Comptes rendus bibliographiques

SARAZIN, Jean-Yves (2012) Cartes et images des nouveaux mondes. Paris, Gallimard, 48 p. (ISBN 978-2-0701-3805-0)[Notice]

  • Christian Grataloup

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  • Christian Grataloup
    Institut de géographie – Paris

La bibliothèque nationale de France (BNF) a organisé à Paris, d’octobre 2012 à janvier 2013, une remarquable exposition sur les portulans : L’âge d’or des cartes marines. Quand l’Europe découvrait le Monde. On peut encore en faire la visite virtuelle sur le site http://expositions.bnf.fr/marine. Le fonds de la BNF est très riche en cartes anciennes, particulièrement en portulans, grâce aussi aux achats d’Edme François Jomard, le créateur du Département des cartes et plans en 1828, mais aussi grâce à l’héritage royal français. En plus du catalogue, cette exposition a suscité plusieurs ouvrages. En particulier, Jean-Yves Sarazin, actuel successeur de Jomard, a réalisé un très beau livre, Nouveaux Mondes (BNF/Bibliothèque de l’image, 2012), dont il a décliné une version plus petite, Cartes et images des Nouveaux Mondes (Gallimard / BNF, 2012). Ce dernier ouvrage cache bien son jeu. Sous un format très modeste (17x12 cm), il réussit à présenter des cartes beaucoup plus grandes grâce à des jeux de pliage qui rendent la lecture presque ludique. On commence ainsi par « L’Orient merveilleux de Marco Polo » qu’illustrent deux reproductions du principal trésor de la BNF, l’Atlas catalan (v.1375), développées sur 46 cm de long. Six autres doubles pages sont ainsi disposées en long et deux autres en hauteur. Grâce à ce moyen, habituellement réservé aux éditions jeunesse, mais qui s’avère ici très pratique, on peut contempler des reproductions de bonne taille de merveilleuses cartes anciennes. Il n’y a pas là qu’un simple procédé ludique. Il s’agit bien de mettre en scène, donc en perspective, la vision que les Européens (se) construisent progressivement des territoires lointains. C’était d’ailleurs le fil conducteur de l’exposition, dont Sarazin fut l’un des commissaires. L’accent n’a pas été mis sur l’aspect technique des marteloires (treillages de lignes de rumb à partir de roses des vents) qui structurent les cartes-portulans, mais sur la pensée, la découverte, la maîtrise intellectuelle des lieux éloignés de l’Europe. D’où l’association, dès le titre, des cartes et des images. D’où aussi le fait qu’il s’agit bien des Nouveaux Mondes, des ailleurs de l’Europe. Cette vision de l’histoire cartographique la décharge de toute prétention universaliste, comme le laisse trop souvent penser une historiographie positiviste centrée sur les progrès techniques de la cartographie. Le petit livre de Sarazin n’est donc pas qu’une collection de belles images. C’est aussi une réflexion sur l’outre-mer du Vieux Continent. En très peu de pages, on passe de la rêverie de l’Orient engagée par Marco Polo, qui ouvre logiquement le parcours, au contournement de l’Afrique, montré avec le Planisphère nautique de Nicolo de Caveiro (v.1505), au partage de Tordesillas, avec celui de Domingos Texeira (1573), puis à la vision globale des mondes éloignés, que traduit l’usage générique du terme « inde », illustré (le mot est faible) par les extraordinaires Atlas Miller (1519) et Cosmographie universelle de Guillaume Le Testu (1555). Un bref passage, « Les Amériques, une épopée française », n’oublie pas Jacques Cartier et Nicolas de Villegagnon. Pacifique et terres australes closent logiquement le parcours. Petit livre, grande ouverture d’esprit : en mettant l’accent sur les représentations mentales mises en scène par la cartographie plus que sur la technique, Sarazin nous propose une perspective qui, simultanément, « provincialise » l’Europe et montre la spécificité de la mondialisation qu’elle a effectivement produite à l’aide de ces cartes.