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L’ouvrage dirigé par Patrice Melé est un ouvrage nécessaire à l’heure où les conflits de proximité font l’objet d’une actualité scientifique et médiatique permanente dans ce qui est apprécié comme une « société conflictuelle ». S’il s’ancre dans une tradition scientifique foisonnante et renouvelée, s’intéressant aux situations qui mettent en jeu des habitants mobilisés dans l’espace du proche, il s’en distingue par une réflexion portant sur la double productivité sociale et territoriale des conflits de proximité. Fruit d’un programme de recherche mobilisant des travaux en France, au Canada et au Mexique, l’ouvrage croise les regards d’une équipe pluridisciplinaire dans des contextes différents, mais tenus par quatre hypothèses : le conflit de proximité comme forme de territorialisation ; le conflit comme actualisation locale du droit ; le conflit comme producteur de publics et d’espaces publics intermédiaires ; la transaction sociale comme paradigme explicatif. Il s’agit plus de clefs de lecture qui ont été mises à l’épreuve de particularismes locaux et nationaux, mais sans perdre de leur portée heuristique.
Dans la première partie, Patrice Melé décode ces clés de lecture et établit un intéressant panorama de la recherche sur ces sujets. Pendant qu’Annick Germain rappelle que, dans une société québécoise marquée par les processus de consultation publique, les travaux – davantage centrés sur les formes de coopération conflictuelles – s’intéressent à la complexité des lieux et des formes de transaction sociale. Au Mexique, où les travaux sont moins nombreux, Emilio Duhau resitue les conflits de proximité dans un régime de transition politique autour de nouveaux objets de contestation : environnement, patrimoine.
La seconde partie regroupe neuf contributions (cinq en France, deux au Canada, deux au Mexique) sur des thématiques diverses (environnement, démolition de logements sociaux, relations interethniques, opposition à une autoroute) reprenant ces quatre clés. Les auteurs mettent en question les processus de (dé) (re) territorialisation par des mobilisations citoyennes souvent « à bas bruit », voire minuscules (Hélène Bertheleu) et empruntent à la littérature des notions comme celle de communauté imaginée, d’Anderson (Hélène Bertheleu), ou de ville proche, de Simmel (Annick Germain). Ce faisant, il ressort une réalité contrastée des formes de transaction sociale (inexistantes au Mexique, Antonio Azuela), des modalités de juridicisation de l’espace et de construction d’un espace public intermédiaire, parfois intermittent (au gré des temporalités du conflit).
La dernière partie offre une intéressante mise en perspective du paradigme de la transaction sociale au regard de citoyennetés urbaines émergentes, poussant la réflexion du côté de la transaction territoriale. Patrice Melé souligne que la juridicisation de l’espace du conflit est un élément de la productivité sociale et territoriale dont les effets sociaux amènent une modification des catégories juridiques. Ces modifications participent d’une qualification juridique de l’espace transformant certains espaces en territoires d’action. Ce qui ouvre des pistes de recherche, notamment sur l’identification de territorialisations réflexives.
On regrettera que la notion de proximité ne soit pas davantage discutée dans la conclusion pour un ouvrage qui, au final, resitue de façon stimulante les conflits de proximité dans une perspective internationale et pluridisciplinaire.