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Ce livre collectif, qui, outre la préface de Paul Claval, regroupe 17 contributions provenant essentiellement d’auteurs français, québécois et brésiliens, offre en quelque sorte un bilan de la contribution de Benko à la réflexion contemporaine sur les territoires. Chaque auteur effectue ce bilan à sa manière. Alors que certains chapitres sont des études de cas qui puisent dans les idées de Benko sur les capacités territoriales, d’autres décrivent l’influence de Benko sur un programme de recherche particulier, et d’autres encore font référence de façon marginale à Benko pour ensuite développer des nouvelles idées sur les régions.

La première impression que laisse cet ouvrage est donc celle d’une collection un peu hétérogène de contributions qui auraient pu bénéficier d’une ligne directrice un peu plus marquée. Cette collection est cependant d’un grand intérêt car, tout en rendant hommage aux idées de Georges Benko, elle en souligne aussi les limites – ou du moins les limites dans la manière dont ont été appropriées ses idées. En effet, ce qui est le plus souvent retenu des travaux de Benko est l’approche par le territoire, sa conceptualisation de régions non comme des éléments plus ou moins indifférenciés sur un échiquier géoéconomique régi par l’accessibilité, la distance et les facteurs d’agglomération, mais comme des acteurs à part entière capables de générer de façon endogène leur développement en puisant dans leurs propres ressources, institutions et savoir-faire.

Or, dans bon nombre de contributions – et je pense notamment à celles de Pecqueur, Fontan et al., Loinger, Silveira et Scott –, on sent que les auteurs ont du mal à réconcilier la région comme actrice de son propre développement avec la réalité de son positionnement non seulement dans les flux globaux, mais aussi dans les champs d’influence plus locaux à l’échelle d’ensembles régionaux et de pays. Certains, comme Fontan et al. offrent des conceptualisations originales pour réconcilier ces facteurs de développement multiscalaires et parfois contradictoires : pour eux, le capital socioterritorial englobe à la fois les facteurs et réseaux locaux et la capacité des acteurs locaux à mobiliser les facteurs et réseaux à l’extérieur de la région.

C’est ici, à mon avis, qu’on atteint la limite de l’approche par le territoire et qu’il devient utile de faire appel aux tout premiers outils qu’a mobilisés Georges Benko, à savoir, comme le rappelle Paul Claval, les outils économiques des sciences régionales. En effet, il suffit de reconnaître que la capacité des acteurs locaux à mobiliser les ressources externes à la région est en partie dépendante de l’accessibilité de cette région aux autres régions, et de décomposer cette accessibilité selon les coûts et les modes de communication, pour retomber sur certains préceptes fondamentaux de la théorie de la localisation – approche qui est presque évacuée de cet ouvrage, mais dont la présence se fait sentir dans la plupart des contributions.

En somme, ce livre démontre à la fois la grande influence de la pensée de Georges Benko et la manière dont un paradigme – quel qu’il soit – atteint ses limites. Je suis persuadé que Benko était bien conscient que le territoire et ses dynamiques internes n’expliquent pas tout, et que son oeuvre faisait donc partie d’une rhétorique plus large visant à replacer les régions au coeur de l’analyse géographique et économique. En cela, il est parvenu à ses fins. Cependant, si nous, comme héritiers de Benko, voulons approfondir notre compréhension des dynamiques de développement régional, il s’agit aussi de nous détacher de cette rhétorique et revisiter (et remettre au goût du jour) certaines approches conceptuelles et analytiques contre les excès desquelles Benko s’est senti obligé d’argumenter.