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Le projet de cette équipe consiste à développer une « démarche pragmatique visant à dépasser une approche strictement procédurale de la question de la participation publique » (p. 10). Autrement dit, par-delà les prémisses du tournant communicationnel en aménagement et en planification urbaine, on entend mettre en question les effets de la participation, notamment sur la transformation de l’action urbaine et l’intégration des objectifs du développement durable dans les pratiques urbanistiques.
Le projet de recherche exposé dans le recueil se comprend d’abord et avant tout comme un retour réflexif sur les tentatives d’établir, dans les trois villes – Grenoble, Lyon et Montréal –, les fondements d’un aménagement durable. On y définit le développement durable comme « un principe d’action central pour l’aménagement et l’urbanisme » (p. 13). Le deuxième principe sur lequel la démarche s’appuie est l’approche participative. L’introduction du recueil est d’ailleurs l’occasion de revenir sur les mérites du courant communicationnel en aménagement. Deux hypothèses sont avancées. Qualifiées de réfutables, malgré le fait qu’elles soient aussi présentées comme des « posture(s) de recherche », elles sont aussi décrites comme évolutives, puisqu’elles ont été « affinées en cours de recherche » (p. 17). Les hypothèses sont surtout l’occasion de mesurer les effets du discours du développement durable – ce concept faible mais utile, selon moi – sur l’action publique en matière d’urbanisme et de planification. Disant cela, il faut reconnaître que cet ouvrage s’adresse à un public restreint, mais très intéressé, celui des chercheurs et des experts qui s’interrogent sur les pratiques participatives en aménagement et en urbanisme.
La première hypothèse postule que la congruence des politiques publiques affectées au développement durable « ne peut se mesurer uniquement à l’aune du contenu substantiel de ces politiques » (p. 16). Elle est l’occasion de revenir sur l’articulation des trois sphères du développement durable, présentée ici sous l’angle d’une mise en tension de l’économie, du politique et de l’environnement. La seconde hypothèse défend la participation publique comme le meilleur moyen de mettre en tension ces trois composantes du développement durable urbain. La démarche, originale en soi, conçoit la participation comme le vecteur du développement durable. Dans cette optique, les auteurs proposent d’évaluer les effets de la participation sur les apprentissages (faits par les acteurs collectifs et individuels) et sur la prise en compte d’enjeux dits orphelins dans les processus de planification, ce qu’ils conçoivent comme une « inflexion des politiques vers un développement plus durable » (p. 22-23). La question ainsi posée est de savoir si la participation a permis de faire émerger des enjeux orphelins et de produire davantage de cohérence entre les problèmes et les solutions tirées par les politiques publiques.
C’est donc à travers l’analyse des dispositifs de participation des trois villes que les hypothèses sont testées. Il faut souligner ici l’effort d’établir une grille d’analyse commune, qui se décline en niveaux d’analyse, dimensions et indicateurs. Il s’agit, à mon sens, de la contribution majeure de l’étude. Le degré d’institutionnalisation, l’implication de la participation dans le processus de participation, le fonctionnement interne des arènes de participation, l’apprentissage collectif sont, parmi d’autres, les dimensions retenues. Les politiques publiques en sortent-elles transformées ? Telle est la question qui occupe finalement le point central de l’analyse. Au regard des trois cas abordés, la réponse est mitigée. Que ce soient le plan de déplacement de Grenoble, le schéma de cohérence territoriale (SCOT) de Lyon ou le plan d’urbanisme de Montréal, les processus étudiés, assimilables à des politiques publiques de développement durable, paraissent décevants au vu du dépassement de l’approche procédurale. À l’exemple de Montréal, où la consultation sur le plan d’urbanisme a suscité « une forte mobilisation […] le suivi de la mise en oeuvre mobilisait peu les mêmes acteurs » (p. 148). Autrement dit, l’apprentissage de la consultation ne se prolonge pas dans la mise en oeuvre. Pour connaître le cas de Montréal, je ne peux qu’acquiescer à leurs constats. Le risque est, à mon sens, de surestimer le rôle de la participation (très forte à Montréal, je le reconnais) : les grands forums participatifs débouchent sur des énoncés de politiques publiques en matière de développement durable, mais suivis de bien peu d’actions et de réalisations.
Les chapitres V et VI nuancent ce premier constat critique de l’élaboration des politiques publiques associées au développement durable. Les auteurs y traitent de l’institutionnalisation de la participation publique (les processus, les règles, les tensions et les évolutions), pour enfin aborder les limites de la participation, notamment au regard de l’expertise. Ils mettent en évidence le rôle des techniciens, qui semblent bénéficier le plus des apprentissages collectifs. Ce constat de l’étude est certainement l’un des plus significatifs. Le chapitre VI traite de l’assujettissement (l’obligation légale) de l’élaboration des politiques à des processus de participation et, par-delà, à un dispositif constitué d’instances, de règles et de procédures. Les auteurs décortiquent par la suite les trois situations étudiées en commentant de façon approfondie et nuancée le sort des enjeux orphelins (énonciation et intégration dans la mise en oeuvre des politiques publiques, ainsi que la mise en cohérence intersectorielle (en tenant compte des échelles et de la temporalité des processus). On peut en conclure à la richesse des démarches de participation : la profondeur du débat public et son impact sur l’énoncé des politiques publiques sont avérés.
En conclusion, les auteurs reviennent sur les deux hypothèses. Ils démontrent, dans un commentaire étoffé, comment la participation contribue, comme procédure et dispositif, à la mise en tension des trois dimensions du développement durable dans les systèmes politiques. L’institutionnalisation de ces procédures et dispositifs participatifs sur les enjeux propres au développement durable est soulignée. Il en va de même des apprentissages collectifs découlant des processus qui, d’une certaine façon, assurent que ces mêmes enjeux seront pris en compte à l’avenir. La nature institutionnelle et procédurale des processus participatifs contribue finalement au renouvellement de la vie démocratique. Il reste toutefois que, comme le confirment les pages consacrées au cas de Montréal que je connais, l’effort participatif semble s’arrêter à la mise en oeuvre de ces politiques publiques chargées des prémisses du développement durable. En somme, des processus riches de débats, une vie démocratique ouverte aux citoyens, des politiques publiques imbibées d’enjeux associés au développement durable n’ont pas suffi à imprégner les phases de mise en oeuvre. Le projet de recherche de cette équipe avait pour objet de cerner les termes du débat public et ses effets sur l’élaboration des politiques. On peut souhaiter que leur prochain champ d’investigation porte sur les processus de mise en oeuvre, sur les interventions qui ont un réel potentiel de changer l’aménagement urbain et, par-delà, la vie des gens.