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Introduction

La superposition des lignes directrices et objectifs des différents instruments et outils multiscalaires d’aménagement et de développement [1] de la capitale algérienne met en avant une volonté d’induire et de consolider le processus de métropolisation d’Alger en vue de la positionner dans l’un des réseaux de l’économie mondiale, celui de la région méditerranéenne. Dans le sillage de ce processus, des projets de régénération urbaine et de réalisation d’équipements emblématiques sont programmés selon différentes temporalités : « La diffusion d’une nouvelle approche de l’espace public et la structuration de la maille urbaine, grâce à la concrétisation d’une série de projets emblématiques, de réhabilitation et de régénération urbaine, vont affirmer Alger […] comme capitale agglomératrice, à la pointe du développement du pays, projetant simultanément vers l’extérieur l’image d’une ville, d’une région et d’un pays ouvert au monde et aux autres » (DUAC, 2011 : 17).

De nombreux équipements emblématiques (EE) prennent ainsi forme dans le paysage algérois : la Grande mosquée El Djazair, le complexe omnisport de Baraki, l’opéra d’Alger, l’aquarium d’Alger, etc. Ils doivent participer à la restructuration de l’image identitaire de la ville et contribuer à la multiplication de ses repères (Zoukh, 2014). Au-delà des objectifs d’attractivité et de compétitivité urbaine assignés au niveau métropolitain par l’introduction de nouvelles fonctions relevant du tertiaire supérieur, interprétées comme un signe de l’internationalisation des grandes villes (Sassen, 1991 ; Halbert, 2009), ils doivent également s’intégrer au projet de développement des localités (Guinand, 2015). Les localités algéroises et leurs populations doivent profiter des bienfaits de cette programmation pour engager et appuyer leur plan de développement ou de régénération urbaine (RU). Les EE, souvent situés sur les noeuds d’échanges majeurs, offrent l’avantage de polariser différents flux. Ils agissent généralement comme des catalyseurs pour l’installation de nouvelles populations et de nouvelles activités nécessaires pour la valorisation des potentialités locales et le développement endogène des communes, dans une approche plurielle et intégrée (Harvey, 2008).

Il est vrai que, au moment où les ressources publiques ont tendance à être réduites, l’édification des EE est considérée par de nombreux chercheurs (Boino, 2005 ; Rollet et Torre, 2008 ; Ethier, 2013) comme un mécanisme efficace pour conduire une démarche de redynamisation urbaine d’un territoire en déclin. Par opposition, d’autres chercheurs voient en ces réalisations une mondialisation de la production architecturale qui tend à nier l’identité locale et à aplanir les différences (Sudjic, 2003 ; Bertoncello et Dubois, 2010). Toutefois, dans un monde où la médiatisation et la communication sont des parties prenantes du processus d’évolution socioéconomique, l’impact de ces édifications sur le façonnage de l’image et la visibilité de la ville est un fait avéré (Mercier, 2010). Il intègre un processus de création de valeurs économiques par interférence avec des valeurs socioculturelles, que Zukin qualifie d’« économie symbolique » (Zukin, 1998). Au-delà des exemples des monuments et bâtiments historiques (Choay, 1992 ; Boyer, 1994), le musée Guggenheim à Bilbao, la bibliothèque d’Alexandrie, le stade de France à Paris, la grande mosquée Hassan II à Casablanca, le Bordj El Khalifa à Dubaï ou la grande bibliothèque du Québec à Montréal ont contribué à transformer leur territoire d’accueil, mais également l’image de leur ville et son attractivité.

Cependant, si la réalisation des EE (figure 1) semble être choisie dans l’aménagement des espaces urbains comme un catalyseur du changement et de modernisation de la capitale algérienne (Addou, 2012), aucune étude n’a été menée pour vérifier la réelle capacité de ces édifices à soutenir les mutations escomptées. L’importance des ressources (financières, humaines et naturelles) mobilisées pour l’édification de tels projets et l’absence de réponses à nos interrogations nous interpellent. L’attractivité de l’EE est-elle capable de contribuer systématiquement au processus de régénération urbaine ? Comment expliquer son effet de levier dans ce cadre ? Est-il possible de vérifier et d’apprécier ce ou ces effets ?

Dans cet article, nous proposons une démarche pour la construction d’un outil permettant de vérifier et d’estimer l’effet de levier induit par l’attractivité de l’EE sur le projet de RU, que nous appelons E2LRU. Cet outil a été élaboré dans l’objectif d’offrir aux acteurs concernés par l’aménagement urbain d’Alger la possibilité d’agir afin d’optimiser le rôle de levier assigné à l’EE. La finalité est d’amplifier le phénomène de « contamination positive » des effets de l’EE sur la RU (Boelsums, 2012), une manière de renforcer les chances de réussite de l’articulation des objectifs des différentes échelles urbaines à l’égard des projets emblématiques (Djament-Tran et Guinand, 2014).

Le centre des arts Riad El Feth (figure 1), localisé sur les hauteurs d’Alger et inauguré en1986 par le président algérien, Chadli Bendjedid, est l’un des premiers EE réalisés après – l’indépendance dans une logique d’opération de prestige en faveur du gouvernement en place (Driss, 2002). Il se situe dans la commune El-Madania, qui s’associe à trois autres communes pour former l’hypercentre algérois, mais qui se distingue par une dynamique de développement beaucoup moins importante (Berezowska-Azzag, 2015) alors qu’elle est directement liée, sur la crête, aux équipements de prestige de l’État, tels que la Présidence de la République, le ministère des Affaires étrangères ou le Palais de la culture. Le Plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU) préconise la régénération de cette commune, essentiellement résidentielle, en zone centrale multifonctionnelle en faveur d’un développement endogène de la localité (DUAC, 2011). Nous supposons que l’application de l’outil E2LRU au cas de Riad El Feth nous permettrait de déterminer les facteurs qui contribueraient à confirmer sa capacité de jouer le rôle de levier dans la redynamisation économique, sociale, spatiale et environnementale de la commune d’El Madania. La finalité de cette évaluation est de renforcer le lien entre l’icône urbaine et sa localité d’accueil, lequel doit se réaliser dans un processus constructif durable et équitable répondant aussi bien aux enjeux de développement économique moderne qu’à l’éradication des inégalités sociales et à la préservation des ressources (Kennedy, 2015).

Figure 1

Esplanade de Riad El Feth au pied du mémorial Maqâm El Chahid

Esplanade de Riad El Feth au pied du mémorial Maqâm El Chahid
Photo : Bouallag-Azoui et Berezowska-Azzag, 2016

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Équipements emblématiques, nouvelles icônes urbaines

Les EE trouvent leur origine dans la réussite économique du Festival Market de Baltimore, un centre commercial ouvert en 1980, localisé sur le quai du port alors en friche. Ce centre regroupait des activités commerciales et ludiques. On estime qu’il attirait plus de 20 millions de visiteurs chaque année (Carriere, 2002). De son côté, Bruno Lusso confirme que c’est à partir des années 1980 que les villes anglo-saxonnes ont investi massivement dans la construction d’équipements structurants, majoritairement à caractère culturel, comme le montrent les exemples des villes anglaises des Midlands (Wilkinson, 1992 ; Landry, Greene, Matarasso et Bianchini, 1996 ; Landry, 2000 dans Lusso, 2014). Toutefois, c’est avec le succès du musée Guggenheim, implanté en 1997 dans la cité sidérurgique de Bilbao (Espagne), que la construction des EE a pris toute son ampleur. « Le jour où le roi Juan Carlos d’Espagne inaugure le Musée Guggenheim à Bilbao, l’architecture à l’échelle globale bascule dans le paradigme de “l’architecture iconique” qui verra le rapport aux monuments changer brusquement et pour toute la décennie à venir » (Glancey, 2008, dans Ethier, 2013 : 7).

Positionnant l’image au centre des stratégies de développement métropolitain, l’aménagement urbain contemporain s’appuie sur la réalisation de projets phares comme des représentations symboliques de ses performances, pour promouvoir son attractivité et s’inscrire dans le système international de compétitivité économique (Boino, 2005 ; Cusin et Damon, 2010). L’attrait des EE doit se traduire, dans le territoire d’accueil, par une amélioration de la qualité du milieu et du niveau de vie des habitants, faisant leur fierté et renforçant leur sentiment d’appartenance à leur localité (Guinand, 2015). Ainsi, les manifestations internationales exceptionnelles, telles que les Jeux olympiques, la Coupe du monde, les expositions internationales, etc., offrent la possibilité de réutiliser des friches ou de renouveler certaines entités urbaines centrales ou périphériques, et constituent autant d’occasions pour l’implantation d’un EE.

L’EE désigne ainsi une production architecturale symbolique, structurante, exceptionnelle par son architecture, sa fonction ou encore son histoire, comme une tentative de création ou de confirmation d’une centralité urbaine (Chasseriau, 2004 ; Lusso, 2014). Le terme emblématique est significatif du rôle urbain, mais également socioculturel attribué à ces équipements. Il rappelle le lien fort entre une volonté d’affirmer un pouvoir (politique, religieux, économique) et celle d’une distinction identitaire ou d’une représentativité. En effet, c’est par sa symbolique, sa rareté fonctionnelle ou sa morphologie exceptionnelle que le projet emblématique acquiert toute son importance vis-à-vis de sa ville, et parfois même au-delà. Son image, censée exprimer l’excellence, est souvent accompagnée d’un slogan ou d’un discours médiatique qui illustre, traduit et explicite le sens à donner à cette image (Biau, 2011 : 153).

Des stars architectes développant des discours individualistes (Zaha Hadid, Rem Koolhaas, Daniel Libeskind et autres) sont les producteurs de cette architecture d’exception qui, malgré la divergence d’opinions des experts sur le sujet (Arseneault, 2012), tend à devenir la référence indiquant ce qui est beau et exceptionnel dans les paysages métropolitains de ce siècle. Di Méo perçoit ces icones comme des tentatives de création d’une mythologie territoriale (1996, dans Djament-Tran et Guinand, 2014). Il s’agit d’offrir des réalisations d’exception, qui soient aptes à rivaliser avec celles des grandes métropoles, mais également capables de transformer les perceptions qu’ont les populations de leur territoire (Smyth, 1994), parfois au détriment de l’harmonie et de l’équilibre de l’ensemble de la composition urbaine. A contrario, dans un article publié dans The Observer, en 2003, Deyan Sudjic dénonçait la quête de l’architecture « signée » et rappelait que c’est la mémoire collective et l’histoire urbaine qui font des bâtiments publics des réalisations exceptionnelles, et non pas seulement leur apparence.

Équipement emblématique, une option pour la régénération des territoires urbains

Il est utile de rappeler que le concept de RU recouvre une pluralité de termes en fonction des approches adoptées : urban renewal au sens anglais (Gravari-Barbas, 1991 ; Rogers et Power, 2000 ; Ambrosino et al., 2003 ; Chasseriau, 2004), renouvellement ou rénovation urbaine au sens français (Roussel, 1999 ; Chaline et Coccossis, 2004 ; Le Garrec, 2006 ; Chaline, 2010 ; Blanc, 2015) et requalification ou revitalisation urbaine au sens italien (Ingallina, 2001 ; Novarino et Pucci, 2004). Pour notre part, nous retenons que la notion de RU s’intègre à l’ensemble des interventions qui visent une rurbanisation, considérée comme l’une des meilleures solutions envisageables pour la durabilité du développement des métropoles face à l’étalement de leurs espaces urbains (Rollet et Torre, 2008). Il ne s’agit pas d’une simple mise à niveau des friches ou des quartiers dégradés, mais d’une stratégie holistique, globale, multidimensionnelle, solidaire, identitaire et écologique. Cette stratégie vise le moyen et le long terme et la remise en fonction d’une entité urbaine en difficulté (Donaldson et Du Plessis, 2013) pour lui permettre de répondre équitablement et durablement aux nouveaux besoins des populations et d’offrir les conditions nécessaires à un développement endogène et durable des localités, contribuant ainsi à l’essor de l’ensemble de la cité (Berezowska-Azzag, 2008 ; Bailoni, 2014).

Dans une approche globale, la mise en oeuvre des politiques de RU s’appuie sur différents programmes et projets sectoriels (transport, réhabilitation du cadre bâti, équipement, infrastructures, formation, etc.) pour stimuler les différentes dimensions de l’écosystème urbain et enclencher le processus d’évolution escompté des territoires. Par leur capacité à modeler le paysage urbain, à améliorer l’image et à confirmer l’identité des territoires, ainsi qu’à attirer de nouvelles populations et de nouveaux investissements (tableau 1), les EE peuvent devenir, dans ce cadre, de véritables sources de rayonnement et d’attractivité (Carrière, 2002).

Tableau 1

Exemple des effets produits par les EE, selon Boelsums

Exemple des effets produits par les EE, selon Boelsums
Source : Boelsums, 2012 : 50

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L’attractivité de l’équipement emblématique (AEE) est ici appréhendée comme l’attraction exercée par l’équipement grâce à une offre exceptionnelle de biens et services, désignant les performances d’un établissement, sa rareté, son originalité et la qualité de son image (Healey et Davoudi, 1992). Dans un premier temps, elle doit permettre de capter différents flux susceptibles de créer de la richesse (transport, commerces, services, production, loisirs, nouvelle population, touristes) et, dans un second temps, de les fixer. De par le caractère systémique des agglomérations urbaines, par l’effet de contamination positive, ces flux vont participer à la dynamisation sociale et économique, soutenue par une amélioration spatiale et environnementale. L’équipement devient ainsi un levier de la RU (Boino, 2005 ; Doucet, 2009).

Réciproquement, l’AEE (touristique, économique, résidentiel, culturel) est influencée de manière directe ou indirecte par le niveau des performances urbaines du contexte de leur intégration (figure 2). Si l’oeuvre de Frank Gehry à Bilbao est une véritable icône faisant la fierté des résidants du quartier Abandoibara par sa forme architecturale, la consolidation de son rayonnement a quand même nécessité bien d’autres actions, entre autres l’amélioration de l’offre d’accueil des touristes (Masboungi, 2008).

Figure 2

Relation interactive réciproque entre l'équipement emblématique et son milieu urbain

Relation interactive réciproque entre l'équipement emblématique et son milieu urbain
Conception : Bouallag-Azoui et Berezowska-Azzag, 2016

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Relation rétroactive, constructive ou destructive, entre l’EE et le RU

L’économiste Leïla Kebir (2006) explique que l’objet, quelle que soit sa nature (pétrole, forêt, savoir-faire, objet d’art, friche industrielle ou autre) devient ressource lorsqu’il est mis en relation avec le système de production, industriel, extractif, touristique, etc. La ressource est ainsi définie comme un objet mobilisable dans le cadre d’un système de production : « La relation objet-système de production s’établit dès qu’une intention de production est projetée sur un objet (connaissance, savoir-faire, minerai, bâtiment, etc.). D’une entité propre (un château est un château), l’objet devient une ressource, c’est-à-dire un intrant mobilisable dans le cadre, par exemple, du système de production touristique […] » (Kebir, 2006 : 703). L’auteur suggère quatre formes de dynamique (figure 3) liant l’objet et le système : croissance, érosion, pénurie et mise en valeur.

Cette approche des ressources potentielles de développement nous semble adaptée pour notre sujet de recherche. Elle permet de visualiser la nature de la dynamique urbaine [2] qui peut s’engager entre l’EE et son environnement urbain, assimilés respectivement à l’objet (la ressource) et au système de production. Nous distinguons deux types de processus de développement dynamique (EE, RU) :

  • Le processus constructif, qui regroupe :

    la dynamique de croissance (D1), laquelle se développe lorsque l’objet EE est implanté dans une localité sans grandes difficultés ;

    la dynamique de mise en valeur (D4), correspondant à la situation optimale de l’EE, lorsque l’essor de son attractivité entraîne la dynamique de développement local. Avec le temps, cette situation contribue à la stabilité et la durabilité de l’équipement qui se retrouve engagé avec le système dans un processus mutuellement constructif.

  • Les processus destructifs mais réversibles, qui regroupent :

    la dynamique d’érosion ou d’épuisement (D2) : celle-ci se construit lorsque pour stimuler son développement, le système urbain exploite l’EE sans lui permettre de se renouveler ou de s’accroître. Dans ce cas, le système entraîne négativement l’objet dans une dynamique de régression qui peut faciliter l’épuisement de l’équipement, ce qui freine inévitablement l’essor de la localité. L’utilisation abusive de sites patrimoniaux par un tourisme de masse correspond à ce cas de figure ;

    la dynamique de pénurie (D3) : par opposition à la dynamique de mise en valeur, l’EE peut entraîner négativement son système urbain lorsqu’il connaît une insertion dans le système métropolitain global (touristique, économique, etc.) (Djament-Tran et Guinand, 2014), mais sans effets d’entraînement majeurs sur le territoire environnant. C’est notamment le cas des EE abritant des fonctions incompatibles avec les spécificités locales, comme la construction d’un complexe sportif dans un centre historique.

Figure 3

Différentes formes de relation entre ressource et système de production

Différentes formes de relation entre ressource et système de production
Source : Kebir, 2006

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Outil pour établir le lien entre l’EE et la RU locale

Pour faciliter la lecture des effets d’influence réciproque entre l’EE et la RU à l’échelle locale, la construction d’un outil spécifique s’avère nécessaire, étant donné que les différentes méthodes d’évaluation de la qualité urbaine (certifications, labels, check-lists) agissent soit sur l’objet (équipement scolaire, commercial, productif, sanitaire, culturel, touristique), soit sur le système (quartier, ville, périmètre spécifique), sans tenir compte d’une dynamique d’interactivité objet-système.

L’outil que nous nous proposons de construire est un instrument d’aide à l’action, au service des acteurs chargés de la gestion territoriale et de l’aménagement urbain, qui permet d’agir en faveur d’une contamination positive entre l’objet (l’EE) et le système (la RU) pour la construction d’une dynamique de mise en valeur (Kebir, 2006).

Méthodologie

Pour la construction de l’outil, une approche systémique holistique est privilégiée. Elle permet de cerner la complexité de la notion de RU et de distinguer les effets directs et indirects que pourrait engendrer l’EE. Étant ainsi objectivement holistique et transversal, l’outil paraît être un modèle transposable. Cependant, les objectifs de RU diffèrent d’une situation à l’autre, en fonction des enjeux prioritaires déterminés dans le contexte local. C’est pourquoi notre outil propose une approche générale dotée d’indicateurs globaux, dont l’évaluation intègre la priorisation des cibles en conformité avec la stratégie de régénération adoptée.

La construction de l’outil se décline en trois principales étapes, décrites succinctement comme suit.

  • Conceptualisation des objectifs fondamentaux de la RU : dans son analyse du projet de renouvellement urbain barcelonais, Béatrice Sokoloff définit quatre concepts représentatifs de la complexité des mutations que connaît le système urbain et qui présentent l’avantage de traduire une vision globale et durable de l’évolution des territoires (Sokoloff, 2002). En nous basant sur cette réflexion et à la suite d’investigations théoriques personnelles, nous avons retenu cinq concepts illustrant les objectifs fondamentaux de la RU (figure 4). L’établissement des objectifs stratégiques de la RU : l’utilisation d’une méthode analytique intégrée, basée sur la détermination des objectifs, des actions entreprises et des résultats obtenus de plusieurs projets de régénération urbaine avec un bon retour d’expérience, nous a permis de déterminer trois cibles pour chaque concept de la RU. Ainsi établie, la liste des 15 cibles a été confrontée aux objectifs du développement durable (exemple de la liste des Integrated Sustainable Development Indicators System [ISDIS] et des agendas 21) pour être vérifiée et complétée (Charlot-Valdieu, Outrequin et Robins, 2004). Les cibles concernent, entre autres, le développement des proximités urbaines ainsi que l’intégration du patrimoine culturel et du patrimoine naturel aux stratégies du développement local, etc.

  • L’élaboration d’une autre liste représentative des effets (EF) ex-post (après la réalisation) induits par l’EE ou ex-ante souhaités (lors de l’élaboration du projet de régénération urbaine [PRU]). Considérant que l’impact dépend de la variation du contexte urbain et de ses différentes composantes, ce qui rend son évaluation difficile (Michel, 2001), nous optons pour l’appréciation des EF induits par l’attractivité de l’équipement.

Les EF, directs et indirects, traduisent les conséquences immédiates ou ultérieures du projet sur l’ensemble de l’écosystème de la localité. Ils peuvent être de nature structurelle (amélioration de la composition urbaine, création d’un repère, diminution des espaces verts, dévalorisation du patrimoine par une architecture trop imposante, création de nouveaux espaces de sociabilité, modification du régime hydraulique, atteintes au paysage, nuisances au cadre de vie des riverains, etc.), ou fonctionnelle liée à l’exploitation et à l’entretien de l’équipement (création d’emplois, amélioration de la fiscalité locale, localisation de nouveaux services, amélioration de la mobilité, nouvelles pollutions, production de déchets, congestion des transports, risques technologiques, etc.) (Graugnard et Heeren, 1999).

L’application de la méthode Strenghts, Weaknesses, Opportunities and Threats (SWOT) [3] à un échantillonnage d’EE érigés dans différentes métropoles et villes du monde, choisis selon des critères préétablis, [4] s’est soldée par la perception des EF directs ou indirects, positifs et négatifs induits par l’attractivité de ce type d’édifice sur son environnement urbain immédiat. Une synthèse des résultats nous a permis d’élaborer une liste de 18 effets représentatifs de ceux constatés et qui se rapportent aux différentes dimensions urbaines : sociale, économique, environnementale (bâti et naturel) et visibilité identitaire. Chaque effet a été associé à un nombre restreint d’indicateurs informatifs qui permettent d’en apprécier l’importance.

Figure 4

Démarche de construction de l'outil E2LRU

Démarche de construction de l'outil E2LRU
Conception : Bouallag-Azoui et Berezowska-Azzag, 2016

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  • In fine, l’outil proposé repose sur la construction d’une matrice structurelle qui permet de confronter les EF de l’EE aux cibles de la RU en vue d’estimer la contribution ou l’entrave de l’EE à la réussite de la stratégie de régénération urbaine.

Méthode d’évaluation de l’effet de levier

L’évaluation repose principalement sur deux étapes (figure 4) :

  • La confrontation des 18 effets EF de l’EE aux 15 cibles du PRU permet d’établir un système de relations (positives ou négatives) qui est traduit en un indice d’influence (In) attribué à chaque effet (EFn). Cet indice illustre l’importance que prend EFn par rapport à l’ensemble des effets produits, dans la dynamique établie entre l’EE et la RU.

    In =

    (NRn / NRmax + NRn / NRmin) / 2

    NRn : nombre de relations qu’établit l’effet n avec les cibles RU, considéré en valeur absolue

    NRmax : nombre maximal de relations enregistré entre un effet de l’EE et les cibles RU, considéré en valeur absolue

    NRmin : nombre minimal de relations enregistré entre un effet de l’EE et les cibles RU, considéré en valeur absolue. NRmin ≠ 0

  • Les 18 effets EF sont estimés à travers leurs indicateurs (46) dont la valeur qualitative ou quantitative est traduite sur une échelle arithmétique selon un barème de notation quantitatif. Préalablement, est employé un système de pondération par la répartition des scores sur cent, établi par des experts. Il s’agit d’une pondération des indicateurs selon leur importance et leur pertinence dans l’estimation de l’effet.

La valeur de EFn est estimée à partir de l’agrégation des scores des indicateurs auxquels nous appliquons l’indice d’influence In. La valeur ainsi obtenue nous renseigne sur l’importance de l’effet de levier sur la réalisation des cibles du RU.

EFn =

∑ (Indn*Pn)

EFn : valeur arithmétique de l’effet N

Idn : valeur arithmétique de l’indicateur n

Pn : pondération de l’indicateur n

VEFn =

EFn*In

VEFn : valeur estimée de l’effet de levier dans la réalisation des 15 cibles de la RU

Mise à l’épreuve de l’outil E2LRU sur le cas du Riad El Feth à Alger

Présentation du centre des arts et de sa commune El Madania

Un double objectif fut à l’origine de la réalisation du Riad El Feth (1986). À l’échelle macro, cet équipement fut imaginé comme la vitrine de l’Algérie moderne ; il était intégré à une série de repères urbains ponctuant l’une des plus hautes lignes de crête du territoire algérois qui forme un magnifique balcon panoramique sur la baie d’Alger. C’est cette situation exceptionnelle – au pied du Monument des martyrs de la révolution (figure 1) – associée à la fonction de centre des arts, qui faisait de Riad El Feth un EE. Pour la première fois sur le territoire algérien, les loisirs à l’occidentale, l’artisanat touristique et le commerce de luxe étaient regroupés au sein d’une même enceinte moderne, affirmant la volonté d’ouverture et de modernisation d’Alger et la confirmant dans son rôle de capitale nationale (Deluz, 2001). À l’échelle micro et dans l’objectif de consolider le rôle d’icône nationale assigné au mémorial Maqâm El Chahid, le centre implanté sur un site initialement occupé par de l’habitat précaire (un bidonville) était destiné à transformer l’image de la localité (Idem).

Dans l’esprit des demeures de la Casbah d’Alger, Riad El Feth s’organise autour d’un patio qui s’étend sur trois niveaux. Il regroupe une salle de conférences d’une capacité de 90 places, un cinéma de 495 places et trois salles de projection, un petit théâtre, 127 locaux commerciaux dont quelques-uns seulement sont en activité [5] l’ensemble est couvert par une large esplanade d’environ 1500 m2 qui sert pour le regroupement des foules lors des grandes manifestations culturelles (figure 5). Le centre est géré par organisme public qui emploie 367 personnes, un Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) [6] rattaché au ministère de la Culture : l’Office de Riad El Feth (OREF). En 2014, le nombre de visiteurs était estimé à 235 204, [7] soit plus de 600 par jour.

Figure 5

Bilan d'activités culturelles du centre des arts Riad El Feth 2008 et 2013

Bilan d'activités culturelles du centre des arts Riad El Feth 2008 et 2013
Source : OREF, 2014

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Quant à la localité d’accueil d’El Madania, située sur les hauteurs d’Alger à environ six km au sud-est du centre-ville, elle forme, avec les communes d’Alger Centre, Sidi M’Hamed et El Mouradia, la circonscription administrative de Sidi M’hamed. Elle se distingue dans cet ensemble par ses ressources financières limitées. [8] C’est une commune essentiellement résidentielle (figure 6), [9] composée de plusieurs cités populaires du type grand ensemble, datant de la fin de la période coloniale (Diar El Mahçoul et Diar Essâada de l’architecte F. Pouillon ; Diar Echems ; Diar El Bahia...) qui se caractérisent par l’exiguïté et une suroccupation des logements, ainsi que le manque de confort sanitaire (tableau 2). Le « mal-vivre » des populations a fini par se traduire en émeutes urbaines très violentes.

Tableau 2

Quelques repères statistiques d’El Madania par rapport aux autres communes de Sidi M’Hamed

Quelques repères statistiques d’El Madania par rapport aux autres communes de Sidi M’Hamed
Source : ONS, 2008

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Coïncidant avec le mouvement du printemps arabe, les manifestations populaires du mois de mars 2013 ont attiré l’attention des autorités sur les conditions de vie des résidants des quartiers d’El-Madania. D’importantes opérations de relogement des résidants de la cité Diar El Chems ont été réalisées par les autorités compétentes sans pour autant endiguer l’ensemble des difficultés. C’est dans ce contexte que s’inscrit la pertinence d’un projet de RU pour cette commune.

Figure 6

El Madania, une commune résidentielle

El Madania, une commune résidentielle
Photo : Bouallag-Azoui et Berezowska-Azzag, 2016

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Dans l’objectif de mise à niveau globale de la capitale, notamment de son hypercentre qui regroupe les plus hautes institutions nationales, [10] le PDAU, révisé en 2011, recommande la régénération d’El Madania en zone centrale multifonctionnelle. Par cette orientation, on ambitionne de redorer l’image de la commune et de valoriser sa centralité pour mieux répondre aux nouveaux enjeux de développement métropolitain (DUAC, 2011).

Application de l’outil E2LRU au couple Riad El Feth / El Madania

Confrontés à l’absence d’un projet de RU ou d’une stratégie locale de développement de la commune d’EL Madania, nous nous sommes appuyés sur les conclusions déduites d’un prédiagnostic, ainsi que sur les orientations préconisées dans le règlement du PDAU, pour vérifier la compatibilité des cibles RU prédéfinies avec les enjeux d’un redéploiement de la localité. Dans la perspective de les associer à la stratégie du développement de leur quartier, un questionnaire [11] a été adressé aux résidants pour inventorier leurs besoins et attentes vis-à-vis de leur commune. En matière de besoins, la formation (40 %), l’emploi (33 %), le sport et loisir (13,3 %) sont les trois premières et principales requêtes formulées par les personnes questionnées.

Parallèlement, la mise en place d’un barème de notation nous permet d’estimer les effets EFn de notre liste, rapportés aux centres des arts. Des scores sont attribués aux indicateurs relatifs à chaque effet selon son niveau d’efficacité. [12] Ces derniers sont appréciés en comparaison avec les besoins qui ont émergé du prédiagnostic, mais également par rapport aux différents niveaux de performance urbaine de la commune (figure 7), enregistrés dans le cadre de l’élaboration d’une étude de classement des communes algéroises [13] (Berezowska-Azzag, 2015). Les profils des performances de la commune nous permettent ainsi de visualiser les cibles de la RU les plus vulnérables, à savoir celles liées à la dynamique économique et sociale, par exemple, le repositionnement du quartier dans le système des territoires créateurs de plus-value économique et l’adaptation de l’offre urbaine aux nouveaux besoins de l’économie moderne. Préalablement, un questionnaire ciblé adressé au service d’urbanisme ainsi qu’à des experts de l’aménagement nous a permis de fixer le système de pondération de ces indicateurs.

Figure 7

Profils des performances économiques d'El Madania : Active city index

Profils des performances économiques d'El Madania : Active city index

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Le radar des effets qu’exerce Riad El Feth sur la commune d’El Madania (figure 8) montre en revanche que, sur les dix-huit effets de la liste, quatre, dont un négatif, intègrent la plage des effets « non signifiants », onze effets, dont deux négatifs, se classent dans la plage « peu importants » et deux autres sont estimés « importants ».

Trois effets se distinguent dans le lot. Ils sont évalués comme importants (EF8) et très importants (EF3 et EF9) et concernent :

  • l’effet « Promotion de la mixité », qui s’explique par l’architecture ouverte de Riad El Feth et ses nouveaux espaces de sociabilité ;

  • l’effet « Développement de la proximité urbaine », attribuable à l’amélioration des infrastructures (pont mécanique et téléphérique), ainsi qu’au renforcement des navettes de bus ;

  • l’effet « Renforcement de la sécurité et de la sûreté » (tableau 3) s’explique par le fait qu’à sa création, le centre des arts, avec le complexe du Mémorial Maqâm-Chahid et le musée de l’armée, était sous la tutelle du ministère de la Défense. En 2003, rattaché au ministère de la Culture, il continue à bénéficier d’une importante présence sécuritaire dont l’effectif représente 39 % des employés de l’Office chargé de la gestion de Riad El Feth (OREF, 2014).

Tableau 3

Exemple d’évaluation d’un effet

Exemple d’évaluation d’un effet
Conception : Bouallag-Azoui et Berezowska-Azzag, 2016

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Enfin, les effets négatifs se positionnent dans les catégories « peu importants » et « non signifiants ».

Figure 8

Évaluation des effets du centre des arts Riad El Feth sur les cibles de la RU

Évaluation des effets du centre des arts Riad El Feth sur les cibles de la RU
Conception : Bouallag-Azoui et Berezowska-Azzag, 2016

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Évaluation de l’effet de levier : interprétation des résultats et discussion

Identification de la nature de la dynamique du couple Riad El Feth / El Madania

La lecture des résultats de l’évaluation réalisée avec l’outil E2LRU nous informe sur la nature de la dynamique qui s’établit entre les effets de l’EE et les cibles de la RU. Sur une échelle de 0 à 3,5, la majorité des effets (15 sur 18) enregistrent des scores inférieurs à la valeur de référence (1,5), à partir de laquelle l’effet peut être considéré comme important au sens où son impact est réel sur la concrétisation ou l’entrave des cibles de la RU. La prépondérance des effets estimés non signifiants ou peu importants réduit considérablement le rôle du centre des arts sur le développement de la localité d’El Madania.

Les trois effets évalués égaux ou supérieurs à la valeur de référence, concernent la dimension sociale et celle de l’environnement bâti. Leur performance s’explique, en partie, par la proximité du Monument aux morts et par l’architecture emblématique de l’équipement. Toutefois, cette dernière n’a pas permis au centre des arts d’être hissé au rang d’icône urbaine (score : 0,38) ni de représenter l’identité locale. C’est d’ailleurs ce qui a été confirmé par le questionnaire adressé aux habitants, dans lequel 100 % des personnes interrogées ne perçoivent pas Riad El Feth comme un emblème de leur localité et 42 % le classent troisième parmi les éléments qui représentent le moins bien leur commune.

L’évaluation ainsi déterminée classe le centre des arts à la position D3 du graphe des dynamiques des ressources (figure 3) qui s’établissent entre le couple (EE / RU). Elle correspond à une dynamique de pénurie dans laquelle l’objet n’entraîne pas positivement le développement du système. Ainsi, l’outil nous a permis de vérifier que, dans son état actuel, Riad El Feth ne peut pas être considéré comme un levier pour la régénération d’El Madania. Il n’a pas su drainer ou maintenir les flux de la plus-value socioéconomique espérée. En témoigne notamment l’aggravation du taux de chômage de la commune, évalué à 6 % en 1988 (ONS, 1997) et à plus de 10 % en 2012 (ONS, 2014). Parallèlement, rares sont les habitants qui ont pu bénéficier d’un emploi au sein du Centre des arts ou de son administration (68 personnes, soit 18 % de l’ensemble de l’effectif en 2014 [OREF, 2014]).

Selon Leila Kebir, en position D3, le manquement de l’objet et de ses effets peut atteindre un niveau d’importance capable de limiter ou d’arrêter la production du système. La chercheuse confirme également que la persistance dans le temps de cette situation risque d’engendrer la dilution de l’objet du fait de la dégradation ou la destruction graduelle du système (Kebir, 2006). Une telle situation mettrait en péril le statut d’EE de Riad El Feth, faisant perdre ainsi à la localité une source potentielle de génération de dynamique urbaine.

Au-delà de la commune El Madania, cet échec affecte l’ensemble de la capitale algéroise, qui se retrouve confrontée à un double problème.

  • Le premier est d’ordre symbolique : avoir une commune centrale en difficulté voisine de la commune d’El Mouradia, qui abrite le siège de la Présidence, et de celle de Kouba avec le nouveau ministère des Affaires étrangères et le Palais de la culture ;

  • Le deuxième problème est d’ordre urbain et économique : voir l’un de ses EE, qui se trouve positionné sur l’un des sites les plus stratégiques de la ville, perdre de l’importance au risque de devenir une charge pour son propre territoire (intégrant une dynamique de pénurie).

En réalité, cependant, l’évaluation a démontré que le manquement de notre cas d’étude n’a pas encore atteint une situation aussi grave. Malgré le nombre réduit des EF positifs enregistrés, les scores traduisent un effet de levier sur une partie des cibles RU. Ils témoignent de la capacité de Riad El Feth à devenir un catalyseur pour la redynamisation d’El Madania. D’autre part, nous constatons que les effets négatifs n’atteignent pas un niveau d’importance qui pourrait constituer un frein à la régénération de la dynamique locale. Ces résultats témoignent des efforts fournis par la nouvelle équipe installée à la tête de l’OREF depuis 2012, qui a succédé à une direction précédente jugée inopérante (Ismain, 2010).

Sur le plan opérationnel : agir pour améliorer la courbe de contamination positive

Les résultats de l’évaluation effectuée avec l’outil E2LRU permettent de tracer la courbe de contamination positive qui traduit l’estimation de l’effet de levier de l’EE sur la RU locale. Les scores enregistrés sont comparés aux valeurs souhaitées afin d’envisager les actions à entreprendre et les moyens à y consacrer. Le but est d’améliorer le tracé de la courbe dans le sens de la régénération durable du territoire.

La courbe relative à Riad El Feth (figure 9) permet ainsi de visualiser rapidement et facilement les limites des effets induits par l’attractivité du centre sur la redynamisation d’El Madania. En s’appuyant sur les potentialités de l’équipement et de la commune, en identifiant les priorités et les enjeux du développement local, les acteurs concernés (aménageurs, OREF, décideurs locaux et représentants de la société civile) peuvent envisager des actions (tableau 4) à court terme afin d’améliorer le score des indicateurs. L’objectif est d’atteindre les valeurs souhaitées pour positionner les effets dans les catégories « important » et « très important » et leur permettre d’être considérés comme des leviers de la régénération urbaine.

Figure 9

Courbe de l'effet de contamination positive de Riad El Feth

Courbe de l'effet de contamination positive de Riad El Feth
  1. Création d'un nouveau pôle d'attractivité

  2. Formation d'un nouveau paysage urbain

  3. Développement de la proximité urbaine

  4. Apparition de nouvelles nuisances

  5. Constitution d'une nouvelle icône urbaine

  6. Développement d'un nouveau modèle de gouvernance partenariale

  7. Formation d'un intrus urbain

  8. Promotion de la mixité

  9. Renforcement de la sécurité et sûreté

  10. Promotion de l'attractivité résidentielle

  11. Apparition du phénomène de gentrification

  12. Création de la plus-value économique

  13. Enclenchement d'une dynamique foncière et immobilière

  14. Promotion de l'attractivité touristique

  15. Contribution à la spécialisation du territoire

  16. Promotion des moyens de transport propre

  17. Préservation des ressources

  18. Création ou amplification des nuisances environnementales

Conception : Bouallag-Azoui et Berezowska-Azzag, 2016

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Tableau 4

Exemple d’un scénario d’actions

Exemple d’un scénario d’actions
Conception : Bouallag-Azoui et Berezowska-Azzag, 2016

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La nature rétroactive (Morin, 1974) de la dynamique unissant le couple (EE / RU) suggère d’intervenir sur le système urbain pour promouvoir l’attractivité de l’EE en faveur de l’amplification de ses effets de levier sur le développement local. S’il est vrai que, dans une société de communication, l’image revêt une importance particulière dans l’identification des quartiers et des villes, avec tout ce que cela implique en termes d’attractivité de flux et de qualité de vie des populations (Smyth, 1994 ; Ingallina et Park, 2005), il s’agirait d’engager à court terme des actions sur l’ensemble ou sur une partie des dimensions urbaines (sociale, économique, spatiale et environnementale) par des opérations ou des initiatives complémentaires dont les effets directs sur le rayonnement de l’EE soient évidents : par exemple, réhabiliter le cadre bâti, améliorer le mode de gouvernance du Centre dans le but de développer différents partenariats, encourager la dynamique économique, encourager la formation et le perfectionnement des jeunes résidants, etc.

L’utilisation de l’outil E2LRU pour une réévaluation périodique des effets induits par le centre des arts permettrait de vérifier la compatibilité des actions engagées avec les cibles de RU, laquelle pourrait être constatée dans l’amélioration du tracé de la courbe de « contamination positive ». Comme le remarquent à juste titre Dejardin et Fripiat (1998), le principal enjeu auquel se trouvent confrontés les membres du couple EE / RU est d’ajuster les stratégies de leurs fonctionnements respectifs selon une relation « d’entraînement » qui assure le développement mutuel de chacun d’eux.

Dynamique de mise en valeur, une condition pour un EE levier de la RU

Paul Boino confirme que les grands projets, par leur capacité de transformer le paysage urbain, d’en améliorer l’image et d’attirer des investissements et de nouvelles populations, peuvent devenir de véritables leviers pour la régénération des entités urbaines en difficulté (Boino, 2005 ; Guinand, 2015). Toutefois, l’outil que nous proposons et son application à Riad El Feth ont mis en évidence que cet effet de levier dépend de la nature du processus de croissance de la dynamique liant le couple EE / RU qui se développe selon deux possibilités : constructive ou destructive.

L’exemple de Riad El Feth nous a servi de prétexte pour vérifier que la liste des effets proposés pour la construction de l’outil E2LRU, sans être exhaustive, est suffisamment représentative de l’ensemble des dimensions urbaines : sociodémographique, spatiale, identitaire, économique et environnementale. Elle peut varier selon la spécificité et l’importance de l’équipement emblématique et dépend du contexte urbain local, avec lequel elle entretient une relation interactive. En effet, nous l’avons constaté, les performances locales contribuent à l’accroissement ou, au contraire, à l’évanouissement de l’effet (Kebir, 2006). Quant aux cibles de la régénération, elles peuvent être précisées et complétées selon les spécificités territoriales, à la condition qu’elles demeurent représentatives des objectifs fondamentaux de la régénération urbaine (figure 4). Ces contraintes concourent à la préservation du caractère systémique et holistique de l’approche adoptée pour la construction de l’outil.

Dans une seconde étape, le E2LRU s’avère également un outil d’aide à la décision, destiné aux acteurs concernés par l’aménagement et la gestion du territoire local, pour proposer et choisir les actions nécessaires au maintien ou au repositionnement du couple EE / RU dans une dynamique de mise en valeur D4 (figure 3). Des actions prioritaires pour redonner une lisibilité au lieu visant l’amélioration de l’image du site et, par conséquent, agissant sur l’attractivité de l’équipement sont un préalable indéniable (Barbier, 2003) afin de hisser l’EE au rang de levier de la régénération urbaine. L’aménagement urbain devient ainsi une stratégie pour le développement métropolitain (Padioleau, 1996 ; Maury, 1997 ; Pinson, 2008, dans Guinand, 2015). L’utilisation de l’outil proposé, lors de la mise en oeuvre des nombreux projets contenus dans le PSDA 2031, contribuerait certainement à inscrire le contexte urbain dans un processus de mise en valeur.

Tel que proposé, le E2LRU s’avère un outil d’évaluation ex-post destiné aux EE localisés sur des territoires concernés par des opérations de RU. Mais il peut également se révéler utile dans le cas d’une nouvelle localisation (ex-ante) pour assurer la compatibilité des objectifs globaux du projet avec les objectifs de régénération locale, une étude d’impact étant alors un préalable nécessaire à l’évaluation pour une mise à jour de la liste des effets.

Nous suggérons également l’usage de l’outil dans le cadre d’une étude prospective pour déterminer certaines caractéristiques de l’EE au stade de projet. Dans ce cas, il s’agira : (i) d’identifier les objectifs détaillés des cibles de la RU aux différentes temporalités ; (ii) de fixer les tracés optimaux des courbes de contamination positive connexe ; (iii) de détecter les valeurs des EF qui correspondent aux tracés ; (iv) d’interpréter ces valeurs en données spécifiques (architectoniques, urbanistiques, fonctionnelles, structurelles) ; (v) et, enfin, de les intégrer au cahier des charges destiné à l’étude de l’EE. Une telle projection suppose une évolution des modes de gouvernance urbaine et une plus grande flexibilité de la planification spatiale. Il s’agirait donc, en fait, d’engager la réflexion dans le sens inverse du sens actuel pour évaluer la relation réciproque du couple RU / EE.

Conclusion

De nombreux chercheurs ont étudié les impacts des équipements culturels singuliers sur les politiques de régénération urbaine. Cependant, très peu d’attention a été accordée à l’évaluation des effets de leur attractivité sur les stratégies de redynamisation locale. L’outil proposé dans cet exposé permet d’évaluer les effets des équipements structurants sur les politiques de développement afin que, d’une part, puissent être entreprises les actions nécessaires à l’amplification de l’effet de leur contamination positive et, d’autre part, que puissent être réduites leurs nuisances.

L’application de l’outil au cas du centre Riad El Feth a démontré que malgré sa situation stratégique, cet équipement n’a pas été le catalyseur escompté pour la commune d’accueil d’El Madania. Positionner un EE dans un site en difficulté sans aucun préalable pour la mise à niveau du territoire d’accueil est une décision hasardeuse dont l’échec est fort probable. Une stratégie globale traduite en projet urbain (Berezowska-Azzag, 2011) faciliterait indéniablement la construction de relations interactives dans le couple EE / projet de RU, en faveur d’un processus constructif dans une dynamique de croissance renouvelable ou de mise en valeur pour une « contamination positive ».

Le caractère systémique de cette évaluation et son aspect participatif, notamment grâce aux enquêtes effectuées sur le terrain, ont concouru à la mise en cohérence des stratégies métropolitaines de visibilité et d’attractivité avec le projet de développement local, à savoir un redéploiement socioéconomique et une prise en charge durable des nouveaux besoins des résidants. Cette imbrication des échelles, mise en avant dans l’outil proposé, caractérise la rurbanisation durable des territoires (Guinand, 2015).

Même si le E2LRU a pu être testé sur le cas de Riad El Feth, pour être considéré comme un outil de pilotage et de mise en oeuvre des opérations de régénération urbaine, il doit être vérifié sur un nombre plus important d’EE, afin d’être adapté ou complété. Le principe de la démarche pourrait également servir de référence pour l’élaboration d’outils relatifs à d’autres leviers de la RU. La création d’espaces publics, la localisation de nouvelles populations, la construction d’établissements universitaires, la création de nouvelles infrastructures de transport en commun, etc. sont autant de projets qui pourraient être considérés à leur tour comme ressources, tel que définis par Kebir (2006). Le recours à la modélisation de l’outil simplifierait par ailleurs considérablement l’exercice de vérification et de généralisation.