Corps de l’article

Introduction

Dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, il y a un véritable déséquilibre sociospatial des collectivités locales. Selon Alvergne (2008 : 32), « au Niger, 90 % de la population se concentre sur le tiers du territoire. Au Bénin, la région littorale (10 % de l’espace) concentre plus de la moitié de la population, comme au Togo. Dans le cas du Mali, 90 % de la population vit sur le quart du territoire ». Le Sénégal ne fait pas exception à ces grandes disparités territoriales puisque les deux tiers de sa population occupent environ le cinquième de sa superficie totale (Diakhaté, 2011 : 131). Sa capitale, Dakar, concentre environ 50 % de la population urbaine du pays et 23 % de la population totale (ANSD, 2013).

Cette situation est liée aux processus d’occupation des territoires par les colonisateurs, qui se traduisent par une organisation de l’espace liée aux conditions de développement et de domination de type capitaliste et à la construction de pôles de croissance basée sur une logique spatiale et sélective. Ainsi, il y a un déséquilibre dans la croissance régionale, locale et urbaine : les territoires intérieurs sont souvent moins attrayants que les territoires côtiers.

Pourtant, le Sénégal dispose d’une politique nationale d’aménagement du territoire qui repose sur le Plan national d’aménagement du territoire (PNAT). Cet instrument, adopté en janvier 1997, est jusqu’à ce jour le seul document de référence du pays. Sur le plan spatial, la stratégie proposée par le PNAT est de veiller à l’atténuation des disparités de revenus et de niveaux de vie entre régions naturelles et collectivités locales. Il y a toutefois un décalage entre le discours et la pratique : l’évaluation des politiques publiques d’aménagement du territoire depuis son indépendance, en 1960, montre l’absence d’une réelle volonté politique travaillant pour la promotion des territoires. Ainsi, le PNAT, tout comme l’ensemble des dispositifs de la décentralisation, dont le plus récent Acte III adopté en 2013, n’ont pas un réel effet sur les inégalités territoriales.

Plusieurs auteurs (Seck, 1970 ; Seck et Mondjannagni, 1975 ; Diop, 2006 ; Diakhaté, 2007 et 2011 ; Alvergne, 2008 ; ANSD, 2011) ont souligné ces déséquilibres à l’échelle du territoire national sénégalais. Et la plupart des travaux les plus connus qui mettent en évidence ces inégalités territoriales sont basés sur l’étude des limites et des failles des politiques d’aménagement du territoire, mais également sur des approches méthodologiques qui reposent essentiellement sur les statistiques à partir de données de recensement.

Ainsi, au Sénégal, dans la recherche et dans la littérature universitaire, les systèmes d’information géographique (SIG) sont jusqu’à ce jour utilisés de façon relativement marginale pour étudier ces déséquilibres. L’essentiel des documents qui introduisent de façon assez dynamique la cartographie dans des études d’aménagement du territoire sont des rapports ou des documents techniques produits par l’État, à travers ses ministères et directions (Ministère de l’Intérieur, 1989 ; DAT, 1999 ; etc.).

Cet article a pour objectif général de mettre en évidence les dynamiques de l’aménagement du territoire au Sénégal, plus particulièrement les processus territoriaux et sociospatiaux qui se développent à l’échelle régionale. L’approche ne consiste pas à faire une critique des indicateurs socioéconomiques. Elle ne consiste pas non plus à définir ou à proposer une politique d’aménagement du territoire au Sénégal. Il s’agit, en effet, de montrer les grandes tendances de la distribution spatiale des indicateurs socioéconomiques et les effets des politiques et pratiques d’aménagement du territoire au Sénégal à partir d’une méthodologie basée sur les SIG et la cartographie.

L’Acte III de la décentralisation, la nouvelle politique de décentralisation, est marquée, en plus de la communalisation intégrale, par la départementalisation et les « pôles territoires ». La région constitue alors un échelon intéressant puisqu’elle est intermédiaire entre l’échelon départemental et celui du pôle territoire. La plus grande disponibilité des données statistiques à l’échelle régionale justifie également ce choix.

La première partie de l’article présente la problématique et l’approche méthodologique adoptée. La seconde fait état des résultats obtenus à partir d’une analyse multivariée et des SIG. Enfin, dans la troisième partie, nous concluons notre démonstration en revenant sur les grandes lignes de nos résultats et en dégageant des perspectives.

Cadre conceptuel, théorique et approche méthodologique

Cadre théorique et conceptuel

La problématique tourne autour des questions d’inégalités territoriales dans un contexte de pays en développement d’Afrique subsaharienne. Le concept d’inégalités territoriales est défini comme « des différences entre les territoires étudiés, régionaux, départementaux, urbains ou les quartiers d’une ville » (Dupuy, 2011 : 278). On peut ainsi s’intéresser, comme dans le cadre de notre article, aux inégalités d’accès à des infrastructures sociales de base ou aux inégalités sociales (taux de mortalité infantile, pourcentage de la pauvreté, etc.) entre les régions sénégalaises. L’analyse théorique des inégalités, comme le souligne également Dupuy (2011), insiste sur le lien qu’elles entretiennent avec les acteurs publics et les politiques publiques. On peut identifier deux tendances sur les effets des politiques publiques : (1) les États participent à la production de nouvelles inégalités ou diffusent des inégalités existantes par leurs activités législatives ; (2) les États sont les acteurs centraux du développement de l’égalité des territoires par l’intermédiaire de leurs politiques de redistribution. Dans notre cas, en nous interrogeant sur le rôle des récentes politiques de l’État du Sénégal sur les inégalités territoriales, nous cherchons à comprendre dans quelle tendance les inscrire. Autrement dit, les politiques publiques sénégalaises contribuent-elles à renforcer les inégalités existantes ou cherchent-elles à les éradiquer ? Sur cette base, nous pouvons formuler notre première hypothèse, à savoir que les politiques publiques d’aménagement du territoire au Sénégal accentuent les inégalités territoriales entre les différentes régions.

Nous pouvons également évoquer l’approche théorique libérale, qui stipule que l’aménagement du territoire produit du développement économique et améliore les conditions de vie des populations (Alvergne, 2008). Il facilite le fonctionnement des producteurs, améliore la connexion entre les individus et les marchés et stimule l’activité économique. L’aménagement de meilleures infrastructures, comme le transport et l’approvisionnement en eau et en énergie, allège les coûts de production et améliore ainsi le développement. Notre seconde hypothèse, « les aménagements d’infrastructures favorisent la qualité de vie des populations et le développement économique », est à inscrire dans le champ de cette approche théorique libérale.

La construction du cadre théorique implique que nous revenions sur la signification du concept d’aménagement du territoire et que nous cernions ses liens avec les inégalités territoriales ou l’égalité spatiale, d’une part, et avec le développement des territoires et l’amélioration des conditions de vie des populations, d’autre part. Il importe également de comprendre comment les politiques publiques inflluencent les orientations de l’aménagement du territoire d’un pays (figure 1).

Figure 1

Liens entre les différents concepts du cadre théorique

Liens entre les différents concepts du cadre théorique
Source : Sène et Codjia, 2016

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La dimension nationale de l’aménagement du territoire

D’après Merlin, l’aménagement du territoire est « l’action et la pratique de disposer avec ordre, à travers l’espace d’un pays… » (2000 : 38-43). Ainsi, l’aménagement du territoire concerne avant tout l’échelle du territoire national. Il est donc, du point de vue de ses contenus, global par essence (Merlin, 2002).

Girardon, parlant de la politique de l’aménagement du territoire, fait mention « d’un acteur principal sinon exclusif, l’État, un territoire bien délimité dans des frontières nationales encore bien présentes et un projet de répartition harmonieuse des hommes et des activités » (2010 : 4). Il insiste également sur l’échelle nationale de l’aménagement du territoire, tout en spécifiant le rôle principal joué par l’État. En partant de ces définitions, nous justifions l’inscription de notre article sur l’ensemble du territoire national sénégalais en comparant tous ces territoires régionaux et en analysant les politiques d’aménagement du territoire menées par l’État.

L’égalité spatiale en aménagement du territoire

L’objectif prioritaire de la politique d’aménagement du territoire est de contribuer au rétablissement de l’égalité des chances sur le plan spatial. Cette forme d’équité suppose, pour les collectivités territoriales, des possibilités d’accès à toutes les infrastructures sociales de base (école, poste de santé, commerce, etc.), à l’emploi et aux ressources financières nécessaires pour assurer leurs fonctions (Merlin, 2002 : 24). Jean Gottmann, l’un des précurseurs d’une géographie au service de la justice spatiale, annonce en 1966 qu’en géographie, l’équité sociospatiale constitue le fondement de l’aménagement de l’espace (Gottmann, 1966 : 25).

Cependant, la recherche de l’égalité spatiale des chances se heurte aux arguments économiques, surtout dans les pays en développement où les impératifs du développement économique s’opposent, en général avec l’objectif d’équité spatiale (Merlin, 2002 : 24). Au Sénégal, par exemple, toutes les autoroutes relient les villes de l’ouest à la capitale Dakar, qui possède tous les échangeurs existant au pays. La région de Dakar concentre également, sur une superficie de 0,3 % du territoire national, 75 % des salariés et 95 % des entreprises industrielles et commerciales (Alvergne, 2008 : 70). Ces importantes inégalités expliquent l’usage de l’expression : « Dakar et le désert sénégalais ». Elles justifient également l’intérêt accordé aux travaux sur les inégalités territoriales au Sénégal.

La justice spatiale, une réponse aux inégalités territoriales

Selon l’approche adoptée, on peut retenir une définition redistributive de la justice qui correspond aux questions relatives aux distributions spatiales (de biens, de services, de personnes...) ou une dimension procédurale qui porte sur les questions de représentation de l’espace, d’identité (territoriale ou non) ou de pratiques (Gervais-Lambony et Dufaux, 2009 : 8). Ainsi, se trouvent mobilisées des approches relevant de l’analyse spatiale et d’autres propres à la géographie des représentations ou géographie culturelle. Notre étude s’inscrit plutôt dans la première approche.

Le recours à la notion de justice spatiale permet d’ouvrir une réflexion sur le sens et l’effet des politiques publiques territoriales au Sénégal. La justice spatiale est la finalité de la plupart des politiques d’action sur les territoires. Son lien étroit avec l’aménagement du territoire est donc réel. Lipietz (1999 : 217-232) nous conforte dans cette idée puisqu’il défend que son influence fut telle qu’on a pu considérer que l’aménagement du territoire et la recherche de la justice spatiale étaient strictement équivalents.

Finalité des SIG et de la cartographie

L’approche méthodologique employée pour décrypter les inégalités territoriales est essentiellement basée sur les SIG et la cartographie. On recense de nombreuses définitions des SIG, dont celle de Thériault (1992) qui stipule qu’ils constituent un ensemble de principes, de méthodes, d’instruments et de données à référence spatiale, utilisé pour analyser, modéliser, cartographier les phénomènes et les processus distribués dans l’espace géographique. D’autre part, Jean-Christophe François montre pourquoi et comment la cartographie est utile – voire indispensable – à qui veut mesurer, comprendre et, si possible, réduire les inégalités territoriales (François, 2013 : 193). Les SIG, qui constituent alors un outil de maîtrise de l’espace et des ressources, peuvent s’avérer très pertinents pour diagnostiquer, par l’analyse et la modélisation, l’aménagement du territoire d’un pays.

Méthodologie

Notre méthode d’analyse comporte trois volets. D’abord, nous avons réalisé la collecte de données. Les données recueillies proviennent de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) (ANSD, 2009, 2011, 2012, 2013 et 2014). Cette institution administrative est le service officiel des statistiques du Sénégal et est chargée de la production et de la diffusion des données statistiques.

Nos données sont constituées de 12 variables réparties dans les 14 régions administratives du Sénégal. Ces régions sont caractérisées par des superficies et une structure de peuplement inégales (tableau 1). Par exemple, la région de Dakar concentre plus de 3 millions de personnes sur une superficie de 550 km2, alors que Tambacounda n’enregistre qu’une population de 161 439 habitants sur une superficie de 42 706 km2. On note aussi une grande disparité des taux d’urbanisation des régions : par exemple, 97,3 % pour Dakar contre 51,1 % pour Ziguinchor et 13,6 % pour Fatick.

Tableau 1

Principales caractéristiques de la structure spatiale des régions du Sénégal

Principales caractéristiques de la structure spatiale des régions du Sénégal
Auteur : A. Sène. Source : ANSD, 2014

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Les variables retenues (tableau 2) sont globalement bien représentatives de l’ensemble des données actuelles disponibles sur l’accès aux infrastructures socioéconomiques de base (point d’eau, école primaire, poste de santé, commerce, route). Elles portent également sur quelques indicateurs démographiques pertinents comme le quotient de mortalité infantile, l’indice de fécondité, les taux d’alphabétisation et de scolarisation, l’incidence de la pauvreté en pourcentage de la population et le taux d’urbanisation. Tous ces indicateurs démographiques sont couramment utilisés pour déterminer la qualité de vie des populations. En déterminant leur corrélation avec les indicateurs d’accès aux infrastructures de base, par l’analyse factorielle, on a pu déduire les effets des politiques d’aménagement du territoire sur la qualité de vie des populations.

Le choix des indicateurs est lié, d’une part, à leur pertinence pour réaliser une étude des inégalités sociospatiales des différentes régions du Sénégal, mais également à leur disponibilité auprès de l’ANSD. Les régions sont constituées de populations urbaines et rurales (tableau 1). C’est ce qui justifie que nous ayons choisi des indicateurs à la fois issus du milieu urbain (taux d’urbanisation), du milieu rural (pourcentage de la population rurale ayant accès aux infrastructures de base) et de la moyenne régionale (taux de chômage, par exemple). Le tableau 2 indique la signification des termes des variables employées dans l’analyse pour des raisons techniques.

Tableau 2

Indicateurs utilisés dans l’analyse

Indicateurs utilisés dans l’analyse
Auteur : A. Sène. Sources : ANSD, 2009, 2012 et 2013

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D’autre part, nous avons réalisé une analyse multivariée, notamment une ACP à l’aide du logiciel SPSS. L’ACP permet d’établir des corrélations entre les variables et la détermination des axes factoriels. Elle permet une première appréciation de la distribution spatiale des indicateurs. Cependant, l’ACP exige certaines conditions qu’il est important de vérifier avant sa réalisation. La première concerne la normalité des données. Une fois celle-ci vérifiée, il faut s’assurer de deux des trois conditions suivantes : la valeur du KMO, le test de Bartlett et la matrice des corrélations (Le Moal, 2002). Le test de Kolmogorov-Smirnov indique que toutes nos variables ont une signification supérieure à 0,05, c’est-à-dire qu’elles ont une distribution normale. L’ACP présente un KMO relativement faible (0,317). En revanche, le test de sphéricité de Bartlett (valeur de 0,000) et la matrice des corrélations (environ huit variables bien corrélées entre elles sur un total de 12) sont satisfaisants. Les conditions étant réunies, l’ACP est donc réalisée.

En troisième lieu, à l’aide du logiciel ArcGis, des techniques de traitement de l’information spatiale et statistique sont appliquées. Cette section correspond à l’analyse de la distribution spatiale des territoires, des indicateurs démographiques et de l’accès aux infrastructures socioéconomiques de base. Cette analyse est suivie de la modélisation des résultats obtenus, toujours avec le logiciel ArcGis. Ici, l’analyse spatiale constitue un des cadres méthodologiques de la modélisation. Le modèle obtenu décrit en quelque sorte la spécificité de l’aménagement du territoire au Sénégal.

Enfin, en guise de perspectives, nous ouvrons la réflexion à partir des résultats obtenus sur les politiques actuelles d’aménagement du territoire.

Analyse des résultats

L’inégale répartition spatiale des variables socioéconomiques

L’ACP a permis de réduire la masse de données originales constituée de 12 variables en deux groupes représentés par les composantes 1 et 2. La cartographie de ces deux composantes et de certains indicateurs est effectuée sous ArcMap.

La composante de l’accès aux infrastructures sociales de base

Nous notons une forte corrélation entre les variables ou indicateurs d’accès aux infrastructures sociales de base (postes de santé, commerces, routes et points d’eau), mais aussi entre ces dernières et les taux d’urbanisation et de chômage. De même, nous relevons la corrélation inverse entre ce groupe de variables et celui relatif aux variables démographiques, à savoir les taux d’incidence sur la pauvreté, l’indice de fécondité et le taux de mortalité infantile. Ainsi, les régions à fort taux d’urbanisation présentent de meilleurs taux d’accès aux infrastructures de base, mais avec des taux de chômage plus élevés. Elles enregistrent également les plus faibles indices de fécondité, ainsi que les plus faibles taux de mortalité infantile et d’incidence de la pauvreté (figure 2).

Par ailleurs, nous notons une catégorisation des régions en pôles qui présentent une continuité par rapport à l’accès aux infrastructures de base (figure 3). Chaque pôle territoire, caractérisé par le regroupement de régions qui partagent les mêmes réalités géographiques, historiques et socioculturelles et disposent des mêmes potentialités économiques, présente les mêmes taux d’accès aux infrastructures de base.

Figure 2

Diagramme des saturations (corrélation variables – axes)

Diagramme des saturations (corrélation variables – axes)

Diagramme de composantes dans l’espace après rotation

Auteur : A. Sène. Sources : ANSD, 2009, 2012 et 2013

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Figure 3

Diagramme des scores (corrélation régions – axes)

Diagramme des scores (corrélation régions – axes)
Auteur : A. Sène. Sources : ANSD, 2009, 2012 et 2013

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Les pôles territoires montrent une continuité régulière dans la diminution de l’accès aux infrastructures de base suivant un gradient nord-ouest / sud-est. Ainsi, à la subdivision traditionnelle en littoral ouest / reste du pays s’ajoute une autre tendance suivant un gradient nord / sud en matière d’accès aux infrastructures de base (figure 4).

En effet, au Sénégal, il est connu que la plupart des investissements sont concentrés dans la partie ouest et centrale du pays au détriment des territoires du sud et de l’est du pays caractérisés par leur enclavement et leur éloignement de la capitale (Seck et Mondjannagni, 1975 ; Diakhaté, 2011).

Figure 4

Correspondance entre l’accès aux infrastructures de base et la composante 1

Correspondance entre l’accès aux infrastructures de base et la composante 1
Auteur : A. Sène. Sources : ANSD, 2009, 2012 et 2013

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La composante de l’éducation

Les variables les mieux corrélées positivement avec la composante 2 sont celles de l’éducation, correspondant à l’accès à une école primaire, aux taux de scolarisation et au taux d’alphabétisation (figure 2). Deux tendances sont observées (figure 3) :

  • une opposition entre le pôle Dakar-Thiès, présentant les meilleurs taux d’accès à une école primaire, à la scolarisation et à l’alphabétisation, et le pôle Diourbel-Louga, présentant les taux les plus faibles en matière d’éducation de base ;

  • une situation disparate dans tous les autres pôles, à l’exception du pôle fleuve (non corrélé avec cette composante).

Les régions disposant des meilleurs taux pour les variables de l’éducation se trouvent à l’ouest du pays, sur la façade atlantique, comme Dakar, Thiès, Fatick et Ziguinchor. À l’opposé, les régions du centre du pays (Diourbel, Louga et Fatick) sont caractérisées par des taux très faibles pour ces variables (figure 5).

Figure 5

Correspondance entre les facteurs de l’éducation et la composante 2

Correspondance entre les facteurs de l’éducation et la composante 2
Auteur : A. Sène. Sources : ANSD, 2009, 2012 et 2013

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Zonage du pays en six pôles territoires et trois grands ensembles géographiques

L’ACP fait ressortir trois grands ensembles et six pôles territoires aux caractéristiques suivantes.

  • Les régions du littoral ouest, sur la façade maritime, présentent les meilleurs taux d’accès aux infrastructures de base et aux infrastructures scolaires. Elles enregistrent ainsi les plus faibles taux de pauvreté et les meilleurs taux en matière d’éducation. On peut ainsi déduire qu’elles bénéficient de meilleures politiques d’aménagement du territoire.

  • Les régions du centre, notamment le pôle Diourbel-Louga et Kaffrine, se caractérisent par des taux d’accès aux infrastructures sociales élevés. Cependant, elles se particularisent par de très faibles taux d’infrastructures scolaires, de scolarisation et d’alphabétisation.

  • Les régions du sud-est (Tambacounda, Kédougou, Kolda et Sédhiou) sont marquées par des taux d’accès à des infrastructures de base très faibles, donc enregistrent, par là même, les taux de pauvreté les plus élevés. Elles ont toutefois des taux moyens en infrastructures scolaires. Il s’ensuit une fracture entre les aménagements relatifs au secteur de l’éducation (écoles primaires) et les autres types d’aménagements sociaux de base. Cette fracture se traduit par la division du reste du pays, distinct de la façade atlantique, en deux grands groupes : les régions du centre et celles du sud-est.

Effets de l’aménagement du territoire sur la qualité de vie des populations

La cartographie met en exergue le rôle prépondérant joué par l’aménagement du territoire dans la qualité et le niveau de vie des populations.

Effets des aménagements d’infrastructures de base sur la pauvreté

Nous notons un lien étroit entre l’accès des populations aux infrastructures sociales de base (représenté par les valeurs de la composante 1 dans la figure 6) et l’incidence de la pauvreté en pourcentage de la population. Les régions sud et sud-est du pays (figure 6), qui ont les taux les plus faibles d’accès aux infrastructures sociales de base (-1,48 à -0,34), enregistrent également les pourcentages de pauvreté les plus élevés (63,9 à 76,6 %).

Nos résultats mettent également en évidence l’effet positif de l’aménagement d’infrastructures de base sur la réduction de la pauvreté et sur l’amélioration de la situation sanitaire des populations via la réduction de la mortalité infantile et l’amélioration de la planification familiale par la baisse des taux de fécondité (figure 2). Cette tendance est rapportée par d’autres auteurs (Seck, 1970 ; Willoughby, 2003 ; Alvergne, 2008).

Figure 6

Taux d’accès aux infrastructures de base (composante 1) et pourcentage de la pauvreté des régions

Taux d’accès aux infrastructures de base (composante 1) et pourcentage de la pauvreté des régions
Auteur : A. Sène. Sources : ANSD, 2009, 2012 et 2013

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Effets des aménagements d’infrastructures scolaires sur l’éducation

Nous observons un lien étroit entre l’accès à une école primaire et les taux de scolarisation et d’alphabétisation. Si l’ACP montre la corrélation positive qui existe entre ces différents facteurs, la cartographie nous permet d’observer cette interdépendance de manière plus synthétique et visuelle. Ainsi, sur la figure 7, on peut observer que les taux de scolarisation augmentent en fonction de l’accès des populations à une école primaire. Les régions du centre du pays, qui enregistrent les pourcentages les plus faibles d’accès des populations à une école primaire, ont également les taux de scolarisation les plus faibles.

Figure 7

Pourcentage de la population ayant accès à une école primaire et taux de scolarisation dans les régions

Pourcentage de la population ayant accès à une école primaire et taux de scolarisation dans les régions
Auteur : A. Sène. Sources : ANSD, 2009 et 2012

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Effets de l’urbanisation sur la qualité de vie des populations

Si l’on note que la plupart des infrastructures de base sont construites en milieu urbain, dans le secteur de l’éducation, la tendance est plutôt vers un équilibre milieu rural – milieu urbain en matière d’infrastructures scolaires et de taux de scolarisation. En d’autres termes, ces variables ne sont pas corrélées avec le taux d’urbanisation (figure 2). Par exemple, les taux de scolarisation des régions de Kédougou et Sédhiou sont plus élevés que ceux de Thiès et Saint-Louis en dépit du fait que ces dernières sont de loin plus urbanisées (tableau 1). La région de Ziguinchor présente également des taux de scolarisation supérieurs à ceux de Dakar, la capitale (figure 7).

Cette tendance pourrait être due à une volonté de l’État de promouvoir une dynamique d’accès à l’éducation pour tous afin de réduire les disparités territoriales, notamment entre zones urbaines et rurales. Ainsi, une étude de Guèye et al. (2009) indique que d’importants progrès en termes d’accès à l’éducation, tant en milieu urbain que rural, ont été réalisés au Sénégal.

Nos résultats montrent également la corrélation positive entre l’urbanisation et l’accès aux infrastructures de base, et une corrélation négative avec la pauvreté, la mortalité infantile et l’indice de fécondité (figure 2). Ainsi, l’urbanisation jouerait plutôt un rôle positif pour stimuler le développement et réduire la pauvreté. Cette relation positive entre l’urbanisation et le développement économique est corroborée par d’autres travaux (Alvergne, 2008). Becker et al. (1994) ont montré que le tiers de la population africaine vit en zone urbaine alors que les centres génèrent plus de la moitié du produit national brut. Selon Njoh (2003), il existe une corrélation positive entre l’urbanisation et l’indice de développement humain calculé à partir du niveau d’éducation, de santé et du standard de vie.

Pour ces auteurs, l’urbanisation favorise la promotion d’activités comme les services, le commerce et l’industrie, plus productives que l’agriculture et à valeur ajoutée plus importante. Elle présente également l’avantage de réduire les coûts et d’engendrer des économies d’échelle et de proximité puisque la forte concentration d’individus et d’activités en un même lieu élargit la demande et favorise la création de nouvelles offres. Enfin, en entraînant une baisse des taux de mortalité et de fécondité, elle participe au développement.

Effets des récents découpages administratifs des régions sur la qualité de vie des populations

La figure 6 indique que les régions nouvellement créées font partie des plus pauvres et enregistrent les plus faibles taux d’accès aux infrastructures sociales de base. Ainsi, Matam créée en 2001 à partir de Saint-Louis, Fatick en 2008 à partir de Kaolack, Kédougou en 2008 à partir de Tambacounda et Sédhiou en 2008 à partir de Kolda présentent toutes des indicateurs de plus grande pauvreté que leurs régions d’origine (figure 6). Le morcellement des régions semble donc multiplier les inégalités existantes et entraîner leur précarisation.

Conclusion

Au delà de l’analyse factorielle, cet article est basé sur les SIG. Ces derniers présentent cependant certaines limites. S’ils ont permis d’analyser les indicateurs, ils n’ont toutefois pas permis de régler le problème de leur qualité. Ainsi, des efforts considérables ont été déployés afin de rassembler des indicateurs fiables et récents pour une analyse pertinente.

Nos résultats mettent en exergue un modèle déséquilibré où l’essentiel des infrastructures est concentré à l’ouest du pays, le long de la façade maritime. Il confirme ainsi les études antérieures qui ont souligné, presque à l’unanimité, le déséquilibre du territoire national sénégalais en faveur des régions de l’ouest (Seck, 1970 ; Diop, 2006 ; Diakhaté, 2011).

Les tendances observées révèlent de grands déséquilibres sociospatiaux. À la lumière des travaux sur la justice spatiale, notamment ceux de Gervais-Lambony et Dufaux (2009), la politique publique devrait plutôt s’orienter vers une justice redistributive afin de réduire les inégalités territoriales. Elle devrait permettre d’inscrire l’action publique dans une perspective de redistribution des investissements et des activités d’aménagement en vue de renforcer la cohésion nationale et de réduire les inégalités territoriales.

Les résultats montrent également qu’au-delà des disparités qui existent entre les différentes régions, on constate l’apparition de groupes de régions présentant les mêmes caractéristiques. Vu sous cet angle, l’aménagement du territoire au Sénégal ne devrait-il pas tendre également vers une perspective de recomposition des territoires en relation avec les dynamiques socioéconomiques émergentes ? Le projet de mise en place de la deuxième phase de l’Acte III de la décentralisation (Gouvernement du Sénégal, 2013) dont la finalité consiste, entre autres, à ériger des pôles de développement territoriaux au Sénégal (que nous avons montrés à la figure 3) semble être une orientation pertinente de la nouvelle politique d’aménagement du territoire sénégalais, même si elle reste encore aujourd’hui à l’état de projet.

Soulignons cependant qu’au cours des 15 dernières années, la tendance observée en ce qui a trait aux politiques d’aménagement est plutôt le morcellement de régions en des entités plus petites. Nos conclusions indiquent qu’il faudrait au contraire regrouper les régions sur des espaces plus vastes, en vue d’aboutir à des politiques territoriales plus cohérentes parce que tenant compte, justement, des déséquilibres territoriaux qui apparaissent. Le morcellement des régions semble plutôt créer ou multiplier les déséquilibres existants. La cartographie montre nettement que les régions nouvellement créées, à savoir Matam, Kaffrine, Kédougou et Sédhiou, figurent parmi les plus pauvres et enregistrent les plus faibles taux d’accès aux infrastructures sociales.

Si la justice spatiale est la finalité de toute politique d’aménagement du territoire (Gottmann, 1966 : 25 ; Lipietz, 1999 : 217-232), force est de reconnaître que les orientations politiques prises par l’État du Sénégal, au nom de l’aménagement du territoire, semblent plutôt cacher des enjeux politiques à finalité électorale. Cette approche politique, qualifiée de gerrymandering (Stroupe, 2009), consiste à redécouper le territoire électoral ou administratif de son État afin de favoriser son propre parti politique.

En général, la cartographie indique des déséquilibres sociospatiaux sur des territoires transrégionaux dont les solutions passent nécessairement par une approche plus transsectorielle (concertation entre les politiques d’aménagement et les politiques économiques et sociales), mais également par une approche plus transrégionale ou nationale. L’aménagement du territoire, comme l’indique Merlin, « concerne d’abord l’échelle nationale (le territoire national), mais qui englobe de fait des actions menées à des échelles plus limitées, mais dans une perspective globale d’optimisation de l’utilisation du territoire national » (1997 : 366). Des auteurs comme de Poix et Planel (2009) ont travaillé sur cette échelle d’analyse pour aborder les questions de justice spatiale posées par les politiques d’aménagement du territoire en Éthiopie. D’où l’intérêt de notre étude qui, tout en s’intéressant aux actions d’aménagement menées à l’échelle des régions, s’inscrit dans une politique nationale d’aménagement du territoire.