Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

Ce numéro d’Alternatives Sud vient à point nommé face à l’extractivisme ambiant dans les pays du Sud. Avec l’augmentation de la demande mondiale en ressources naturelles, l’exploitation des richesses du sous-sol s’est généralisée dans les pays du Sud, suscitant moult inquiétudes quant à la conduite des opérations dans un contexte de paupérisation des communautés riveraines.

Certes, les travaux, les publications, les rapports sur la façon dont l’extraction est faite abondent, mais il manque des analyses pointues sur les impacts socioéconomiques et environnementaux de la gestion et la gouvernance minière. L’ouvrage décrit les enjeux et les conflits issus de l’exploitation minière dans quelques pays du Sud en mettant en exergue le paradigme de la malédiction des ressources.

Les articles de cet ouvrage ont été regroupés en trois sections réparties sur trois continents: l’Amérique, l’Afrique et l’Asie. La conclusion axée sur l’Initiative de transparence pour les industries extractives (ITIE) et la Banque mondiale (BM) soulève la question des jeux d’intérêts cachés, des solutions vieilles (BM et entreprises minières) et nouvelles (organisations de la société civile [OSC]) et de la bénédiction donnée par ces organismes internationaux qui financent l’extractivisme.

Si, d’entrée de jeu, l’extractivisme est bien défini, il subsiste des pierres d’achoppement quant à son élargissement aux ressources agricoles et forestières. Néanmoins, l’industrie minière et l’extraction pétrolière traduisent une mondialisation dans les pays du Sud où l’on constate que les emplois supposés s’ensuivre, non seulement sont de mauvaise qualité, mais ne satisfont pas nécessairement les attentes placées en eux.

En Amérique latine, l’ambivalence du progressisme et les conflits miniers sont plus exacerbés, l’extractivisme y conduisant à des impasses. Les axes développés dans cette section apportent des connaissances sur le modèle latino-américain présenté sous le prisme de l’extractivisme progressiste et de la reprimarisation de l’économie de ces pays.

Pour l’Afrique, la malédiction des ressources est illustrée par les cas de deux géants miniers : l’Afrique du Sud et la République démocratique du Congo (RDC). Si l’on peut regretter l’angle abordé de la gouvernance, le constat est clair que les lois minières des pays du Sud font la part belle aux investisseurs et que les conflits miniers sont étouffés. Ainsi, des gouvernements, des entreprises minières et des organismes financiers se réfugient sous le label de la transparence et de la bonne gouvernance pour démontrer leur bonne foi. Brandie comme permis d’exploiter par les gouvernements du Sud, cette transparence cache en réalité l’impunité, le spectre de la faim et de la misère qui se propage dans les chantiers miniers à cause des conditions de vie indécentes. La faible qualification des emplois (Marikana en Afrique du Sud) engendre des conflits armés pour le contrôle des richesses minières (Est de la RDC, Sierra Leone, Afghanistan, Birmanie) sous prétexte de corruption.

Pour les cas étudiés, l’ouvrage occulte malheureusement les exploitations minières artisanales à petite échelle (EMAPE) qui, dans le contexte environnemental du XXIe siècle, sont toutes aussi dangereuses avec leurs incidences sociales : migrations intra et inter États mal organisées et déperdition scolaire dues à l’extractivisme, dont le contrôle échappe totalement aux États, qui ont tôt fait de considérer les territoires miniers comme des eldorados pour des populations croupissant dans la misère.

La partie sur l’Asie présente les modèles indonésien, philippin et afghan. Elle met l’accent sur les scandales géologiques, la question des indemnisations et la participation des populations et masses paysannes, par des consultations communautaires, aux prises avec des décisions sur l’exploration et l’exploitation de leur territoire. Elle soulève le paradoxe mines / agriculture et survie. L’Asie et les autres pays du Sud voient, dans le développement du secteur minier, à la fois de nombreuses opportunités économiques et une possible stratégie de renforcement de la souveraineté des gouvernements sur le territoire national. Toutefois, dans plusieurs pays, on observe une crispation nationale grandissante et une hostilité manifeste à l’égard de cette industrie. Les relations des communautés locales avec les gouvernements sont tendues et marquées par des tentatives de réappropriation de la ressource. L’extraction minière intensifie également les revendications des communautés locales qui en subissent les effets. Les peuples autochtones s’en trouvent étouffés et marginalisés.

En effet, les problèmes posés par les ressources minières, la radicalité ou l’exclusivité concédées par la loi aux entreprises minières, la configuration des territoires cédés légalement à l’extractivisme en termes de souveraineté et de limite écologique difficilement compensables ne peuvent qu’engendrer des chevauchements et des conflits : mines / forêts (RDC, Brésil, Bolivie), mines / aires protégées (Conga au Pérou, Yasuni en Équateur, Virunga en RDC), mines / exploitations agricoles / pêcheries (Philippines et Indonésie), mines / sites touristiques, toutes choses qui hypothèquent le développement supposé acquis par l’exploitation de ces ressources.

Cet ouvrage a néanmoins le mérite de rejoindre bon nombre de publications et de recherches sur l’industrie minière et le développement durable, sur l’analyse du cycle de vie et la portée globale des enjeux.

Configuré pour extraire à tout prix et vite au profit rapide de dirigeants lointains et au détriment des communautés locales, l’extractivisme est-elle une opportunité, comme le clament les gouvernements du Sud ? On peut en douter ! L’ouvrage révèle à quel point ceux-ci ne semblent pas préparés pour faire face à l’arrivée massive des investisseurs dans l’extraction parce que les cadres législatifs conduisent plus à un pillage des ressources naturelles qu’au développement communautaire. Quelles solutions envisager ?

Les tentatives d’installation de la surveillance et du contrôle ont été évoquées et semblent se solder par des échecs. Ainsi en est-il de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), de l’ITIE, des études d’impact environnemental taillées sur mesure, des processus de consultation des populations mal conduits, du processus de Kimberley.

Certes, tel qu’il est rédigé, l’ouvrage amène le lecteur à répondre par lui-même à la question : faut-il extraire à tout prix ? Cependant, tout n’y est pas dit. Pourquoi n’avoir pas choisi des modèles apparemment appréciés comme ceux du Ghana ou du Brésil (scandale Petrobras) ? Il a manqué une iconographie illustrant le dilemme de l’extractivisme et de la conservation dans ces pays, le paradoxe de l’extractivisme triomphant avec ses conditions et ses conséquences locales moins heureuses. Ne faudrait-il pas s’arrêter, négocier avec les communautés riveraines avant toute relance des activités extractives ?