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Dans son livre, Alain Chardonnens considère les étapes du rétablissement des relations diplomatiques entre Washington et La Havane. L’ouvrage débute sur la désormais célèbre phrase de Barack Obama lors du discours du 17 décembre 2014 : « Todos somos Americanos » (nous sommes tous Américains). Le choix de ces mots pour signer le rapprochement historique entre Cuba et les États-Unis n’est pas anodin. Cinquante-trois ans après la rupture des liens diplomatiques et l’imposition d’un embargo à l’île caribéenne sous le gouvernement Kennedy, en 1961, cette phrase rappelle que les histoires des États-Unis et de Cuba ne peuvent se comprendre sans prendre en considération l’impérialisme de l’Oncle Sam dans le sous-continent et les luttes pour le combattre, portées notamment par le père de l’Indépendance cubaine, José Marti, dès le XIXe siècle.

L’ouvrage de Chardonnens se présente sous la forme d’un récapitulatif des étapes du rapprochement entre Cuba et les États-Unis. Il comporte trois parties. La première est un texte d’une trentaine de pages qui permet de poser les jalons de l’histoire contemporaine et du cadre géopolitique qui ont mené à ce rapprochement. La deuxième est composée de discours officiels prononcés lors d’événements marquant le rétablissement des relations États-Unis-Cuba. Les discours, traduits ou non, sont ceux de Barack Obama et de Raúl Castro le 17 décembre 2014, puis celui de John Kerry lors de sa visite officielle à La Havane afin de rouvrir l’ambassade des États-Unis, le 14 août 2015, et, enfin, le discours du président Obama prononcé au Gran Teatro de la capitale cubaine lors de sa visite officielle du 22 mars 2016 à Cuba. La troisième partie présente, pour sa part, une chronologie des relations américano-cubaines et rappelle les dates-clés des relations tumultueuses entre l’île caribéenne et son voisin du Nord, depuis 1898, date de l’Indépendance cubaine.

L’ouvrage n’a donc pas une vocation analytique, mais se contente de rappeler les faits de manière chronologique, afin de détailler le contexte dans lequel les discours sélectionnés ont été prononcés. Il s’agit plutôt d’une somme de données factuelles compilées par l’auteur à partir de sources journalistiques ou officielles. En effet, le commentaire qui compose la première partie du livre est avant tout descriptif et cite de façon parcimonieuse ces sources d’information. Le texte explique davantage la façon dont les événements présentés ont été traités par les médias qu’il ne les analyse. Le journal officiel du parti communiste cubain, Granma, et les médias comme CNN ou Univisión, côté étasunien, sont ainsi évoqués, tout comme l’organisme de sondage Atlantic Council, mais en aucun cas, ils ne font l’objet d’une analyse critique. L’auteur dresse ici simplement un tableau, pose les repères chronologiques d’un rapprochement historique.

Ainsi, le lecteur ne doit pas s’attendre à trouver dans ces pages une analyse géopolitique ou une réelle mise en perspective historiographique. Il découvrira plutôt une description du décor historique, passant en revue les éléments marquants qui ont conduit aux rapprochements des deux pays. En 30 pages, on passe des faits qui ont provoqué la rupture des relations diplomatiques des années 1961 (la victoire de Playa Girón) et 1962 (la crise des fusées) à des considérations sur le rétablissement du dialogue avec Cuba par l’administration Obama. Sont notamment évoqués le rôle du pape François, les rencontres sur le sol canadien entre Ottawa et Toronto, ainsi que des étapes et rencontres qui ont mené à la normalisation des relations binationales comme le septième Sommet des Amériques, à Panama en avril 2015, où les deux présidents s’échangèrent une poignée de main très médiatisée. Les deux mandats d’Obama, présentés ici à la lumière de la politique étrangère à l’égard de Cuba, sont aussi l’occasion de faire des pronostics sur le futur, en n’oubliant pas de rappeler l’incapacité du gouvernement démocrate minoritaire au Congrès d’abolir réellement l’embargo. Le contexte d’écriture de l’ouvrage permet également à l’auteur d’évoquer les primaires étasuniennes de 2016 et la présence de trois candidats liés à l’histoire de l’exil cubain, tous en désaccord avec le rapprochement de leur pays avec l’île castriste : Marco Rubio, Ted Cruz et Jeb Bush (ancien gouverneur de Floride).

Ce survol très rapide semble être la formule choisie par l’auteur, qui souhaite simplement donner quelques clés chronologiques à un lectorat non spécialiste, pour lui permettre ensuite de lire les discours présentés. Ces derniers ont été sélectionnés pour instruire les étapes essentielles du rapprochement à travers les discours de ses acteurs, depuis l’annonce du rétablissement jusqu’à la visite de Barack Obama sur l’île, en mars 2016.

Si le mois de novembre 2016, marqué par l’élection de Donald Trump et la mort de Fidel Castro, a rendu le sujet plus que d’actualité, le contenu reste succinct et, à plusieurs reprises, certaines phrases de l’auteur dévoilent une connaissance superficielle non pas des États-Unis, mais bien de Cuba et des Cubains de l’exil. On notera, lorsque Chardonnens évoque l’île communiste, une certaine ignorance de la réalité cubaine. Pour paraphraser les discours du 17 décembre 2014 et du 22 mars 2016, où Obama répète que le changement doit venir de l’intérieur de l’île et que le rétablissement de relations sera un facteur de changement à Cuba grâce aux contacts entre les peuples, l’auteur écrit une phrase un peu étonnante pour qui connaît les réalités cubaines des 10 dernières années et la connexion grandissante de toute une partie de la société civile avec l’extérieur. Il indique que « Les touristes arriveront en masse à Cuba [rappelons au passage que plus de 3 millions de touristes se rendent déjà à Cuba chaque année, dont près de 1,2 million de Canadiens] non seulement avec leurs dollars à dépenser, mais aussi avec leur culture et leurs idées démocratiques. Ils ne manqueront pas de dialoguer avec les Cubains, désinformés, ne connaissant que le parti unique, les incitant de la sorte à réfléchir et à agir en conséquence du point de vue politique » (p. 24).