Corps de l’article

Introduction

Les prévisions démographiques de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) annoncent un important vieillissement de la population québécoise au cours des prochaines décennies (ISQ, 2014). Ce phénomène ne sera pas sans conséquence pour les villes et villages où les personnes âgées habiteront, notamment en raison de l’évolution de leurs besoins en matière de mobilité. En effet, les changements d’ordre cognitif ou physique qui affectent la vie quotidienne des aînés ont aussi des répercussions sur leur façon ou leur capacité de se déplacer. De fait, une étude menée au Canada sur les habitudes de transport des personnes âgées démontre que celles-ci résident en grande majorité dans des quartiers où l’automobile demeure l’option la plus fréquente, la marche et les transports collectifs étant plutôt utilisés comme des moyens de transport occasionnels (Turcotte, 2012). Dans ce contexte, la perte du permis de conduire est significative pour ces aînés puisqu’elle marque la fin d’une certaine forme de mobilité (Hensher, 2007). Et ce sont ceux qui résident dans les quartiers les plus motorisés qui risquent le plus d’en subir les contrecoups au quotidien.

Espace d’action et marchabilité chez les piétons âgés

Les travaux récents effectués auprès de populations vieillissantes permettent d’émettre certains constats sur la relation qu’entretiennent les aînés avec l’espace urbain. Les chercheurs dans deux champs de recherche s’y sont particulièrement attardés au cours des dernières années. La figure 1 illustre la complémentarité de ces deux champs. Tout d’abord, les travaux qui s’intéressent aux espaces d’action ont pour objet de recherche la personne âgée elle-même. Ces espaces, construits autour du discours des aînés (ou avec des traceurs Global Positioning System [GPS]) et schématisés sous forme d’ellipse ou de réseau autour d’un lieu central (bien souvent la résidence) représentent l’« espace » visité par une personne, à un moment donné (Schönfelder et Axhausen, 2003 ; Oliver et al., 2007 ; Davis et al., 2011 ; Prins et al., 2014). Les résultats de ces travaux démontrent que, lorsqu’une personne vieillit, ses déplacements (peu importe le moyen de transport) deviennent généralement plus limités dans l’espace (Lord et al., 2009 ; Chapon, 2011). Les aînés auraient ainsi tendance à privilégier la fréquentation des lieux plus proches pour leurs activités quotidiennes : centres commerciaux, visites sociales (famille ou amis), épiceries et autres services, lieux de récréation et de culte (Negron-Poblete et al., 2012 ; Vandersmissen, 2012). Comme la fréquentation de ces lieux est reconnue pour avoir un effet positif sur la santé physique et mentale et sur la vie sociale des aînés (Alaphilippe, 2009), la réduction des options de transport pour s’y rendre à mesure qu’ils avancent en âge demeure préoccupante. En ce sens, l’accès à un milieu propice à la marche, que ce soit pour se rendre aux lieux d’activités ou tout simplement pour marcher à des fins récréatives, est essentiel au « bien-vieillir ».

FIGURE 1

Conceptualisation du piéton âgé selon les études s’intéressant à sa mobilité

Conceptualisation du piéton âgé selon les études s’intéressant à sa mobilité
Conception : Thouin et Cloutier, 2018. Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Les travaux sur la marchabilité (aussi appelée potentiel piétonnier) sont pour leur part centrés sur les environnements urbains, notamment le réseau viaire (voir figure 1). On y mesure alors la marchabilité à partir de grilles d’observation des éléments du bâti, de bases de données spatiales, de parcours accompagnés ou de discussions avec les aînés (Miaux et al., 2010 ; Chaudet, 2012 ; Nader, 2012 ; Negron-Poblete et Lord, 2014 ; Paquin, 2014 ; Cloutier et al., 2017). Ces travaux ont permis de mettre en lumière l’inadéquation qui existe entre les réseaux routiers et piétonniers actuels et les aspirations et besoins des personnes âgées. Par exemple, les aînés peuvent avoir de la difficulté à traiter des situations de traversée complexe, comme un boulevard à plusieurs voies (Dunbar et al., 2004) ou encore une rue avec des infrastructures cyclables (Lachapelle et Cloutier, 2017), et alors décider de ne pas sortir de chez eux. L’esthétisme du paysage et la présence d’espaces verts sont, à l’opposé, des éléments de l’environnement bâti qui incitent les aînés à marcher, tout comme la présence et la qualité des trottoirs (Grant et al., 2010 ; Hunter et al., 2011 ; Vine et al., 2012).

Se déplacer dans une ville régionale quand on est âgé

Loin de se limiter aux grands centres urbains et à leurs banlieues, le vieillissement de la population est une réalité qui touche l’ensemble des régions du Québec, voire encore plus les petites et moyennes villes situées dans des régions éloignées (Delisle, 1999). Par exemple, en Abitibi-Témiscamingue, la région où se situe notre terrain d’étude, la situation du vieillissement est un défi préoccupant : en 2036, la part de personnes âgées de 65 ans et plus devrait varier entre 27 % et 3 2 % (ISQ, 2014) et sera alors l’une des plus élevées au Québec.

Un rapport du Conseil des aînés datant de 2005 sur la participation communautaire des aînés au Québec démontre qu’un des obstacles majeurs à leur participation est l’accès au transport (des Rivières et Michaud, 2005). Le rapport fait aussi ressortir que, dans les petites agglomérations, les services tels que les épiceries et les banques, ou encore les services de santé, ne sont pas toujours facilement accessibles aux aînés. On peut alors supposer que leur espace d’action étant réduit, ceux-ci n’auront plus accès à tous les services dont ils ont besoin. Cette faible accessibilité s’explique, entre autres, par le fait que, dans les régions éloignées, l’offre de transport est très différente de celle qu’on trouve dans les grandes villes québécoises. En Abitibi-Témiscamingue – et c’est le cas dans les autres régions éloignées également – le réseau municipal d’autobus est souvent peu développé ou inefficace. Il reste donc le choix d’utiliser l’automobile (comme conducteur ou passager), les taxis, la marche ou le vélo. Sans surprise, le choix de l’automobile est le plus commun. Par exemple, dans cette région, c’est le principal moyen de transport utilisé par les travailleurs : 85 % y ont recours comparativement à 78 % pour l’ensemble du Québec (Thibeault, 2014). En ce qui concerne les modes de transport actif, tels la marche et le vélo, leur utilisation demeure marginale dans ces villes situées en région, au Québec et ailleurs (Azmi et al., 2012).

Objectif

Les constats sur la marchabilité et les espaces d’action nous en apprennent plus sur la situation des aînés, notamment lorsque la voiture n’est plus une option. Par contre, nous constatons que peu d’études ont porté sur les réalités piétonnes des villes situées en région éloignée. Au mieux, certains chercheurs se sont intéressés aux enjeux de mobilité touchant les aînés dans des territoires plus étalés, comme les banlieues nord-américaines, avec des résultats similaires à ceux obtenus dans les villes sauf pour les distances à parcourir, encore plus grandes (Ramadier et Després, 2004 ; Kim, 2011 ; Negron-Poblete, 2012 ; Mitra et al., 2015).

Cela soulève un réel questionnement sur la situation des piétons âgés en milieu régional : est-ce que les outils et constats développés dans les grandes villes s’appliquent de facto à eux ? Notre objectif principal avec cet article est donc d’explorer les défis auxquels font face les piétons âgés en milieu urbain éloigné, de même que les possibilités d’amélioration, et de voir si ces défis et possibilités correspondent à la littérature existante provenant de grandes villes. Pour atteindre notre objectif, nous proposons de reprendre la conceptualisation du piéton âgé dans son environnement (figure 1) et d’en explorer les spécificités pour une ville située en région, en l’occurrence Rouyn-Noranda, en Abitibi-Témiscamingue, à travers une méthodologie mixte alliant entretiens (pour connaître les espaces d’action) et audit de marchabilité.

Méthodologie

Terrain d’étude

La ville de Rouyn-Noranda a été sélectionnée comme terrain d’étude. Cette ville est la capitale régionale de l’Abitibi-Témiscamingue, région située au nord-ouest du Québec. Elle est considérée comme étant une ville de densité moyenne et un lieu central de la région. En 2015, la ville comptait 42 000 habitants dispersés sur un territoire de 6500 km ², ce qui en fait la plus populeuse de la région (Ville de Rouyn-Noranda, 2015). Les personnes âgées de 65 ans et plus représentent 15 % de la population totale, ce qui est semblable à la moyenne québécoise (15,7 %) (ISQ, 2014). Pour cette étude, nous avons sélectionné quatre secteurs situés au centre de la ville (figure 2). Le secteur du centre-ville est composé d’un mélange de quelques artères commerciales, de deux centres commerciaux et d’un peu de résidentiel. Le secteur du Vieux-Noranda est surtout résidentiel, mais avec quelques commerces et centres culturels. Le secteur du centre-sud est surtout résidentiel, mais quelques commerces y sont accessibles ainsi qu’un parc botanique possédant des sentiers de marche. Enfin, le secteur Marie-Victorin est résidentiel. Mentionnons en terminant que Rouyn-Noranda est occupée, au centre, par le lac Osisko, autour duquel on trouve une piste cyclable qui sert également de sentier pédestre.

FIGURE 2

Carte de Rouyn-Noranda et des secteurs à l’étude

Carte de Rouyn-Noranda et des secteurs à l’étude
Conception : Thouin et Cloutier, 2018. Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Une méthode mixte pour étudier l’expérience piétonne des aînés

Notre démarche méthodologique repose sur deux collectes distinctes que nous avons par la suite croisées, tel que schématisé à la figure 3. La complémentarité de ces deux types de collecte a guidé nos choix : alors que les entretiens permettent d’inclure la perspective des aînés sur des rues qu’ils empruntent (par la carte des espaces d’activité et par des questions ouvertes), l’audit piétonnier, qui repose sur des travaux précédents faits en milieu urbain dense, servira de base à notre exploration des défis et possibilités propres à une ville en région éloignée.

FIGURE 3

Résumé de la démarche méthodologique auprès de piétons âgés à Rouyn-Noranda

Résumé de la démarche méthodologique auprès de piétons âgés à Rouyn-Noranda
Conception : Thouin et Cloutier, 2018. Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Entretiens avec des personnes âgées

Le guide d’entretien a été conçu spécifiquement pour cette recherche, mais s’inspire de celui utilisé dans un autre projet portant sur la marchabilité des espaces pour les aînés à Montréal (Canada) et à Lille (France) (Huguenin-Richard et al., 2014). Il contient trois parties : la première porte sur la mobilité au quotidien sous forme de questions à choix de réponses. La deuxième consiste à relever, sur une carte muette de la ville, les lieux visités à la marche par les personnes âgées dans la dernière année (2014), ainsi que les trajets vers ces lieux. Ces trajets servent par la suite à la création des espaces d’activité des aînés, comme déjà fait par certains auteurs (Nader, 2012). Enfin, la troisième section porte sur la perception du risque routier par les aînés et leur comportement en tant que piétons. La carte de la deuxième section sert aussi à obtenir leur perception pour cette dernière partie, en suggérant des exemples concrets. Les réponses à ces questions nous en apprennent plus sur les situations auxquelles doivent faire face les piétons âgés, incluant des éléments de l’environnement bâti. Le tableau 1 illustre des exemples de questions utilisées pour chaque section de l’entretien.

Une fois le certificat d’éthique obtenu, le recrutement des piétons âgés s’est fait par contacts directs auprès de certains organismes (Club de l’âge d’or) et de personnes travaillant dans une résidence pour personnes âgées autonomes (on en compte une dizaine dans la ville). Les critères de sélection étaient les suivants : les personnes devaient habiter dans un des quatre secteurs à l’étude, devaient avoir 65 ans ou plus et devaient pouvoir marcher sur une distance minimum de 1 km. Les entretiens ont été menés à l’été 2014.

Création des espaces d’action piétonniers

Les espaces d’action piétonniers ont été créés à partir de deux techniques : les ellipses de distance standard et les analyses de réseau (ESRI, 2016). Au préalable, les lieux et trajets (section 2 du guide d’entretien) ont été géoréférencés et compilés dans une base de données à référence spatiale, à l’aide du logiciel ArcGIS (version 10.1). Différentes étapes ont ensuite été nécessaires afin de créer les espaces d’action de chaque participant. D’abord, les ellipses de distance standard ont été créées pour 10 des 15 aînés participants avec les outils de statistiques spatiales disponibles dans ArcGIS. Ce chiffre s’explique par le fait qu’il faut au moins trois points (destinations), incluant le lieu de résidence, afin de générer une ellipse, ce qui n’était pas le cas pour cinq de nos participants. Les ellipses nous permettent de définir de manière générale l’espace d’action piétonnier des aînés interrogés. Ensuite, les trajets (lignes) rapportés par les aînés ont été créés à partir de la distance dans le réseau routier, et ce, pour tous les aînés. Il a ainsi été possible de calculer certains indicateurs reliés aux distances parcourues à pied. La figure 4 illustre un exemple d’espace d’action piétonnier incluant trois trajets typiques.

Tableau 1

Exemples de questions posées lors des entretiens avec les aînés

Exemples de questions posées lors des entretiens avec les aînés
Conception : Thouin et Cloutier, 2018

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FIGURE 4

Espace d’action piétonnier de l’aîné 12

Espace d’action piétonnier de l’aîné 12
Conception : Thouin et Cloutier, 2018. Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Audit piétonnier

La grille d’audit piétonnier utilisée est celle du projet La marche à pied chez les séniors (MAPISE), qui repose sur une revue des écrits pour adapter aux aînés les audits de marchabilité (Huguenin-Richard et al., 2015). La figure 5 illustre les cinq dimensions de la marchabilité qu’on y retrouve : la sécurité routière, la sûreté personnelle, l’accessibilité, l’attractivité et l’esthétisme. Les tronçons de rue faisant partie des trajets des aînés interrogés ont été visités à l’été 2014 (post-entrevue) et constituent 22 % de tout le réseau routier dans les zones à l’étude (174 tronçons sur 780). Finalement, chaque élément répertorié dans la grille d’audit se voit attribuer un pointage et les points sont additionnés selon chacune des dimensions (pour plus de détails, voir Thouin, 2016). Les niveaux de marchabilité (bonne, moyenne ou faible marchabilité) ont été déterminés à partir des seuils naturels dans l’histogramme de la distribution des fréquences.

FIGURE 5

Indicateurs de marchabilité utilisés dans la grille d’audit et l’analyse des entretiens

Indicateurs de marchabilité utilisés dans la grille d’audit et l’analyse des entretiens
Conception : Thouin et Cloutier, 2018. Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Analyses croisées

Les analyses ont été effectuées en trois temps. D’abord, le contenu des entretiens (sections 1 et 3) a été analysé de façon itérative à partir des cinq thèmes couverts par l’audit piétonnier. En parallèle, les pointages obtenus à l’aide de l’audit piétonnier ont été rapportés pour chacun des tronçons, de façon à cartographier la marchabilité des trajets empruntés par les aînés. Par la suite, une analyse croisée de ces résultats a été effectuée de façon à faire ressortir les similitudes et les différences entre les deux jeux de données (voir figure 3).

Résultats

Portrait des trajets de marche et des personnes âgées interrogées

Sur un total de 15 aînés rencontrés, 10 étaient des femmes et 5 des hommes, âgés de 65 à 88 ans. Neuf de ces aînés habitent dans la même résidence pour personnes âgées autonomes (située dans le secteur Marie-Victorin) tandis que les six autres habitent soit dans une maison, soit dans un appartement (dans les trois autres secteurs de la ville). La moitié possèdent un permis de conduire et une voiture (cinq sur cinq pour les hommes), mais leur principal moyen de transport est la marche. La plupart semblent assez actifs, sortant marcher deux fois et plus par semaine. De plus, lorsque les aînés questionnés sortent marcher, ils consacrent au minimum de 15 à 20 minutes ou plus à cette activité. Aucun des aînés interrogés n’a manifesté le besoin d’aide à la marche tel qu’une canne ou un déambulateur.

Leurs espaces d’action piétonniers sont assez diversifiés (figure 6). Les ellipses « étirées » sont toutes orientées vers le centre-ville de Rouyn-Noranda et elles sont associées aux aînés qui habitent dans la résidence pour personnes âgées, située à l’extrême est du secteur à l’étude. Lorsqu’ils souhaitent se déplacer en marchant, ces aînés doivent parcourir une plus grande distance (près de 2 km) pour avoir accès à des services ou des loisirs, comparativement à ceux habitant dans les secteurs plus centraux, ce qui se traduit dans la forme des ellipses.

Quant à la longueur des trajets marchés, la distance la plus courte pour un même trajet est de 530 m, tandis que la plus longue est de 8,24 km. Les trajets peuvent être effectués soit pour le loisir, soit pour des raisons utilitaires, et les endroits visités varient : résidence d’un ami ou d’un membre de la famille, lieux de services (épicerie, pharmacie, restaurant), centre commercial ou centre de loisirs. Les endroits visités pour le loisir sont la piste cyclable qui entoure le lac Osisko, le Parc botanique à Fleur d’eau, la promenade Osisko, ainsi que le quartier résidentiel Marie-Victorin.

Audit piétonnier

Le tableau 2 présente la classification des 174 tronçons évalués à l’aide de l’audit piétonnier selon la note obtenue pour chaque dimension de la marchabilité. Nous pouvons constater que la majorité des tronçons ont obtenu des notes moyennes ou faibles, peu importe l’indicateur. De plus, peu de tronçons ont obtenu la note maximale, et ce, pour toutes les dimensions. La figure 6 illustre par ailleurs que les trajets empruntés par les aînés ne sont pas homogènes en termes de marchabilité : un trajet est bien souvent une discontinuité de tronçons ayant des notes faibles, moyennes ou élevées.

Marchabilité totale

Comme nous pouvons le constater à l’aide de la figure 7a et du tableau 2, la marchabilité totale est globalement faible pour les tronçons visités (55 % d’entre eux dans cette catégorie). Or, elle n’est pas toujours le reflet des notes obtenues par les cinq indicateurs qui la composent. Par exemple, pour le secteur du Vieux-Noranda (au nord), certains tronçons ont obtenu une bonne note de marchabilité totale, mais de faibles ou moyennes notes pour l’attractivité et l’esthétisme. Pour le secteur Marie-Victorin (à l’est), dont les tronçons ont majoritairement de faibles notes de marchabilité, il est intéressant de mentionner que certains de ces tronçons ont tout de même obtenu de bonnes notes pour l’esthétique.

FIGURE 6

Ellipse de distance standard (EDS) des aînés interrogés (10 / 15)

Ellipse de distance standard (EDS) des aînés interrogés (10 / 15)
Conception : Thouin et Cloutier, 2018. Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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TABLEAU 2

Proportion des tronçons évalués selon la note obtenue pour chaque indicateur de marchabilité

Proportion des tronçons évalués selon la note obtenue pour chaque indicateur de marchabilité
Conception : Thouin et Cloutier, 2018

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FIGURE 7

Carte des notes attribuées à chaque tronçon évalué, par indicateur

Carte des notes attribuées à chaque tronçon évalué, par indicateur
Conception : Thouin et Cloutier, 2018. Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Sécurité routière et sûreté personnelle

Le secteur Marie-Victorin (figure 7, c et e) est celui qui a les notes les plus faibles pour l’aspect sécurité en raison des traversées larges et peu aménagées et pour la sûreté en raison de l’éclairage déficient. De plus, comme c’est un quartier résidentiel, il y a présence de plusieurs entrées de cour / sorties de garage où la visibilité est un enjeu, ce qui contribue au risque d’incidents entre véhicules et piétons, et il y a peu de commerces, donc l’attractivité y est aussi faible. Le secteur du centre-sud est dans la même situation, mais s’en sort mieux sur le plan de la sécurité. Quant au secteur du Vieux-Noranda, il a obtenu des notes sans dominance particulière pour la sécurité, tandis que la sûreté y est bonne, avec une présence commerciale. Finalement, le secteur du centre-ville est celui avec les meilleures notes sur ces deux aspects : pour la sécurité, c’est attribuable aux traversées marquées au sol ou qui possèdent des feux de circulation pour les piétons avec un bouton d’appel alors que, pour la sûreté, cela est dû au fait que les rues sont commerciales et donc assez fréquentées, avec beaucoup d’éclairage et aucun graffiti.

Accessibilité

Les tronçons ayant obtenu une bonne note d’accessibilité sont surtout situés au centre-ville (figure 7, b). Ils ont eu une bonne note parce que la plupart ont de larges trottoirs peu encombrés et un revêtement de qualité. La présence de stationnement sur rue, qui « protège » les piétons du trafic routier, ainsi que de bancs et d’abribus a aussi contribué à faire de ces tronçons des endroits accessibles. Les tronçons ayant obtenu de faibles notes sont ceux qui sont en pente, ont des trottoirs en mavais état ou sont sans trottoir, ni banc ou abribus pour s’asseoir.

Attractivité et esthétisme

Les tronçons ayant obtenu une bonne note d’attractivité sont tous situés au centre-ville, sauf un dans le secteur du Vieux-Noranda (figure 7, d). Ils ont obtenu ces bonnes notes car l’attractivité est mesurée par la présence de destinations variées, ce qui est le coeur de ce quartier. Par contre, le centre-ville fait plus ou moins bonne figure concernant l’indicateur d’esthétisme (figure 7, f) : certains tronçons obtiennent de bonnes notes en raison de la présence de fresques et de végétation (rue Principale, rue Perreault), mais d’autres sont très bétonnés. À l’inverse, le secteur Marie-Victorin a obtenu de faibles notes sur l’attractivité puisqu’il est résidentiel (tout comme le secteur du centre-sud), mais la présence de plusieurs arbres matures et de trottoirs très propres, lorsqu’ils sont présents, donne de meilleures notes sur l’esthétisme, tout comme dans le Vieux-Noranda.

Croisement des résultats de l’audit avec les propos des entretiens

La sécurité routière préoccupe peu les aînés interrogés

Lors des entretiens, trois questions portaient sur la sécurité routière : nous tentions de savoir si les aînés interrogés étaient préoccupés par certaines intersections, étaient inquiets d’être victimes d’un accident de la route en tant que piétons ou encore de chuter dans l’espace public. Il s’est avéré qu’ils avaient peu d’opinions à ce sujet. Ils ont surtout semblé préoccupés par les conditions hivernales des trottoirs et leur dégagement, ce qui les amène à avoir peur de chuter : « Il faudrait améliorer les conditions des trottoirs l’hiver, la glace me fait vraiment peur » (aînée 3). Ou encore : « Je ne marche pas l’hiver, c’est trop glacé. Je le ferais peut-être si j’étais accompagnée » (aînée 1). Directement liée à certains effets du vieillissement comme l’altération de l’équilibre, une chute peut en effet avoir de graves conséquences sur l’autonomie des personnes âgées (Heinrich et al., 2010).

Tel que mentionné précédemment, la plupart des tronçons situés près de la résidence de personnes âgées (dans le secteur Marie-Victorin) ont obtenu une faible note de sécurité (notamment en raison du manque de traverses piétonnes sécurisées). Pourtant, cet aspect, ainsi que son lien avec la circulation automobile ou la configuration des intersections, ne semblent pas préoccuper les aînés interrogés. Qui plus est, le fait que l’environnement bâti entourant leur lieu de résidence ne soit pas sécuritaire (selon notre audit) ne semble pas influencer leur choix de marcher pour se déplacer ou pour le loisir. Par exemple, une aînée interrogée nous a dit : « J’aime marcher dans le quartier, dans le coin de la rue Nault, parce que les maisons sont nouvelles et belles, c’est résidentiel et tranquille » (aînée 3). Nous pouvons aussi mentionner le fait que ce secteur situé dans l’est de la ville, autour de la résidence pour personnes âgées, n’a pas obtenu de bonnes notes d’accessibilité non plus, puisque les tronçons n’ont majoritairement pas de trottoir et que l’asphalte est souvent fissuré. Or, ces éléments n’ont jamais été mentionnés par les aînés lors des entretiens lorsqu’ils parlaient de ce secteur.

Marcher pour le plaisir à des endroits agréables et paisibles

L’utilisation de la marche comme loisir et pour se maintenir en bonne forme physique a été discutée par la plupart des aînés, lors des entretiens. S’il semble que ce ne soit pas tous les aînés qui puissent utiliser la marche pour se déplacer vers une destination souhaitée (souvent trop loin), la plupart l’utilisent pour le plaisir sur des distances plus courtes. Un des endroits priorisés pour la marche de loisir par les aînés habitant la résidence pour personnes âgées est le quartier résidentiel situé autour. Les aînés aiment y marcher puisqu’il y règne une certaine tranquillité et qu’il y a un nouveau développement immobilier, ce qui attise leur curiosité. Le quartier est aussi parsemé d’arbres matures et de maisons aux terrains bien entretenus. Ces aspects avaient été mesurés en partie à l’aide de l’audit et les résultats sont similaires : les notes sur l’esthétisme étaient bonnes dans ce quartier, ce qui semble rejoindre un critère important pour les aînés participants. En plus de ce quartier résidentiel, les aînés interrogés ont soulevé deux autres endroits agréables où aller marcher pour le loisir : le Parc botanique à Fleur d’eau et ses sentiers, ainsi que la promenade Osisko autour du lac (pour les situer, voir figure 2). Ces endroits sont appréciés par les aînés puisque, selon eux, ils sont tranquilles et offrent de beaux paysages de verdure. Ces lieux (sentiers de promenade et pistes cyclables hors route) n’ont pas été évalués par l’audit piétonnier puisque cet outil était conçu pour évaluer le réseau routier usuel. Toutefois, ces endroits de proximité semblent inciter à la marche de loisir les personnes âgées interrogées dans le cadre de cette étude.

L’attractivité comme incitation ou frein aux déplacements à pied

Un constat commun parmi les aînés interrogés est lié à la possibilité de sortir marcher vers des endroits attirants esthétiquement ou intéressants pour le magasinage ou autres courses (banque, coiffure, etc.). Un aîné habitant dans la résidence située à l’est de la ville l’a relevé, tout comme plusieurs de ses voisins : « Il n’y a pas vraiment d’amélioration à apporter à la ville, mais la résidence devrait se rapprocher du centre-ville, car ici il n’y a rien de proche » (aînée 1). Pour certains, ce n’est pas si grave puisqu’ils aiment marcher longtemps, mais pour ceux qui éprouvent des difficultés à marcher quelques kilomètres, il est impensable de se rendre au centre-ville et d’y revenir en marchant. Ce constat est ressorti aussi avec l’audit piétonnier puisque l’attractivité des tronçons situés dans le secteur Marie-Victorin est faible contrairement à ceux du centre-ville. Les aînés ont aussi relevé l’absence de bancs ou de toilettes sur les tronçons menant au centre-ville comme étant un frein à leurs déplacements à pied vers le quartier avec plus de destinations.

Discussion

L’objectif principal de cet article était de comprendre comment les piétons âgés conjuguent marchabilité et espace d’action dans une ville située en région rurale, ici Rouyn-Noranda, et de voir si la situation est différente des grands centres urbains. Nos résultats contribuent de deux façons aux études sur la mobilité active des aînés. D’abord, nous faisons le constat que certaines des préoccupations des aînés des villes situées en région sont similaires à celles exprimées dans les grandes villes, d’où la pertinence de s’intéresser à la marchabilité dans les villes des régions aussi. Deuxièmement, nous rappelons que les attraits de ces villes éloignées, notamment la présence de la nature, devraient être mis en valeur en tenant compte des besoins des aînés pour assurer leur présence en tant que piétons dans l’espace public.

Des ressemblances et des différences quant à l’influence du bâti sur les marcheurs aînés en région

Rouyn-Noranda est une ville de densité moyenne, mais cela n’empêche pas que l’influence de son environnement bâti sur les marcheurs aînés ressemble à celle des plus grandes villes. En effet, les aînés interrogés dans le cadre de notre étude ont mentionné qu’ils aimaient marcher pour le plaisir dans de beaux environnements avec de la végétation, ainsi que faire du lèche-vitrine sur les artères commerciales. Negron-Poblete et Lord (2014) ont aussi relevé ces préférences lors d’une étude effectuée sur l’environnement urbain autour des résidences pour personnes âgées dans la région de Montréal. La végétation et l’activité commerciale seraient donc des éléments incitatifs à la marche, autant en milieu urbain dense que dans une ville de moyenne densité. Ces hypothèses sont similaires aux résultats obtenus dans d’autres études portant sur la marche chez les aînés (Michael et al., 2006 ; Borst et al., 2008). Quant aux différences, nous pouvons citer l’exemple de l’absence des trottoirs. Les aînés de Rouyn-Noranda questionnés lors de notre étude n’ont jamais évoqué la largeur des trottoirs ou même leur présence comme élément incitatif à la marche (ou leur absence comme étant un obstacle). À l’opposé, des aînés de grandes villes comme Montréal et Ottawa ont relevé l’importance de la présence de trottoirs dans leurs décisions de marche ou encore de choix de trajets spécifiques (Grant et al., 2010 ; Negron-Poblete et Lord, 2014).

Du mobilier urbain et de l’accompagnement pour faciliter les sorties des aînés

Certains éléments de l’environnement bâti de Rouyn-Noranda seraient à modifier afin de faciliter les sorties des aînés. Comme mentionné précédemment, l’absence de bancs et de toilettes publiques sur leurs trajets fait en sorte que certains n’osent pas s’aventurer trop loin de leur résidence. Ces propos ne sont pas uniques aux aînés de Rouyn-Noranda puisque cela a déjà été relevé dans la littérature concernant les piétons âgés dans divers contextes urbains. Peu importe l’étendue de la ville, les aînés aiment pouvoir se reposer ou encore socialiser sur des bancs au cours de leurs trajets et souhaitent avoir facilement accès à des toilettes publiques (Lockett et al., 2005, Wennberg et al., 2009 ; Hunter et al., 2011 ; Nader, 2012 ; Vine et al., 2012). Donc, si nous voulons que les aînés marchent plus, la présence de ces éléments facilitateurs est une voie à explorer.

Une autre solution possible concerne l’utilisation de navettes fournies par les résidences pour personnes âgées. Les aînés questionnés qui habitent dans une telle résidence ont affirmé utiliser souvent le système gratuit de navette qui leur permet de se rendre à un lieu d’intérêt, comme le centre commercial. Ces navettes, au lieu d’effectuer du « porte-à-porte » entre la résidence et le centre commercial, pourraient laisser les aînés un peu plus loin du centre d’intérêt et ainsi les encourager à marcher sur de courtes distances. Outre les navettes, de l’accompagnement par une tierce personne ou encore des groupes de marche pourraient être envisagés. Certains aînés nous mentionnaient ne plus sortir depuis que leurs amis ne pouvaient plus marcher avec eux, ou que leur conjoint était décédé. L’étude effectuée à Paris par Nader (2012) fait aussi mention de l’accompagnement pour motiver les aînés à sortir de chez eux. D’autres études, bien que ne traitant pas spécifiquement de l’accompagnement à la marche, soulignent que la motivation à faire de l’exercice physique augmente lorsque les personnes âgées sont influencées par leur entourage (Giles-Corti et Donovan, 2002 ; Franke et al., 2013 ; Rantanen, 2013).

Conclusion

L’utilisation d’un audit piétonnier et d’entretiens avec des aînés de Rouyn-Noranda nous a permis de dresser un portrait de la marchabilité dans leur espace d’activité pour une ville de taille moyenne, éloignée des grands centres urbains. Nos travaux contribuent de deux façons à la thématique des piétons âgés : d’abord, ils démontrent l’importance de combiner un audit piétonnier à des entretiens pour obtenir un portrait plus juste des pratiques des piétons âgés dans l’espace urbain. Dans notre cas, même si certains secteurs de la ville n’obtiennent pas de bonnes notes de marchabilité, cela n’empêche pas les aînés d’y marcher pour le loisir. Les aînés aiment aussi aller marcher dans les sentiers des parcs ou dans ceux situés en bordure du lac Osisko, en dehors de la trame viaire habituelle. Ces aspects de « tranquillité des lieux » n’ont pas été relevés dans notre grille d’audit en raison de la difficulté à l’évaluer objectivement. Les entretiens viennent alors compléter les données de l’audit et permettent un portrait plus près de la réalité vécue par les aînés.

Deuxièmement, cet article vient combler un manque de connaissance puisque les travaux sur les piétons âgés concernent principalement les grands centres urbains. Comme nous l’avons mentionné, le vieillissement de la population concerne toutes les villes, peu importe leur taille. Quoiqu’il y ait des ressemblances entre les préférences des aînés des villes de régions éloignées et ceux des grands centres métropolitains, il y a aussi des différences. Ces différences justifient l’importance d’adapter les outils au milieu local lorsqu’on veut évaluer la forme urbaine au regard de la marche, en particulier si cette évaluation mène à des actions concrètes.

Comme toute recherche, nos travaux ont des limites inhérentes aux choix méthodologiques que nous avons faits. Le petit échantillonnage des personnes âgées ayant participé aux entretiens fait en sorte que notre étude demeure exploratoire et que les résultats ne peuvent être généralisés, bien qu’ils fassent écho à plusieurs autres. Nos contacts dans le milieu local, ainsi que l’effet boule de neige de notre recrutement ont eu pour résultat que plus de la moitié de nos participants provenaient d’une seule résidence pour personnes âgées. Rien ne nous porte à penser que cette résidence n’est pas représentative des autres, mais l’inverse est aussi vrai, d’où l’importance de répéter que nous ne visions pas la représentativité ici, mais bien l’exploration d’expériences piétonnes. De plus, bien que la méthode des entretiens ait permis d’en apprendre plus sur leurs trajets de marche, il aurait été intéressant d’accompagner les personnes âgées sur le terrain, lors d’une marche exploratoire (Miaux et al., 2010 ; Chaudet, 2012). Nos résultats plutôt positifs sur les questions de sécurité aux traversées auraient possiblement été différents si nous avions été sur place avec les participants.

Finalement, deux pistes de recherche future ressortent de nos travaux. Tout d’abord, puisque les freins à la marche ne semblent pas se trouver dans l’environnement bâti comme nous en avions fait l’hypothèse, quels sont-ils pour les piétons âgés en milieu urbain éloigné ? Existe-t-il un clivage en fonction du statut social ? De la « culture » de la marche dans les milieux ? Du vécu des aînés en question ? Des recherches ancrées dans la géographie et menées de pair avec des psychologues et des sociologues sur ces aspects seraient intéressantes. En complément, parler aux aînés qui ne marchent pas (ou qui ne marchent plus) pour mieux connaître leur historique de marche serait aussi intéressant : qu’est-ce que la marche peut apporter aux aînés dans leur intégration à la société ? Que « perdent-ils » s’ils ne marchent plus dans leur ville ? Faire une telle collecte de données dans plusieurs villes enrichirait tout autant nos résultats.

Les aînés vivent partout au Québec, pas seulement dans les grands centres urbains. Si nous souhaitons que les villes soient inclusives et conçues à l’échelle de tous, nous devons impérativement tenir compte de la présence et des besoins des aînés. Peu importe sa taille, une ville se doit de mieux intégrer la présence des aînés dans ses espaces publics. Quoi de mieux que de leur faciliter la marche pour s’en assurer.