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Introduction

Ce texte porte sur le développement culturel francophone de deux agglomérations urbaines moyennes situées en milieu non métropolitain : celles de Moncton et de Sudbury. Le secteur culturel a beaucoup retenu l’attention des études urbaines depuis quelques décennies. Dans un contexte de tertiarisation de l’économie et de restructuration de la base manufacturière des économies régionales occidentales, le secteur culturel est apparu à plus d’un comme une figure de proue de la revitalisation du tissu économique urbain (Scott et Soja, 1996 ; Currid et Williams, 2010 ; Stern et Seifert, 2010). Jusqu’à maintenant, les études ont surtout porté sur les grandes villes centrales où l’on trouve des équipements culturels, des activités ou même des quartiers de classe mondiale : le musée Guggenheim à Bilbao (Gonzalez, 2006) et le quartier Hoxton à Londres (Pratt, 2009) pour ne prendre que ces exemples. Des études plus récentes ont mis de l’avant le concept de grappe culturelle (cultural cluster) afin de mieux saisir l’ancrage spatial du secteur culturel dans ces villes emblématiques (Mommaas, 2004 ; Lazzaretti et Cinti, 2009). Cette perspective insiste sur la densité des relations entre les acteurs d’un espace de proximité (la ville ou le quartier) comme un moteur pour le développement local.

Notre étude s’inscrit dans cette perspective théorique des grappes culturelles mais en tentant de cerner l’utilité de ce concept dans le cadre de villes moyennes situées à la périphérie, comme c’est le cas pour Moncton et Sudbury. Plusieurs auteurs doutent fortement de la possibilité d’avoir des grappes réelles, tous secteurs confondus, à l’extérieur des régions métropolitaines (Isaken, 2005)[1]. Pour Todling et Trippl (2005), les conditions de base pour la production de l’innovation ne sont tout simplement pas réunies dans les villes ou les régions moins centrales alors que Cooke et al. (2000) mettent en évidence les barrières importantes en milieux périphériques. Pour d’autres, on peut bel et bien trouver des grappes en milieux périphériques, mais il faut porter attention à leurs spécificités par rapport à celles qui se trouvent dans les milieux plus centraux. Doloreux et Dionne (2007a : 114) disent à ce sujet :

Il appert qu’il existe une grande différence dans la forme que prendra un système d’innovation selon qu’une région ait un passé rural ou industriel, possède une économie constituée de plusieurs petites et moyennes entreprises d’appartenance locale ou d’importantes installations de propriété étrangère, qu’elle constitue une région métropolitaine plutôt qu’un territoire périphérique peu densément peuplé…

On dispose déjà de certaines études empiriques sur les grappes en milieux moins centraux[2]. Au Canada, les travaux de Doloreux et Dionne (2007b) sur La Pocatière et ceux de Doloreux et Shearmur (2006) sur le cluster maritime du Québec abordent tous deux des expériences de grappes en périphérie. Ces études montrent les difficultés auxquelles font face les grappes en périphérie, mais confirment en même temps la possibilité d’avoir des grappes en région périphérique, même si elles prennent effectivement des formes très différentes de celles qui existent en milieux centraux.

Cette courte discussion sur la possibilité des grappes hors des milieux métropolitains nous semble particulièrement pertinente pour le cas plus spécifique des grappes culturelles. En effet, très peu de travaux empiriques, voire aucun, ont porté sur des grappes culturelles à l’extérieur des villes métropolitaines. Cela fait en sorte que le concept de grappes culturelles a été largement construit à partir des caractéristiques empiriques observées dans les villes centrales. Ainsi, on sait peu de choses autant sur la possibilité d’avoir des grappes culturelles dans des villes non métropolitaines que sur les approches spécifiques privilégiées par ces grappes. Notre étude vise à éclairer la possibilité d’avoir des grappes culturelles à la périphérie et, le cas échéant, la forme qu’elles peuvent prendre.

Des grappes culturelles à la périphérie ?

Saskia Sassen, dans son livre Cities in a World Economy (1994), proposait « a new geography of centers and margins ». Pour Sassen, la capacité de certaines villes (les villes globales) à monopoliser les fonctions stratégiques de l’économie globale vient confirmer leur position au centre. Les autres villes, par exemple les villes régionales, sont ainsi condamnées à assumer des fonctions plus banales et entraînées dans un processus de marginalisation. On pourrait ainsi se demander si les dynamiques culturelles associées aux grappes culturelles ne font pas partie de ces activités qui sont la chasse gardée des centres et qui contribuent à la marginalisation des périphéries. La fixation des travaux actuels sur des grands projets (flagship projects) d’envergure internationale semble, à première vue, confirmer cette impression.

On peut par contre trouver un nombre plus restreint de travaux qui cherchent à cerner les contours d’un type de trajectoire culturelle différente des grands projets d’envergure globale. En effet, dans leur étude sur Taipei, Lin et Hsing (2009 : 1318) distinguent deux stratégies : les stratégies planifiées qui cherchent à faire de la ville un site touristique global, et les stratégies de mobilisation communautaire. Ils présentent les dernières dans les termes suivants :

If the goal of the culture-led regeneration project is to engage with local communities and their everyday cultures in the long term, where the local governments can focus on the existing cultural resources of communities which have been founded on traditional cultures and identities for centuries, then it is a particularly crucial element in shaping local particularities in culture-led regeneration projects.

Ces stratégies de mobilisation communautaire se distingueraient des grappes planifiées, non seulement par l’ampleur des moyens déployés, mais aussi par le fait que la stratégie est ancrée dans les dynamiques communautaires (Mommaas, 2004), ce qui n’est pas toujours le cas des grands projets culturels (Zukin, 1995). Cette perspective (celle axée sur la mobilisation communautaire) est intéressante pour nous dans la mesure où elle introduit de nouveaux facteurs de construction des grappes (les dynamiques identitaires des communautés locales) différents de ceux qui sont habituellement mis en évidence (le dynamisme entrepreneurial et la planification par les gouvernements locaux) pour expliquer la créativité locale. On pourrait penser que cette approche de mobilisation communautaire ouvrirait ainsi sur des facteurs de développement possiblement plus à la portée des milieux urbains à la marge, qui ne peuvent soutenir des attractions culturelles globales. Ainsi, à l’instar de Mommaas (2004), la prise en compte de facteurs comme la mobilisation communautaire nous semble une façon d’enrichir le cadre d’analyse des grappes tout en le rendant peut-être plus adapté à l’analyse des grappes en milieux urbains à la périphérie.

Il faut dire, cependant, que la perspective centrée sur la mobilisation communautaire est relativement jeune, ce qui fait en sorte qu’elle n’a pas conduit jusqu’à maintenant à une prise en compte de l’ancrage spatial des stratégies culturelles communautaires. On se souviendra que Porter (2000 : 254) définit les grappes comme : « a geographically proximate group of interconnected companies and associated institutions in a particular field, linked by commonalities and complementarities ». Cette définition a le mérite de souligner les deux dimensions clés d’une grappe, soit les réseaux qui unissent les différents acteurs économiques, d’une part, et la proximité géographique entre ces acteurs, d’autre part (Brachert et al., 2011 ; Maskell et Marlberg, 2007). La proximité spatiale est importante parce que c’est elle qui facilite la collaboration entre les divers acteurs (entreprises et institutions) (Porter, 1990). Dans le cas des études existantes sur les grappes culturelles, beaucoup d’accent a été mis sur le quartier, ou le district, comme espace de coordination et de concentration des activités culturelles. Dans les mots de Lazzeretti (2003), on peut parler, dans ces cas-là, de cultural districtualization.

Notre étude vise à contribuer à combler le vide théorique et empirique sur les grappes culturelles en milieux non métropolitains. Elle ciblera plus précisément deux milieux urbains – Moncton et Sudbury – dont l’intégration à la périphérie canadienne fait peu de doute. Afin de bien situer la portée du concept de grappe culturelle dans ces deux villes, nous ferons deux choses : d’abord nous examinerons la place de la mobilisation communautaire comme facteur de construction de la capacité culturelle de ces deux villes. Si on peut ici parler de grappe culturelle, c’est dans le cadre des dynamiques des communautés franco-ontarienne (Sudbury) et acadienne (Moncton) minoritaires sur leur territoire urbain respectif. Ensuite, nous documenterons, autant pour Moncton que Sudbury, les pratiques de collaboration entre les acteurs ainsi que les lieux qui favorisent cette collaboration. Nous reviendrons enfin sur l’intérêt du concept de grappe culturelle dans le contexte des villes périphériques.

Méthodologie

Au plan méthodologique, nous avons principalement eu recours à deux techniques de recherche. Dans un premier temps, l’analyse documentaire (publication scientifiques sur les deux villes, rapports annuels et sites Web des organismes concernés, articles de journaux, articles de revue et chapitres de livres portant sur le développement culturel des milieux à l’étude) nous a permis d’établir une base d’information sur les populations, les acteurs sociaux, les organisations et les manifestations culturelles des deux villes. Ces analyses documentaires visaient également à cerner les acteurs qui jouent un rôle de pivot dans la construction des réseaux culturels locaux. Ces acteurs sont particulièrement importants dans une perspective de grappe puisque ce sont eux qui participent activement à la coordination des actions menées par l’ensemble du secteur culturel francophone. Ce sont ces acteurs, ceux qui semblaient jouer un rôle central dans le réseautage, que nous avons ciblés lors d’entrevues semi dirigées. Ainsi, nous avons rencontré une quinzaine d’intervenants-clés des deux villes. Plus précisément, dans le cas des deux villes, les acteurs qui sont au centre des réseaux sont des organisations relevant du secteur associatif et plus rarement des entreprises privées, ou encore des gouvernements locaux. Nous avons donc rencontré principalement les personnes qui assurent la direction générale de ces organismes (ou, dans quelques cas, des personnes y ayant longtemps oeuvré comme leaders). Dans le cas de Moncton, nous avons également rencontré une personne élue au conseil municipal, mais qui avait oeuvré auparavant dans les organisations culturelles. Nous nous inscrivons ici d’emblée dans le sillage des recherches basées sur les témoignages d’informateurs-clés.

Moncton et Sudbury : des capitales culturelles de la francophonie minoritaire

Moncton et Sudbury ont, toutes deux, un passé industriel. Moncton est une ancienne ville ferroviaire (Hickey, 1990) alors que Sudbury a longtemps été premièrement connue comme un centre ferroviaire, et ensuite comme un centre minier (Wallace, 1993 ; Radwanski, 2010). Les deux ont également subi un déclin de leur vocation industrielle principale, laissant plus de place à des activités tertiaires. Sudbury a su diversifier son économie au cours des dernières décennies pour s’imposer comme capitale régionale de services du nord-est de l’Ontario, dont elle est le centre géographique. L’exploitation minière y demeure importante, notamment avec les deux grandes entreprises Vale-Inco et Xstrata (anciennement Inco et Falconbridge). La ville a été surnommée « Big Nickel » (Gros Nickel) car elle serait la capitale mondiale de la production de ce métal, mais le secteur minier ne représente plus aujourd’hui qu’environ 5 % de la main-d’oeuvre totale (3000 emplois) alors que, dans les années 1970, c’était 25 % (15 000 emplois). Dans le cas de Moncton, le passé industriel lourd a presque disparu avec les fermetures des ateliers du CN en 1988. Cette fermeture et la perte de 3000 emplois venaient s’ajouter à d’autres, notamment celle de l’abattoir Swift. Aujourd’hui, après une période difficile dans les années 1980, Moncton s’est réinventée (Allain, 2006) et s’est imposée comme un centre de services important pour les Maritimes, que ce soit sur le plan du commerce de détail ou des nombreux centres d’appel qui y ont pris place.

Les deux villes font partie de la périphérie canadienne et ont donc été soumises à l’essoufflement des secteurs primaire et secondaire. Cependant, la tertiarisation de l’économie et du marché de l’emploi, présente dans l’économie des deux villes, semble plus forte à Moncton (Barrieau, 2006 ; Desjardins, 2006). De l’avis de Polèse et Shearmur (2002), cela en fait un cas exceptionnel à la périphérie. La performance économique plus forte de Moncton contribue sans doute à expliquer les tendances démographiques assez différentes qu’on peut observer dans les deux villes. À Sudbury, la croissance démographique a plafonné, situation qui s’explique en bonne partie par l’importante migration des gens du nord vers les grandes villes du sud de l’Ontario, alors que Moncton bénéficie de l’exode des francophones du nord du Nouveau-Brunswick vers le sud (Guignard, 2007) et voit sa population gonfler à chaque recensement.

Ces deux villes font preuve d’un développement assez dynamique de leur secteur culturel et artistique. Ce dynamisme, qui sera présenté avec détails plus loin, se manifeste notamment par une présence soutenue de plusieurs organisations oeuvrant dans une pluralité de champs artistiques (danse, peinture, musique, écriture, théâtre, etc.). Ce développement est sûrement, en partie, alimenté par le déclin de l’économie industrielle locale des deux villes. Cependant, nous pensons que l’explication pour cette effervescence ne se limite pas à l’émergence d’une économie tertiaire locale. Il nous semble, en effet, important de considérer l’affirmation progressive de ces villes comme des capitales culturelles à l’intérieur de la francophonie minoritaire au Canada. C’est ce que nous faisons dans les paragraphes qui suivent.

Pour Sudbury, on se référera à profit aux propos de Sylvestre (1999 : 537) qui considère la ville comme une des trois rivales pour le titre de capitale culturelle de l’Ontario français.

Ottawa, Sudbury, Toronto : trois villes qui se disputent le titre de capitale culturelle de l’Ontario français. Cette rivalité est particulièrement significative dans le développement de la vie culturelle franco-ontarienne, puisque chacune de ces trois régions a façonné le devenir artistique selon sa propre histoire et sa propre réalité. Pour les tenants d’Ottawa, l’expression culturelle des Franco-Ontariens s’enracine dans un passé canadien-français où le Québec et l’Ontario sont intimement liés. Pour les adeptes de Sudbury, la culture est le cri d’une originalité de souche récente, un dire carrément ontarois. Pour les partisans de Toronto, la culture francophone en Ontario est tributaire de l’apport original de toute une gamme de communautés aux horizons multiples, de l’Afrique aux Antilles, en passant par le Maghreb et l’Europe.

Moïse (2003 : 369) considère, elle aussi, Sudbury comme une capitale culturelle qui serait « le coeur de la vie artistique en français en Ontario ». Ainsi, Sudbury serait le lieu d’expression d’une culture francophone « ontaroise », c’est-à-dire une culture de l’Ontario français qui se veut moderne (Bernard, 1988) et donc en rupture avec la culture plus traditionnelle inscrite dans le Canada français. La présence d’institutions culturelles à Sudbury remonte presque au début du siècle avec la création du Collège Sacré-Coeur en 1913. Cependant, les initiatives culturelles et artistiques contemporaines qui ont cours à Sudbury, ainsi que les entrevues réalisées avec les artisans de ces initiatives, laissent assez facilement transparaître cette inscription dans une culture moderne et urbaine. Déjà, le nom de certains des organismes occupant une position importante dans le secteur culturel, par exemple le Théâtre du Nouvel Ontario (TNO), témoigne d’une volonté de s’inscrire dans un renouveau culturel pour l’Ontario français. Le début des années 1970 représente un moment d’effervescence artistique et culturelle à Sudbury, marqué par une volonté de rupture avec la vision traditionnelle des choses et une prise de conscience d’une nouvelle identité franco-ontarienne, résolument moderne (Moïse, 2003 : 366). Un de nos interlocuteurs précise :

Tout a commencé lors de la « Révolution sereine » du début des années 1970 : c’est là que sont nés le coeur francophone et culturel de Sudbury, avec une nouvelle littérature critique (la poésie, avec Jean-Marc Dalpé, Patrice Desbiens ; le théâtre, avec André Paiement, Jean-Marc Dalpé ; la chanson, avec Robert Paquette, Garolou, CANO…), et tous les autres organismes culturels. Sudbury a été à l’avant-garde de la Renaissance de l’Ontario francophone dans les années 1970. En plus de la littérature franco-ontarienne moderne, c’est ici qu’ont été créés le drapeau franco-ontarien et le concept du Nouvel-Ontario.

En même temps, on remarquera la prétention des organismes culturels de Sudbury d’occuper une position centrale et donc de desservir, non seulement les besoins de la population du Grand Sudbury, mais même des francophones de l’ensemble du nord-est de l’Ontario. Comme nous le confiait la responsable d’un organisme culturel,

nous desservons une population qui déborde les limites du Grand Sudbury : notre hinterland se compose d’un ensemble de petites villes situées à environ une heure de route, et qui sont francophones à 75 % et plus. C’est ainsi qu’une partie de notre auditoire provient de Timmins, Kapuskasing, Sturgeon Falls, Espanola…

Certains organismes nous ont, d’ailleurs, dit adapter leur offre culturelle, notamment au niveau des horaires, pour mieux accommoder cette clientèle. Sudbury s’est affirmé comme un lieu de convergence à la fois pour la création artistique franco-ontarienne moderne et pour la région du nord de l’Ontario.

On pourrait dire un peu la même chose de Moncton. Le déclin socioéconomique du Nord a largement favorisé l’exode vers le Sud-Est (Guignard, 2007) permettant ainsi de consolider la présence francophone à Moncton et le poids démographique de Moncton par rapport à l’Acadie dans son ensemble. Certains (Allain, 2005) vont ainsi qualifier Moncton de « nouvelle capitale de l’Acadie ». Quand la Renaissance artistique et culturelle acadienne s’est enclenchée, au début des années 1970, c’est largement à Moncton que cela s’est passé (Lonergan, 1999 ; Chiasson, 2003). C’est à ce moment que sont apparues les premières oeuvres dans nombre de disciplines, qui attestaient l’entrée de l’Acadie dans la modernité. S’est ensuivie la mise sur pied d’institutions permettant à cette effervescence créatrice moderne d’être diffusée largement.

Comme à Sudbury, Moncton va s’affirmer comme un lieu central et un pôle d’attraction pour l’expression d’une culture francophone (acadienne) moderne, ce qui fait en sorte qu’une partie importante des créateurs acadiens ont tendance à converger vers Moncton. Les universités Laurentienne (Sudbury) et de Moncton ont évidemment facilité largement cette convergence, que ce soit en participant à la formation de créateurs dans diverses disciplines ou en créant littéralement un public pour les manifestations culturelles (l’Université de Moncton compte par exemple, depuis ses débuts en 1963, plus de 45 000 diplômés, dont une bonne partie est ensuite restée dans la région). Un de nos interlocuteurs sudburois précise :

Historiquement la Laurentienne est très importante… Les organismes culturels ne pourraient pas survivre sans ces deux institutions (l’Université Laurentienne et le Collège Boréal) car les deux sont des bailleurs de fonds très importants. La Laurentienne continue à contribuer à la formation des artistes et relance son programme de théâtre.

À Moncton également, l’Université a joué un rôle que plus d’un jugent central dans la construction d’un pôle culturel. En plus d’avoir formé une bonne partie des générations d’artistes actifs à Moncton, l’Université de Moncton a également joué un rôle dans la définition du projet de modernité culturelle acadienne. Aux dires d’un interlocuteur,

l’Université de Moncton, c’est l’outil primordial, c’est la génératrice du réveil des années 1970 et de tout ce qui a suivi. Au niveau des arts, c’est Claude Roussel (sculpteur et fondateur du Département des arts visuels à l’Université de Moncton) qui a, le premier, défini le rapport de l’Acadie à la modernité.

Moncton et Sudbury peuvent donc être considérées toutes deux comme des capitales culturelles. Elles ont su s’affirmer comme le lieu privilégié d’expression d’une culture francophone minoritaire à l’intérieur de leur espace identitaire respectif (l’Acadie pour Moncton, et l’Ontario français pour Sudbury). Dans les deux cas, la capacité de la ville de se constituer en un pôle culturel est largement tributaire du rôle moteur qu’ont joué les universités respectives. Cela fait en sorte que l’importance de Moncton et Sudbury comme lieux de création et de diffusion culturelle est peut-être plus grande que ce que ne laisserait espérer leur position périphérique à l’intérieur de l’économie canadienne.

Cela ne veut aucunement dire que ces pôles culturels ne sont pas soumis aux difficultés de leur situation périphérique, comme en témoignent les propos suivants d’un intervenant de Sudbury :

Par ailleurs, le financement demeure un défi, et ce, doublement : les coûts sont plus élevés en région, et c’est plus difficile pour une minorité… Quand on fait des coproductions, ça coûte moins cher pour deux ou trois personnes de Sudbury d’aller travailler quelques jours à Ottawa ou Montréal avec nos partenaires que de faire venir toute l’équipe ici.

Ainsi, des facteurs comme le manque de travailleurs spécialisés, souvent cités comme une barrière à l’innovation dans les milieux périphériques, ainsi que l’éloignement des grands milieux urbains (Doloreux et Dionne, 2007b) sont des défis constants pour le développement culturel dans les deux villes. Malgré ces défis, Sudbury et Moncton ont tout de même su trouver dans la mobilisation communautaire (franco-ontarienne ou acadienne) un facteur moteur, une ressource territoriale, pour reprendre les termes de Gumuchian et Pecqueur (2007), permettant de s’affirmer comme des lieux de production culturelle non négligeables. Dans ces deux cas, la ressource communautaire qui a été canalisée par des organismes du secteur associatif s’est avérée un facteur beaucoup plus important que des facteurs plus classiques comme la planification par les gouvernements locaux ou encore le dynamisme du secteur privé.

Le développement culturel à Moncton et Sudbury : entre réseaux fonctionnels et proximité géographique

La présence d’une effervescence culturelle dans les deux villes ne signifie pas nécessairement qu’on est face à des grappes culturelles. Les grappes culturelles impliquent un développement culturel qui s’appuie sur des réseaux d’acteurs s’inscrivant dans un espace de proximité. Dans notre analyse des cas de Moncton et Sudbury, nous chercherons à voir de quelle façon ces deux dimensions s’affirment dans le développement culturel des deux villes. Rappelons que, du point de vue de la littérature sur les grappes, les réseaux entre les acteurs jouent un rôle central pour assurer la créativité et la capacité d’innovation.

Moncton

Dans le cas de Moncton, les acteurs culturels centraux sont principalement des organisations de nature communautaire et plus rarement des acteurs privés, bien qu’on puisse identifier quelques petits entrepreneurs. Ailleurs (Allain et Chiasson, 2010), nous avons identifié quatre organisations qui servent de piliers au développement culturel de Moncton : le Centre culturel Aberdeen, le Théâtre l’Escaouette, le Capitol et l’Université de Moncton. Autour de ces quatre piliers gravitent un ensemble d’acteurs (des maisons de production de films, des troupes de danse, des entreprises de design ou d’informatique, etc.) et d’événements culturels – parmi lesquels on peut compter plusieurs festivals : le Festival international du cinéma francophone en Acadie, la Franco-fête en Acadie, le Festival international du vin, etc. – et qui contribuent à enrichir la scène culturelle locale.

Ces quatre piliers sont importants parce qu’ils offrent au public des salles de spectacle majeures. C’est surtout le cas du Capitol, cet ancien cinéma de la rue Main racheté par la Ville de Moncton, qui l’a rénové pour lui redonner ses allures des années 1920. Par contre, ce qui nous intéresse ici, c’est plutôt leur contribution comme lieu de concertation et de réseautage entre les acteurs. Là-dessus, l’expérience du Centre Aberdeen nous semble être le lieu où cette capacité de concertation et de collaboration s’est montrée la plus importante.

Le Centre Aberdeen est logé dans une ancienne école qui fut rachetée par une coopérative d’artistes. Il est né en 1993 et s’est imposé depuis comme la « Mecque des arts et de la culture en Acadie », selon l’expression de Lozon et al. (2003 : 215). La notoriété d’Aberdeen vient sans doute de la diversité des activités créatives qui y logent. On y trouve entre autres des studios abritant une douzaine d’artistes, trois galeries d’art, une troupe de danse, une maison d’édition, une compagnie de production de films avec une quarantaine de productions à son actif depuis sa création en 1988, des groupes musicaux alternatifs, un groupe de design multimédia, le quartier général de l’Association provinciale des artistes acadiens professionnels et une garderie, sans compter une scène qui a aussi été le lieu de plusieurs Nuits de la poésie, de spectacles de groupes musicaux alternatifs, de lancements, etc. Des intervenants du milieu estiment que le Centre culturel Aberdeen a servi de pont entre différentes générations d’artistes, en plus de présenter une vision moderne de l’Acadie (à la différence du Village historique acadien ou du Pays de la Sagouine). Des analystes de l’extérieur de la région commentaient ainsi le rôle d’Aberdeen :

Ce centre culturel joue un peu un rôle similaire aux cafés du XIXe siècle en France. En tant qu’édifice où se rassemble une bonne partie de la communauté artistique francophone ainsi que quelques anglophones, le centre permet des échanges d’idées sur la place des arts en Acadie, au Nouveau-Brunswick et dans le monde […] les membres sont actifs directement dans le domaine artistique et culturel où ils travaillent directement et indirectement à la production du discours culturel au Nouveau-Brunswick et contribuent à la vitalité culturelle de la province.

Lozon et al., 2003

La collaboration, à Aberdeen, porte ses fruits puisqu’elle a mené à diverses reprises à de nouvelles initiatives créatives et à de l’essaimage. Le Centre a ainsi servi d’incubateur de plusieurs nouvelles initiatives. La troupe de théâtre l’Escaouette, à l’origine constituée de diplômés de l’Université de Moncton, a fait partie des premiers membres de la coopérative, avant de déménager dans son propre édifice en 2004. L’Escaouette se spécialise dans le théâtre acadien de création et a donc beaucoup soutenu les dramaturges et les comédiens du milieu : elle monte deux à trois pièces par année et accueille des productions francophones d’ailleurs au pays. Un autre membre, La Galerie sans nom, a mis sur pied, en 2004 également, un Festival annuel de musique alternative (Re-flux) ; et c’est au Centre qu’est née, à la fin des années 1990, l’idée du Festival littéraire international bilingue Northrup-Frye : il s’avère que le célèbre critique littéraire canadien a passé sa jeunesse à Moncton et qu’il a étudié à l’école Aberdeen!

En bref, le secteur culturel à Moncton est fortement marqué par la collaboration. De surcroît, comme le prévoient plusieurs théoriciens des grappes, cette collaboration s’inscrit dans une volonté assez clairement exprimée par les acteurs d’occuper un espace de proximité, celui du centre-ville. Les quatre piliers (Aberdeen, l’Escaouette, l’Université de Moncton et le Capitol) identifiés plus tôt sont tous situés dans le centre-ville, ou très proche pour ce qui est de l’Université de Moncton. Cette proximité relève en bonne partie d’un choix conscient des acteurs d’occuper cet espace commun. Ainsi, lorsque l’Escaouette a voulu quitter Aberdeen pour un espace plus grand, la troupe a cherché un site à proximité du Centre, même si cela a impliqué de choisir un édifice demandant d’importantes rénovations. Les gens ne sont pas allés bien loin de « la maison-mère », selon l’expression d’une interlocutrice :

Nous aimions le quartier, ainsi que les avantages de la proximité! En plus, il y a pas mal d’artistes qui vivent dans le coin. Ça nous a permis en quelque sorte de créer un espace public voué aux arts.

Cette citation permet de voir que le centre-ville devient une référence commune pour les acteurs, un espace commun auquel ils s’identifient. Ce partage d’un même territoire de proximité, comme l’indiquent nombre de travaux contemporains sur le développement local (Scott, 2010), n’est pas sans favoriser la concertation entre les acteurs et la créativité. Il est évident que le Centre Aberdeen, par exemple, a pu s’imposer comme un lieu névralgique permettant la rencontre fréquente de créateurs, ainsi que l’émergence de nouvelles initiatives.

Par ailleurs, les organismes mentionnés collaborent souvent entre eux, sous forme de productions conjointes, de codiffusions, d’échanges de lieux, etc. Par exemple, le Théâtre l’Escaouette a des projets communs avec l’Université de Moncton, qui diffuse la série annuelle des films documentaires de l’Office national du film (les bureaux de l’ONF-Acadie sont situés au centre-ville de Moncton), et le théâtre Capitol diffuse depuis plusieurs années l’atelier d’opéra annuel du Département de musique, parmi d’autres initiatives conjointes.

Sudbury

Comme à Moncton, le développement culturel à Sudbury s’est fait principalement autour d’organisations à but non lucratif. On pourrait identifier plusieurs générations d’organismes. Certains, comme le Collège Sacré-Coeur, l’ancêtre de l’Université Laurentienne, remontent presque au début du XXe siècle alors que d’autres organismes importants se sont rajoutés dans les années 1950 (le Centre des jeunes de Sudbury devenu le Carrefour francophone de Sudbury) et dans les années 1970-1980 (le Théâtre du Nouvel-Ontario, la Nuit sur l’étang, la Galerie du Nouvel-Ontario et les Éditions Prise de parole). On peut donc compter à Sudbury sur la présence d’organismes culturels établis d’assez longue date. Certains de ces organismes sont logés au centre-ville de Sudbury ; c’est le cas du Carrefour francophone, responsable du diffuseur culturel La Slague et du Salon du livre, entre autres activités centrales. Toujours au centre-ville, on trouve la Nuit sur l’étang (qui organise un spectacle annuel réunissant plusieurs dizaines d’artistes), la Galerie d’art, les Éditions Prise de parole et, de 2008 à 2011, la librairie Grand ciel bleu du Nouvel-Ontario. D’autres organisations ont sans doute des liens avec ceux-là, mais sont situées en périphérie comme, au premier chef, le TNO, logé au Collège Boréal, et le Centre franco-ontarien de folklore, installé à l’Université de Sudbury. On peut aussi inclure ici l’Institut franco-ontarien, mis sur pied en 1976 par des chercheurs francophones de l’Université Laurentienne et qui publie, depuis 1978, La Revue du Nouvel-Ontario.

Bien qu’ils soient tous sur le territoire de Sudbury, ces organismes ne partagent pas un quartier précis, comme c’est le cas à Moncton. Plusieurs interlocuteurs nous ont fait valoir qu’une plus grande proximité entre les diverses institutions culturelles favoriserait grandement le travail en commun. Comme l’exprimait l’un d’eux,

le grand défi, c’est de trouver un lieu de rassemblement, une signature francophone à Sudbury. Le Carrefour loge surtout des bureaux administratifs actuellement. Il nous faudrait un vrai centre culturel, avec des espaces pour les événements culturels, et des espaces pour les organismes et l’administration. Ça nous a pris 100 ans pour développer nos institutions. Maintenant nous les avons, elles ont normalisé la présence francophone à Sudbury et ont contribué à changer la culture des francophones. Il y a maintenant une reconnaissance de notre présence, de notre vitalité : ce qui manque et ce qui reste à faire, c’est de bâtir une architecture culturelle.

Peut-être du fait de l’absence de proximité, plusieurs organismes ont senti, en 2006-2007, le besoin de mieux coordonner leur action respective et ont ainsi fondé le Rassemblement des organismes culturels de Sudbury (ROCS). Ce dernier réunit en fait sept organismes du milieu : le Carrefour, la Slague, le Salon du livre, le TNO, la Galerie d’art, les Éditions Prise de parole et le Centre franco-ontarien de folklore. De l’avis de certains interlocuteurs, cette initiative est née d’un besoin nouveau de concertation à la suite d’un contexte économique plus morose à Sudbury.

Le ROCS est né de la prise de conscience qu’il fallait maintenant tous travailler ensemble, vu que les mines et la forêt n’allaient plus comme avant nourrir l’économie régionale et que les subventions publiques au secteur diminuaient, alors que le nombre d’organismes culturels demandeurs et leurs besoins allaient en augmentant. Dans ce contexte, la situation étant devenue critique, il fallait à tout prix faire quelque chose! Le ROCS a démarré comme une grosse boule de feu et il n’a pas cessé d’énergiser tout le monde depuis.

Des représentants de chaque organisme se réunissent tous les mois pour échanger des informations, arrimer leurs calendriers culturels respectifs pour ne pas diviser le public et finalement organiser le lobbying, notamment auprès des instances municipales, pour obtenir du financement plus important. Le ROCS avait donc un premier mandat qui était d’assurer une concertation pour éviter que ses membres n’entrent dans une compétition néfaste pour le public ou le financement. Récemment, la collaboration a également permis de tenir des activités communes à plusieurs organismes, comme la grande Rentrée culturelle (à l’automne), le Salon du livre (au printemps), des vernissages, des soirées de poésie et de slam, ainsi qu’une fête commune pour remercier les bénévoles de l’ensemble des organisations regroupées dans le ROCS.

Des trajectoires convergentes ?

Nous pouvons constater plusieurs similarités entre Moncton et Sudbury. Dans le passé, les deux agglomérations étaient des villes monoindustrielles qui se sont diversifiées par l’entremise d’initiatives de développement innovatrices provenant de la base. Les deux villes ont connu des croissances économiques importantes, mais Moncton poursuit son développement à un rythme plus accéléré que Sudbury. Dans le domaine des arts, comme nous avons voulu le montrer, ces deux villes ont réussi à s’affirmer comme des pôles par où la renaissance culturelle de leur communauté respective (acadienne et franco-ontarienne) s’exprimait.

Bien que les deux regroupements soient bien ancrés dans leur communauté, notre étude met en évidence des différences significatives sur le plan des grappes. La grappe culturelle de Moncton est plus concentrée dans l’espace urbain. Il y a évidemment des activités culturelles qui prennent place dans la périphérie, notamment à Dieppe, la principale banlieue francophone. Cependant, comme nous avons pu le montrer, le noyau de la grappe, c’est-à-dire les organisations qui jouent un rôle central de coordination, est concentré à l’intérieur ou très proche du centre-ville et la référence à un espace commun fait partie intégrante du discours et des stratégies des acteurs.

À Sudbury, les organismes sont plus éparpillés dans l’espace urbain. Certains des joueurs importants, notamment le TNO, sont situés à la périphérie alors que plusieurs regrettent le manque de proximité entre les organismes. Dans les mots d’un interlocuteur, il manquerait une « architecture culturelle » à Sudbury. Quoi qu’il en soit, la création récente du ROCS démontre un besoin de concertation entre ces divers acteurs. Notons qu’à Moncton, où les organismes partagent un même espace physique, on n’a pas senti le besoin de formaliser la concertation au-delà des mécanismes informels existants.

Par ailleurs, la grappe de Moncton semble avoir acquis une visibilité et une reconnaissance plus grande que celle de Sudbury. En effet, le secteur culturel à Moncton a réussi à se faire reconnaître, d’une part, par les gouvernements municipaux de l’agglomération, qui ont accepté de financer de façon substantielle le Théâtre Capitol. D’autre part, les activités culturelles de Moncton ont également su soulever l’intérêt et la participation d’un segment non négligeable de la population anglophone de Moncton. Rien de tel à Sudbury où la participation des anglophones s’est avérée presque inexistante alors que le soutien municipal obtenu récemment a été beaucoup plus timide qu’à Moncton. La grappe culturelle à Moncton semble ainsi avoir mieux réussi à sortir de la marge pour s’inscrire un peu mieux dans les stratégies de développement urbain. Cela s’explique par plusieurs facteurs, certes, mais on peut sans doute considérer que la concentration des acteurs au centre-ville a contribué, un tant soit peu, à cette meilleure intégration dans le tissu urbain.

Conclusion

Notre examen des cas de Moncton et Sudbury visait à voir l’utilité du concept de grappe culturelle pour étudier les villes moyennes en milieu périphérique. Que peut-on conclure là-dessus ? Est-ce que les expériences de Moncton et Sudbury répondent aux conditions essentielles associées à une grappe culturelle ? Certes, comme nous avons voulu le montrer dans ce texte, le développement culturel à Moncton et à Sudbury s’appuie sur un facteur assez différent de ceux qui prédominent dans les grappes culturelles des grandes villes. La capacité de ces deux villes de se démarquer comme des lieux d’effervescence culturelle dépend assez largement de leur capacité à s’affirmer, à compter des années 1970, comme des capitales culturelles à l’intérieur de la francophonie minoritaire canadienne.

Cette étude met en évidence plusieurs affinités entre les communautés de Moncton et de Sudbury. Elle semble indiquer que, dans le cas des francophones en situation minoritaire, les communautés culturelles se tissent des liens et créent les institutions nécessaires à partir de mouvements populaires, ce qui participe à l’émergence ou à la construction d’espaces de collaboration qui ressemblent à bien des égards à des grappes culturelles. Nous considérons que ceux-ci sont des manifestations de la vitalité qui existe dans ces communautés francophones.

Par contre, si les stratégies de développement culturel à Moncton et à Sudbury se rejoignent quant à l’importance qu’a pris la mobilisation communautaire, elles se démarquent sur le rapport à l’espace. À Sudbury, les réseaux d’acteurs sont plus éparpillés dans la ville, et de surcroît dans une ville elle-même plutôt étalée. Les acteurs partagent tout de même un espace de proximité, celui de la ville, ce qui leur permet de tirer plusieurs avantages de la proximité (partage d’un même public et développement de programmation commune, par exemple) tout en permettant la mise en place récente d’une concertation (le ROCS) qui semble bien fonctionner. On pourrait donc dire que la proximité géographique est présente à Sudbury, mais qu’elle s’organise à une échelle géographique différente de celle du quartier. À Sudbury, plusieurs personnes trouvent que le manque d’identification à un quartier signifie l’absence d’une « architecture culturelle », qui serait une étape souhaitable du développement culturel à Sudbury.

À Moncton, cependant, les réseaux entre les principaux organismes se mettent en place à l’échelle du quartier, le centre-ville. De surcroît, la référence au centre-ville fait partie intégrante du discours des leaders culturels monctoniens. Ainsi, sur cet aspect, Moncton se rapproche plus des stratégies de cultural districtualization (Lazzeretti, 2003) souvent privilégiées par les villes centrales même si, dans ce cas-là, l’investissement dans un quartier dépend plus des choix des acteurs culturels que de choix issus de la planification publique.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ces différentes étapes, telles que le statut bilingue du Nouveau-Brunswick et de la ville de Moncton, le nombre de salles de spectacle, la présence et la capacité organisationnelle du Centre culturel Aberdeen, la présence d’une université unilingue francophone et un appui qui dépasse la communauté francophone. Nous pensons que la formation du regroupement de Sudbury est dans une période de vitalité toujours inspirée par une base populaire et qui crée des outils de croissance importants tels que le ROCS. Notre étude met en évidence un dynamisme qui continue à se développer et qui contribue à la croissance et à l’épanouissement du dynamisme culturel sudburois.

Peut-on pour autant considérer que les conditions sont réunies à Moncton et à Sudbury pour parler de grappes culturelles ? Les deux conditions essentielles identifiées par Porter – le réseautage et la proximité spatiale – semblent présentes, bien que pas toujours au même degré que dans les villes centrales. Cependant, l’effervescence culturelle s’appuie sur un facteur – l’ancrage dans une communauté culturelle – moins souvent mis en évidence dans les stratégies des villes centrales.

En définitive, les trajectoires de développement culturel observées à Moncton et à Sudbury sont assez différentes de celles qui sont documentées dans les villes centrales. Le concept de grappe culturelle a été marqué par son association avec l’expérience des villes centrales. Si on veut parler de grappes culturelles à Moncton et à Sudbury (et plus largement dans les villes de la périphérie), il semble nécessaire de rendre plus souple le concept pour admettre des échelles de proximité spatiale, des facteurs de développement et des acteurs différents de ceux qui ont été associés aux premières constructions du concept.