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À quoi sert la rénovation urbaine ? C’est la question centrale du dernier livre dirigé par Jacques Donzelot, professeur de sciences politiques à l’Université Paris X Nanterre. On y présente quelques résultats d’une évaluation du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), lancé par le gouvernement français en 2003 dans le but de promouvoir la transformation des banlieues populaires à travers une série d’actions telles que la promotion de la diversité fonctionnelle et l’installation des équipements publics, ainsi que la rénovation et la démolition de grands ensembles de logements occupés par des familles à faible revenu. Une réflexion sur la politique de mixité sociale, objectif déclaré du PNRU et de plusieurs autres programmes de rénovation, est mise en évidence dans le livre, ce qui contribue au débat autour du discours et de la pratique d’intervention publique dans l’espace urbain.

La politique d’habitation fondée sur la construction de grands blocs de logements sociaux a été mise en pratique dans les années 1950 dans un contexte d’hégémonie du modernisme fordiste et de consolidation de l’État providence. D’une part, cette politique a garanti de façon presque immédiate l’accès au logement à la population affectée par la Seconde Guerre mondiale, en plus de promouvoir l’apaisement des tensions sociales. De plus, elle fournissait la reprise des activités productives en utilisant l’industrie de la construction comme tremplin pour créer des emplois et générer des retombées dans d’autres secteurs de l’économie. En moins de trois décennies, la France a développé le plus grand parc de logements sociaux en Europe occidentale, occupant principalement les banlieues de grandes villes, et dans de nombreux cas, constituant eux-mêmes de nouvelles municipalités.

À la fin des années 1960, ce modèle de production de l’espace urbain et de provision de logements commence à faire l’objet de critiques à cause de l’homogénéité typologique, de la monotonie architecturale, de la perte de l’échelle humaine, de l’absence d’intégration avec la ville et, en particulier, en raison de la ségrégation spatiale qu’il a contribué à produire. En 1973, une directive du gouvernement français interdit la construction de nouveaux grands ensembles de plus de 500 logements, mettant fin à près de 30 ans de cette politique. Une décennie plus tard, l’idée de mixité sociale est promue par le discours officiel, ouvrant la voie à une nouvelle phase de la politique du logement qui, depuis, est devenue le leitmotiv pour différents projets d’intervention urbaine.

Le livre est divisé en trois parties. La première, écrite par Jean-Claude Driant et Noémie Houard, analyse la conformation d’un consensus autour de la nécessité de démolition de grands ensembles et le processus de légitimation de l’idéologie de la mixité sociale. Les auteurs soutiennent que, d’un symbole d’une ère de prospérité, les logements sociaux en sont venus à être identifiés comme des espaces de « mauvaise réputation », un changement dans la perception collective qui se produit parallèlement à une transformation de la composition sociale des habitants. L’évasion de la classe moyenne – qui trouve l’accès à la propriété et à la location sur le marché privé – combinée à la permanence de familles ayant de plus grandes difficultés financières et à l’arrivée de populations étrangères à faibles revenus, fait émerger une image stigmatisée du logement social, ce qui renforce l’assimilation de ces quartiers populaires à des « ghettos ». Selon les auteurs, c’est dans ce contexte de surreprésentation des pauvres qu’a pris forme l’idéologie de la mixité sociale.

La deuxième partie, écrite par Renaud Epstein, présente les caractéristiques et le fonctionnement du PNRU, qui annonce une transformation dans la politique urbaine française en changeant l’approche traditionnelle de type bottom-up pour un autre de type top-down. Un exemple est le remplacement des programmes municipaux, précédemment ciblés sur les questions sectorielles (tels les enjeux économiques, sociaux, de la santé, de la délinquance, etc.), pour les opérations de grande envergure coordonnées par un organisme central. Comme conséquence, l’auteur signale le remplacement des principes de dialogue et de participation par de simples activités de communication et d’accompagnement social des populations affectées par les projets. Epstein souligne également le caractère fallacieux des arguments du PNRU qui, en essayant de rompre avec les solutions de l’urbanisme moderniste – jugées responsables des problèmes actuels –, poursuit dans son essence une valeur séminale de ce mouvement : l’idée que la planification urbaine, à partir de l’intervention sur le cadre bâti, peut transformer par elle-même les individus et la société.

La dernière partie du livre, basée sur des entretiens avec les résidants touchés par les démolitions, discute des effets sociospatiaux du PNRU et conclut que les conséquences sociales du programme ont varié selon le revenu familial. Pour les ménages dont le revenu dépasse la moyenne, les interventions ont été reçues positivement, puisque l’action a permis une réorganisation de leur vie sociale et familiale dans un nouvel environnement – moins dégradé et moins précaire que l’ancien logement. Pour les habitants les plus pauvres, le renouvellement est perçu comme une transformation qui les projette dans un avenir incertain, en raison de l’interruption de certains réseaux sociaux qui assuraient la neutralisation de précarités et d’absences. On conclut que le programme a fini par produire l’effet inverse de ceux désirés : les auteurs ont observé que, en donnant la possibilité de mobilité aux familles ayant des revenus plus élevés, l’intervention a produit une reconcentration des pauvres dans les banlieues populaires, ce qui met en lumière le caractère fallacieux du PNRU basé sur des idées de mixité sociale.

Avec une approche critique, l’ouvrage offre des réflexions intéressantes sur différents thèmes et nous invite au questionnement sur quelques prémisses relatives à l’accès au logement, à l’intervention publique dans les « quartiers difficiles » et, principalement, sur l’intégration de populations immigrées et la mixité sociale. En plus, il nous permet de connaître quelques éléments de la production des études urbaines en France, alimentant les débats et soulevant des provocations. Un livre provocateur, qui démantèle des convictions et des discours souvent incontestés dans le milieu universitaire et, pour cette raison, qui ne devrait pas passer inaperçu ici, de ce côté de l’Atlantique.