Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

Par son thème attrayant, par la pluridisciplinarité qu’il propose, avec une vingtaine d’auteurs aux approches variées (géographie, histoire, sociologie, ethnologie, littérature, psychologie) et par les régions abordées (France, Europe, Canada, Brésil et Chili), cet ouvrage [2] s’avère d’une réelle richesse et d’une grande qualité d’édition et d’impression, malgré l’absence d’une conclusion et de renseignements sur les auteurs (discipline scientifique, établissement d’exercice, voire statut).

À une introduction d’une ampleur scientifique notable (Pascale Marcotte et Laurent Bourdeau) font suite 14 chapitres consistants, aux argumentaires plutôt économiques, plutôt écologiques, plutôt sociaux et culturels ou plutôt politiques. Cherchant à analyser le rôle et la perception de la route touristique, ainsi que son rôle dans le développement économique et social et dans la protection des patrimoines, les auteurs apportent divers éclairages.

La route touristique paraît finalement bien diverse dans ses formes. Évidemment linéaire, elle est un itinéraire à suivre, partiellement ou totalement, en une ou en plusieurs fois. Elle est représentée ici par les exemples de la route des vins (Alsace, Californie), de la Grande Route des Alpes, par des sentiers et des chemins très anciens (Saint-Jacques de Compostelle) créés récemment sur la base d’une route historique (Costa da Lagoa), ou encore en devenir (canaux de Bretagne).

Plus surprenante est l’organisation que peut prendre la route touristique sous forme d’un réseau de points : ainsi en est-il de la Route des villes d’eaux, qui met en contact et relie des stations thermales, sur le papier, et que la clientèle fréquente éventuellement d’une année à l’autre (Marie-Ève Férérol) ; ainsi en est-il aussi de ces « tournées » commémoratives militaires, de quelques jours mais régulières, de Canadiens sur des lieux dispersés et éloignés dans l’espace et dans le temps (Jean Martin).

Au-delà, en matière d’interactions réseaux-territoires, quelle est la contribution de cet ouvrage ?

Dans le sens de l’action des territoires sur ce type de réseau, on note bien que, par le biais de la route touristique, des acteurs contribuent à une mise en tourisme de lieux, d’espaces et de territoires. Ainsi, le chemin de Saint-Jacques est-il mis en exergue, parcouru avec lenteur à travers des paysages « ordinaires ». Mieux appréhender les paysages d’une région à traverser est un des buts de la Via Alpina (Sébastien Nageleisen) ou de la Grande Route des Alpes (Pierre-Olaf Schut et Eric Levet-Labry), laquelle, si elle a permis d’ouvrir des liaisons entre vallées, eut néanmoins comme objectif premier de considérer le déplacement comme une activité touristique et non pas comme un instrument de développement économique. Dans un genre différent, les visites commémoratives canadiennes mettent en tourisme des lieux de guerre, faisant aussi de leurs résidants actuels de nouveaux touristes.

Plus récemment et en Amérique, c’est la route du vin qui se met au service d’un tourisme gastronomique et de ventes directes à la propriété grâce à une promotion organisée des destinations viticoles et d’activités ludiques (oenotourisme en Californie, Sophie Lignon-Darmaillac) : l’économique l’emporte sur tout pour valoriser un produit, des entreprises ou un territoire, et la coordination des acteurs locaux est le facteur essentiel.

La patrimonialité est un marqueur fort de l’itinéraire culturel (Sylvie Miaux) et le rôle identitaire attribué à la route touristique ressort fortement. Quand l’Europe soutient le développement d’itinéraires, il s’agit bien d’un projet politique destiné à promouvoir les fondements de l’identité et de la citoyenneté commune de ses habitants, à inciter ceux-ci à redécouvrir leurs racines et à faire de l’itinéraire un porteur de valeurs (dialogue, participation, égalité dans la diversité) (Eleonora Berti) ; quand la route touristique actuelle se calque sur l’itinéraire qui fut vecteur de colonisation et de développement (Virgínia Gomes de Luca et Alina Gonçalves Santiago), le lien patrimonial est évident. L’inscription au Patrimoine mondial a incité les autorités de La Chaux-de-Fonds et du Locle à créer une « route » (Nicolas Babey et François H. Courvoisier), et dans le cas des stations thermales, ce sont les acteurs locaux qui tentent, en réponse à une crise aiguë, de les revitaliser autour du bien-être, de la remise en forme et du patrimoine.

Avec le chemin du Bio-Bio (Hugo Capellà Miternique), est abordé le parcours symbolique de cet itinéraire fluvial considéré par son peuple à la fois comme voie d’articulation du territoire, qui en est devenue plus tard une limite marginale, et comme marque de mémoire. Étonnants sont les rapprochements faits et les coïncidences constatées avec le chemin de Saint-Jacques, pourtant dans l’autre hémisphère, en Europe et sur le temps historique long… De même, l’imaginaire géographique fut, parmi d’autres facteurs, un moteur des grands voyages historiques (Marco Polo, chemins d’Orient, Grandes Découvertes), comme il est de nos jours moteur du tourisme international et acteur essentiel d’une mondialisation qui suppose le respect de l’autre (Guy Mercier). L’essor du tourisme d’exploration (slow tourism) se trouve soudain confronté au rôle joué actuellement par les nouvelles technologies de communication (téléphone portable, GPS, etc.) qui tendent à ôter au touriste toute part d’incertitude et d’inconnu dans ce qui est pourtant attendu comme un lieu et un moment d’expérience personnelle. La route ainsi aseptisée n’est-elle pas alors un risque pour l’existence même du tourisme (Richard Voase) ?

Quant à l’action du réseau sur les territoires et des routes touristiques dans le développement local, elle apparaît finalement classique, avec des retombées économiques positives, mais assez faibles : réelles et rapides pendant quelques années avant de décliner ensuite (La Chaux-de-Fonds) et, sur un temps plus long, réelles en matière de regain d’attrait économique et de valorisation du patrimoine (stations thermales).

L’ouvrage fournit également de quoi alimenter la connaissance en matière de structuration des territoires : notamment en matière d’ouverture (Santa Catarina) ou de fermeture (par sanctuarisation et préservation à Costa da Lagoa – Alina Gonçalves Santiago et Gabriel Santiago Pedrotti), en matière de production de territoire (territoire oenotouristique autour d’entreprises ou de patrimoine et de paysages), en matière de rééquilibrage touristique souhaité (les canaux de Bretagne considérés comme épine dorsale d’un tourisme intérieur breton – Manuelle Aquilina et Claire Mahéo).

Tant par chacun de ses articles que par la connaissance du tout et de ses contributions, l’ouvrage Les routes touristiques constitue une belle référence.