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Les territoires urbains et ruraux se retrouvent face au défi de changements globaux d’une ampleur nouvelle, notamment de nature économique et climatique. Ceux-ci peuvent de plus se combiner pour produire des conséquences imprévisibles, atténuer les effets des adaptations mises en oeuvre mais aussi, parfois, offrir des synergies entre les réponses que les décideurs peuvent apporter.

Ces changements globaux nécessitent la mise à disposition d’outils d’aide à la décision permettant aux acteurs d’en explorer la complexité, pour progressivement acquérir une compréhension permettant le choix d’une stratégie d’adaptation.

Le programme de recherche « Astuces et tic », qui est au coeur de l’ouvrage Territoires, villes et campagnes face à l’étalement urbain et au changement climatique, se consacre précisément à la conception et à la réalisation de ce type d’outils d’aide à la décision. Durant trois ans (2008-2011), une équipe de chercheurs (Inra, MEED-SAS, G2C environnement, Orange Labs, Université d’Aix-Marseille) ont ainsi croisé leurs connaissances et savoir-faire pour réaliser un prototype de l’outil appliqué sur la région de la Crau, essentiellement rurale, à proximité de Marseille (France).

L’ouvrage, très synthétique (84 pages + annexes) présente tout d’abord l’enjeu territorial retenu dans le cadre du programme, soit celui de l’étalement urbain et de ses impacts sur l’environnement (chapitre I). L’enjeu est évidemment pertinent et présente aussi l’avantage de toucher la très grande majorité des territoires d’ici et d’ailleurs. On peut toutefois s’étonner de n’y trouver mention plus explicite des enjeux particuliers liés au changement climatique, pourtant mentionné dans le titre de l’ouvrage. Le programme Astuce et tic est ensuite brièvement présenté, ce qui permet au lecteur d’en saisir l’envergure considérable (chapitre II). Le chapitre III décrit quant à lui le territoire, soit celui de la Crau, et justifie son choix comme support à la démonstration de l’outil. Le chapitre IV prolonge d’une certaine manière cette présentation du territoire en résumant, en une vingtaine de pages, une analyse socioéconomique extrêmement consistante (630 pages). Il y apparaît que l’avenir du territoire de la Crau, à l’instar d’une multitude de régions situées hors des grands axes de développement, suscite quelques inquiétudes légitimes. Les auteurs démontrent qu’en l’absence d’une stratégie territoriale forte et cohérente, conçue pour mettre en valeur les spécificités du lieu, son développement pourrait mener à un épuisement de ses ressources, tant écologiques que sociales.

Le chapitre V présente le fonctionnement du prototype, qui combine plusieurs modèles de simulation que les chercheurs du programme sont parvenus à articuler. L’outil ainsi proposé permet de visualiser une série d’indicateurs portant essentiellement sur les sols, l’eau et la production agricole. Les chapitres VI et VII décrivent, quant à eux, les résultats obtenus par l’outil d’aide à la décision, d’une part dans la situation actuelle (chapitre VI) et, d’autre part, sous l’effet de trois scénarios d’évolution (chapitre VII). On y apprend en particulier que la situation actuelle est celle d’un écosystème, certes fragile, mais équilibré et résiliant, bâti essentiellement par un système d’irrigation construit il y a 400 ans. Or, les scénarios d’évolution montrent tous trois que cet écosystème est mis en danger non seulement par l’effet des changements climatiques, mais aussi et, surtout, par l’importance des dynamiques récentes de l’étalement urbain. Les effets de cet étalement seraient d’ailleurs plus préoccupants que ceux des changements climatiques, ce qui pourrait être une bonne nouvelle pour un territoire tel que celui de la Crau. En effet, les leviers d’action sont plus nombreux sur cet enjeu que sur celui des changements climatiques.

L’ouvrage Territoires, villes et campagnes face à l’étalement urbain et au changement climatique est ainsi une fenêtre ouverte sur un programme de recherche qui a visiblement produit des résultats significatifs. On regrettera cependant un certain manque de cohérence de l’ouvrage, qui prend un peu la forme d’un ensemble de synthèses et aussi d’un certain décalage entre son contenu et le titre. Les changements climatiques n’y sont finalement pas tant abordés et les villes sont tout à fait absentes. Enfin, la dimension « aide à la décision » est malheureusement survolée, alors que l’objectif central du programme se situe dans ce champ. Dans quelle mesure un tel outil et de tels indicateurs peuvent-ils s’insérer dans les pratiques des acteurs locaux ? La question reste ouverte.