Comptes rendus bibliographiques

FONTAN, Jean-Marc, HAMEL, Pierre et MORIN, Richard (2012) Ville et conflits. Action collective, justice sociale et enjeux environnementaux. Québec, Presses de l’Université Laval, 227 p. (ISBN 978-2-7637-1501-8)[Notice]

  • Benoît Morissette

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  • Benoît Morissette
    Centre de recherche en éthique, Université de Montréal

Dans Ville et conflits, Jean-Marc Fontan et ses coauteurs s’interrogent sur les déterminants et la portée des actions conflictuelles contemporaines. L’analyse des mobilisations s’étant déroulées à Montréal depuis les années 1980 les incite à conclure que les mouvements sociaux s’avèrent désormais incapables d’engendrer de véritables transformations politiques. L’affaiblissement de leur « potentiel révolutionnaire » s’explique par leur institutionnalisation, c’est-à-dire leur intégration à la structure décisionnelle propre à l’État-providence et l’économie capitaliste. Les auteurs parviennent à ce constat au terme d’une analyse comparative comprenant un volet historique et un volet sectoriel. Ils dressent d’abord un portrait historique des mobilisations ayant eu lieu à Montréal depuis le XIXe siècle jusqu’aux années 1980. Ce bilan aspire à démontrer que les actions collectives ont contribué à l’avènement de la modernité et à la construction de l’État-providence. Elles sont parvenues à instaurer des modes d’organisation des rapports sociaux égalitaires par l’entremise de politiques sociales favorisant l’accès universel à des biens publics. L’adoption de ces mesures nécessitant toutefois des compromis avec l’élite économique, ces mouvements ont simultanément abandonné leurs revendications en faveur d’une solution de rechange au capitalisme, au profit de positions « réformistes ». Cette analyse historique permet de contraster l’effet de ces mobilisations avec celui des luttes sociales et environnementales survenues à compter des années 1980. Cette période correspond à l’avènement du néolibéralisme, qui se traduit institutionnellement par le rééchelonnement de l’État-providence, des politiques sociales accentuant la responsabilisation individuelle plutôt que l’accès aux droits sociaux, et à la mondialisation de l’économie. Les conflits qui retiennent l’attention des auteurs dans les champs d’action étudiés sont : les oppositions aux réformes de l’aide sociale et l’adoption de la loi-cadre provinciale visant à éliminer la pauvreté, les mobilisations entourant la démolition de l’échangeur des Pins, le transfert des vols de l’aéroport de Mirabel vers Dorval, l’opposition à la construction du pont de l’autoroute 25 et le réaménagement de la rue Notre-Dame. Ces études de cas démontrent que ces oppositions n’ont pas su faire obstacle aux politiques sociales et économiques néolibérales. De plus, les mobilisations environnementales n’ont pas réussi à surpasser les préoccupations locales des résidants pour s’articuler à un discours politique mettant en question les causes structurelles de la dégradation environnementale. Finalement, aucun mouvement ne propose de véritables solutions de rechange à l’État libéral et au capitalisme. Ces échecs témoignent de l’anachronisme des luttes contemporaines, dont les actions se déroulent d’ailleurs dans le centre-ville de Montréal, siège du pouvoir économique. Les auteurs affirment qu’ils tentent ainsi de recréer symboliquement l’espace du dialogue corporatiste propre à l’État-providence, une structure politique qui appartient au passé, d’après eux. Or, la rue ne constitue pas l’unique scène sur laquelle s’activent les mouvements sociaux. Ils participent également à la production des politiques publiques au sein d’instances comme le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) ou l’Office de consultation publique de Montréal. Ces activités sont presque passées sous silence dans l’ouvrage. Ces organismes publics résultent pourtant d’un développement institutionnel auquel ont bel et bien participé les acteurs politiques étudiés. Ainsi, l’institutionnalisation des mouvements semble simultanément avoir entraîné une conséquence « inattendue », comme la désigne Charles Tilly : la démocratisation du pouvoir politique.