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Jean-Michel Le Bot s’est fait connaître par des travaux sur les rapports humains à la nature et par ses recherches sur des enjeux écologiques en Bretagne. L’ouvrage comporte deux parties bien distinctes. En les poursuivant, l’auteur s’appuie sur les travaux d’Augustin Berque, géographe spécialiste du Japon, qui a élaboré une théorie plus générale des lieux et des milieux, appelée « mésologie », ou science des milieux. Il reprend à son compte une distinction établie par le biologiste et philosophe allemand Von Uexhüll (1864-1944) entre milieu et entourage. L’entourage est l’ensemble des choses, êtres et objets qui se répartissent autour d’un être ou d’une espèce. Cet entourage peut être très étendu mais, pour une espèce ou un être donnés, ce ne sont pas tous les éléments de l’entourage avec lesquels s’établissent des relations.

Ce recours à la biologie éloigne quelque peu de la sociologie. On connaît l’échec de l’écologie humaine de l’École de Chicago ; il ne faudrait pas répéter l’erreur. De plus, quel est le milieu des sociétés humaines d’aujourd’hui ? Dans une société mondialisée, l’environnement, ou milieu, le plus pertinent pour l’espèce humaine, c’est toute la Terre, y compris pour des habitants locaux qui produisent et échangent des biens matériels et immatériels circulant dans l’espace mondial.

Le Bot établit ensuite les distinctions nécessaires entre sujet, individu et personne, mais se réfère peu au terme d’acteur social, qui est le plus souvent utilisé par la sociologie. Le mot « personne » s’en approche, mais il ne recouvre pas entièrement le concept d’acteur social.

Pour un chercheur tourné vers la sociologie empirique, c’est dans la seconde partie que se trouvera l’intérêt. En effet, dans deux études sur la création de réserves de nature en Bretagne, l’auteur décrit le jeu des acteurs, leurs interactions, leurs négociations, ainsi que les décisions et les pratiques qui en découlent. Le processus est complexe, car on est en présence d’acteurs sociaux (de personnes ?) qui n’ont ni les mêmes pratiques sur un territoire particulier, ni les mêmes intérêts, ni les mêmes conceptions quand arrive le temps de changer la vocation d’un lieu à des fins de conservation. Les deux recherches de l’auteur, sur les réserves du Séné et du Granjou, montrent que la valeur patrimoniale d’un lieu qu’on désire protéger peut se heurter à des conceptions dites naturalistes visant à restaurer un territoire en nature sauvage. En s’appuyant sur les propos de biologistes, Le Bot met en garde contre une conception trop stricte et limitée de la restauration écologique. Un milieu qui a été longtemps utilisé et transformé par des activités humaines comme l’agriculture et la chasse ne peut être restauré à un état sauvage. Il restera toujours une construction sociale locale, à la fois au sens propre – on y fait des aménagements – et au sens figuré – ces aménagements se font en vertu d’une certaine conception de la nature. Le Bot prend quelques pages pour discuter du concept d’espèces envahissantes, souvent honnies dans la restauration écologique, et cite un spécialiste qui aimerait qu’on distingue mieux « envahissant » et « invasif ».

Le sociologue sera plus intéressé aux deux études de cas. Ceux qui cherchent une réflexion anthropologique générale s’arrêteront davantage à la première partie. Mais tous seront surpris du hiatus entre les deux composantes. Il restera à Le Bot, dans un prochain ouvrage, à mieux tisser les liens entre son projet d’établir une écologie humaine générale et sa pratique de sociologue qui se penche avec rigueur et précision sur des cas concrets d’action collective pour protéger la nature et sa biodiversité.