne) et à l’ethos participatif (Caroline Patsias). Ces vertus structuralistes des territoires inspirent par ailleurs Guy Bellemare et Louise Briand dans leur proposition pour un renouvellement théorique du champ d’études des relations industrielles.

En somme, il s’agit d’un ouvrage collectif pertinent. En considérant la très vaste littérature scientifique générée depuis trois décennies sur le processus d’innovation, selon diverses approches et une variété de modèles sans qu’une théorie générale fasse autorité, l’appel à la convergence amorcé par ce recueil sur l’innovation sociale s’avère tout à fait bienvenu. Beaucoup de travail reste à faire, cependant, pour atteindre le noble objectif claironné. Nous souhaitons ainsi une longue vie à cette collection Innovation sociale dirigée par Jean-Marc-Fontan.