Comptes rendus bibliographiques

PAQUET, Suzanne et MERCIER, Guy (dir.) (2013) Le paysage entre art et politique. Québec, Presses de l’Université Laval, 276 p. (ISBN 978-2-7637-1686-2)[Notice]

  • Bernard Debarbieux

…plus d’informations

  • Bernard Debarbieux
    Département de géographie et environnement, Université de Genève

L’intérêt croissant (l’obsession ?) de nos sociétés contemporaines pour le paysage est bien marqué depuis quelque temps déjà : la « demande sociale en paysage » semble toujours plus manifeste dans les pratiques touristiques et résidentielles ; l’implication des professionnels du paysage dans le projet urbain mais aussi, et de plus en plus, dans le projet de territoire, semble toujours plus forte ; le déploiement des politiques publiques qui ciblent le paysage comme objet semble toujours plus spectaculaire. Il y a quelques années, j’avais proposé de voir dans ce phénomène plus qu’une intensité croissante dans les références aux paysages, mais « un tournant dans la façon qu’ont les sociétés contemporaines de se penser elles-mêmes et de penser leur inscription matérielle par l’entremise de la représentation et de l’action paysagère ». J’avais alors proposé de parler d’« empaysagement » pour désigner ce tournant. À suivre à distance les publications en géographie, et plus généralement dans les sciences sociales, j’en viens à me demander si l’on n’assiste pas symétriquement à un empaysagement de la pensée académique. Je ne suggère pas ici que les chercheurs mettraient leurs curiosités et leurs interrogations en phase avec celles de la société dans son ensemble ; le contraire serait surprenant et sans doute inquiétant pour des chercheurs de sciences qui se veulent sociales qui, à ce titre, se veulent, au moins pour partie, au service de la société. Je suggère plutôt que des questions sociales et spatiales qui auraient été abordées d’une certaine façon il y a, disons, 15 ans, le sont de plus en plus sous l’angle paysager. Je suggère ainsi que les chercheurs, tout comme les aménageurs d’ailleurs, tendent à penser ou présenter leurs objets et les compositions de leurs objets toujours plus sous l’angle paysager. Il en résulte tantôt des propositions stimulantes, tantôt des reformulations cosmétiques de choses bien connues. Il en résulte aussi des ouvrages qui tantôt renouvellent profondément le champ de l’analyse, tantôt adoptent le paysage comme bannière pour envelopper des propositions passablement hétérogènes. L’ouvrage coordonné par Suzanne Paquet et Guy Mercier présente plusieurs de ces caractéristiques. Intitulé Le paysage entre art et politique, il regroupe huit textes, dont un pour chacun des directeurs d’ouvrage, plus une introduction rédigée par eux. Le titre suggère que les contributions ont fait l’objet d’un cadrage commun et que les contributeurs ont reçu pour consigne de se positionner vis-à-vis de ce cadrage. En fait, on serait bien en peine de déduire un tel cadrage de la lecture des textes ; quant à l’introduction, toute intéressante qu’elle soit, elle n’éclaire pas non plus les conditions dans lesquelles la commande aurait été passée aux auteurs. Il en résulte un ensemble de textes qui traitent rarement d’art, de politique et de paysage tout à la fois, et qui explicitent rarement de quel type de politique (policy, politics, polity) ils parlent, quand ils parlent de politique. De ce point de vue, cet ouvrage apporte moins que la génération de livres consacrés aux rapports entre paysage et politique par quelques-unes des figures emblématiques de la « Nouvelle géographie culturelle » de langue anglaise des années 1990, figures parfois citées, comme Denis Cosgrove ou James et Nancy Duncan, parfois étonnamment ignorées comme Kenneth Olwig, pourtant central sur ce thème. Le paysage entre art et politique n’est donc pas une somme collective qui couvre un large éventail de propositions articulées autour d’une même question, ni même un jeu de textes susceptibles de se répondre les uns les autres. Il s’agit d’un regroupement de textes de nature très différente, plus ou moins illustratifs de la question suggérée par le titre d’ensemble. …