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Il est toujours difficile de rendre compte d’un manuel, a fortiori d’une réédition qui, peu ou prou, le légitime.

L’ouvrage dirigé par Béatrice Giblin reste dans la continuité de la première édition, avec quelques actualisations liées à l’actualité. Le remplacement de la Belgique par l’Ukraine et l’entrée en scène du groupe armé État Islamique traduisent bien cette évolution. Autre ajout qui compense une faiblesse de la première édition : la prise en compte du cyberespace comme espace de conflit. Cependant, faut-il pour autant coller impérativement à l’actualité alors qu’on veut justement fonder une géographie scientifique des conflits ? Des « cas d’école » vieux de 20 ou 30 ans auraient alors légitimement leur place dans cet ouvrage.

On peut également s’interroger sur certains arbitrages entre les deux éditions : nos troupes s’étant retirées d’Afghanistan, est-ce à dire que ce conflit n’est plus « d’importance mondiale » comme on l’affirmait en 2011 ? Pas certain.

De même, la question frontalière du Ferghana a été supprimée. Cet espace mal connu chez nous permettait pourtant d’aborder un processus essentiel qu’on retrouve en divers points du globe et aurait probablement gagné à demeurer affiché. Dans le même temps, s’il s’agissait de rester dans un format raisonnable pour l’éditeur, persistent des affichages doubles du Kurdistan et de la Palestine peut-être envisageables en un seul chapitre, même si on comprend aussi le souci de ne pas déstabiliser le plan général de l’ouvrage.

Globalement, les choix de la directrice de ce manuel permettent cependant à des étudiants d’avoir une vision équilibrée de quelques-uns des espaces conflictuels majeurs de la planète, tout en attirant leur attention sur des régions et situations parfois peu représentées dans les médias : Karachi, le Soudan ou le Sahara occidental, par exemple.

Par contre, cette initiation qui répond à une louable volonté de mieux connecter la géopolitique aux études de géographie, réaffirmée dès l’introduction, souffre parfois de faiblesses de ce côté. C’est, par exemple, le cas avec une vision trop simple des représentations (p. 9) alors même que leur prise en compte est devenue essentielle dans les approches des débats et conflits spatiaux ; et l’introduction du cyberespace rend justement impératif de se poser la question des représentations. La notion de conflit aurait également mérité plus de deux pages de définition puisqu’on vise – très légitimement – à fonder géographiquement cette notion.

Du côté de la réalisation pratique, beaucoup de cartes ne mentionnent pas tous les lieux cités dans le texte (Rio, Karachi, Jérusalem), ce qui pose problème à des lecteurs peu au fait de ces espaces. Certaines (Palestine, p. 325) n’apportent qu’une information très limitée.

Enfin, une géopolitique qui a une prétention scientifique par sa capacité à généraliser (p. 25) ne doit-elle pas s’imposer une approche qui renforce les introductions de chacune des parties ou une synthèse après chaque cas pour les relier aux thématiques développées (ville, frontière, région, ressources) afin de poser clairement les éléments qui relient ces cas à d’autres, un peu partout dans le monde ? De même, le choix d’une bibliographie destinée à prolonger cette étude en fin de volume est clairement en rapport avec les prétentions pédagogiques de la collection. Mais cela ne dispense pas de citer ses sources dans le cours de l’étude alors que nous avons souvent des difficultés à obtenir cette rigueur de la part des étudiants…

Au final, si l’ouvrage ne répond pas à toutes les prétentions qu’il affiche, il n’en reste pas moins très solide. Il me paraît indispensable pour nos étudiants, mais aussi pour les non-spécialistes, et offre des ouvertures pour ceux qui envisageraient une spécialisation. On en recommandera donc la présence dans toute bonne bibliothèque universitaire.