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Cet ouvrage, encore plus dense qu’il n’est bref, repose sur une interrogation : Pourquoi un pays comme le Canada ne s’implique-t-il pas plus activement en ce qui concerne l’élaboration des politiques mondiales/internationales liées à l’eau ? La réponse est évidente : bien doté et protégé par ses frontières, le pays n’est pas concerné par la crise mondiale de l’eau. Peut-il pour autant s’exonérer de toute solidarité sinon de toute responsabilité à l’échelle planétaire ? Face à un isolationnisme confortable, les auteurs prennent position en faveur d’un engagement pour la mise en commun de la question de l’eau en se réclamant d’un cosmopolitisme défini comme l’ouverture à un monde où les frontières et les États compteraient moins que la solidarité face à un destin commun. Cette mutation serait sanctionnée par le passage des États-Nations à une gouvernance mondiale.

L’application de ces principes à l’eau passe par une nouvelle conception de celle-ci, considérée à ce jour comme une ressource à exploiter à des fins diverses et pas toujours coordonnées. Les principes de la Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE), même s’ils impliquent la protection de la ressource, ne répondent pas à l’attente d’une gouvernance mondiale, dans la mesure où ils partent de la demande et non de l’offre. De même le marché dont les compétences sont dépassées par le fait que l’eau est non seulement une ressource mais un milieu de vie dont les valeurs ne sont pas quantifiables par la main invisible.

La mise en oeuvre de nouveaux principes de gestion intégrant, dans la perspective de l’eau comme bien commun de l’humanité, à la fois les valeurs économiques et écologiques se heurte au principe de souveraineté des États, maîtres des ressources dans leur aire territoriale, de sorte que les concepts de ressource partagée ou de patrimoine commun de l’humanité, quoique bien identifiés, n’ont jamais été mis en application. D’où la nécessité d’instaurer quatre principes d’un cosmopolitisme de l’eau : sa non-appropriation à l’échelle de l’État ou du bassin ; la reconnaissance de la primauté des fonctions vitales ; l’établissement d’une hiérarchie des usages ; la fin du droit de détruire, c’est-à-dire de polluer, saliniser, etc. Force est de reconnaître que les instances politiques ignorent ces principes qui ne pourront émerger que dans le cadre d’une écocitoyenneté étendue à l’échelle de la planète.

Au terme d’une lecture attentive des principes ainsi définis et proposés à l’humanité bienveillante ou souffrante selon qu’elle a ou non un plein accès à l’eau, apparaissent tout de même les éléments d’une réflexion critique, à commencer par l’improbable compatibilité entre le « droit à l’eau » et les moyens de l’assurer sans des transferts matériels (transferts massifs) ou économiques (« eau verte » fournie à des pays insolvables) qui sont en contradiction avec les principes d’une gestion respectueuse des équilibres écologiques. Aussi bien, le propos des auteurs est-il déconnecté de bien des contingences. De façon très symptomatique, alors que le questionnement est posé d’entrée de jeu au niveau du Canada, le mot même de Canada n’est cité de façon incidente qu’une seule fois à la page 131, cependant que dans la riche bibliographie de l’ouvrage, les travaux très éclairants de Frédéric Lasserre ne sont pas répertoriés. Autant dire que, si sympathique que soit l’hypothèse d’une gestion de l’eau dans le cadre d’une gouvernance mondiale, celle-ci ne sort guère du registre de l’utopie. Cela n’ôte rien de son intérêt à une lecture stimulante, mais comme il serait intéressant de voir les auteurs mettre en application leurs théories à l’échelle non pas de la planète mais simplement de l’ALENA.