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Le livre Transnational dynamics in Southeast Asia est issu d’un large projet de recherche lancé en 2008 sur les dynamiques transnationales et les redéfinitions territoriales en Amérique centrale et en Asie du Sud-Est et appuyé financièrement par l’Agence nationale de la recherche (ANR, France) ainsi que l’Agence française de développement (AFD). L’objectif de ce chantier, et donc la ligne directrice centrale de ce livre, était de mieux comprendre le rôle joué par les corridors économiques dans le processus d’intégration régionale à l’oeuvre (p. xvii). Rédigé par Nathalie Fau et ses collègues, l’ouvrage rassemble 20 chapitres qui abordent cette question à tous les niveaux géographiques en utilisant deux grandes régions d’Asie du Sud-Est : d’une part, la région du Grand Mékong (Greater Mekong Subregion – GMS), terme défini par la Banque asiatique de développement (BAD) qui a d’ailleurs forgé le concept de corridor de développement économique, en 1992, et d’autre part, la région des détroits de Malacca.

L’ouvrage est organisé en cinq parties. La première met en quelque sorte la table : après une discussion des concepts et de la terminologie développés autour de ces processus d’intégration transnationale (Nathalie Fau), sont présentées les deux régions dans leur ensemble ainsi que les grands projets et les dynamiques d’intégration qui les animent. Les trois parties suivantes sont constituées d’études de cas. Dans un premier temps (partie II), des spécialistes de chaque pays passent en revue les politiques nationales reliées à l’intégration régionale : la province du Yunnan en Chine (Sébastien Colin), le nord du Vietnam (Marie Mellac), le Laos (Bounthavy Sisouphanthong), la Birmanie avec le cas de l’État Shan (Ella Vignat), l’île de Sumatra en Indonésie (Muriel Charras), ainsi que la Malaisie péninsulaire (Nazery Khalid). Ensuite (partie III), cinq paires de villes, « villes-jumelles » ou « paires-urbaines » sont examinées, les contextes variant entre les villes frontalières (par exemple, Lao Cai – Hekou à la frontière sino-vietnamienne, par Caroline Grillot) et des situations urbaines nationales (Ipoh et Kuala Lumpur en Malaisie, par Amel Farhat). La partie IV présente trois chapitres plus spécifiques sur le cas laotien, qui est au coeur de cette GMS, et aussi de plusieurs des corridors définis et graduellement mis en place avec le concours de la BAD. Deux chapitres concluent en comparant, d’un côté, les dynamiques transnationales (Christian Taillard) et, de l’autre, les dynamiques d’acteurs qui se présentent à plusieurs niveaux géographiques (Nathalie Fau).

Sur une note critique, on peut trouver dommage que la cartographie, au premier abord réalisée selon les règles de l’art, soit trop souvent gâchée par des caractères trop petits, parfois illisibles. Aussi, un très grand nombre de passages (plus d’une quinzaine), en particulier dans la première moitié du livre, ont mal vieilli depuis l’écriture des chapitres – vers 2009 pour certains ! Par exemple, les références chronologiques à des événements futurs en … 2010 (publication du livre en 2014), ou passés (il y a neuf ans… quand ?) auraient dû être ajustées.

Nonobstant ces critiques, l’ouvrage, très riche, intéressera géographes et autres spécialistes des échanges et du développement économiques. Au départ, on a certes parfois l’impression, en raison du style des chapitres introductifs et contextuels, que le livre sert en quelque sorte à faire l’apologie du programme mis en oeuvre par la BAD en 1992 et de ses différentes ramifications néolibérales : « The challenge remains on how to transform all of these corridors into fully fledged economic corridors that can attract investment and generate economic activities in remote areas […] » (p. 102). Toutefois, la richesse des études de cas et le caractère beaucoup plus nuancé des chapitres de conclusion permettent d’y voir plus clair entre les visions globales de la BAD, celles des autres contributeurs, en particulier les États nationaux, dont la Chine qui se retrouve en position de pivot pour tous les corridors nord-sud de la péninsule indochinoise, et celles des acteurs locaux. Nathalie Fau conclut, à la lumière de toutes les études de cas, que même si la région des détroits de Malacca est depuis longtemps intégrée à l’économie mondiale, les progrès récents en termes d’intégration régionale restent mineurs en comparaison de ceux, beaucoup plus rapides et vigoureux, qu’on peut observer dans la zone continentale, dont les réseaux commerciaux avaient été en grande partie démantelés pendant les périodes coloniales, de décolonisation et de guerre froide (p. 512). Au final, loin d’y perdre au change dans cette intégration suprarégionale, ce sont bien les États qui restent les maîtres d’oeuvre de l’ordre du jour et des priorités (Fau, p. 498).