Corps de l’article

La présente étude se situe dans le contexte d’un projet de recherche visant à explorer les inégalités sociales de santé à l’échelle locale. Pour ce faire, trois territoires distincts de la région de Québec ont été retenus et un découpage de ces territoires, en unités géographiques plus fines, a été envisagé. Ce découpage doit faire appel à différentes approches – historique, socio-économique et perceptuelle – afin de refléter la multiplicité des points de vue que les chercheurs, habitants ou gestionnaires de services peuvent avoir sur le voisinage. Ainsi, il nous importe de repérer, avant toute analyse, des secteurs du territoire qui se ressemblent selon différentes caractéristiques et dont les habitants partagent une certaine expérience. Ces unités territoriales, que l’on peut appeler unités de voisinage, pourront par la suite baliser la collecte de diverses données ainsi que l’analyse quantitative et qualitative du rôle du milieu local sur la santé.

L’approche utilisée pour constituer les limites de telles unités de voisinage est habituellement d’ordre statistique (Sampson et al., 2002) et utilise des frontières géographiques définies pour des besoins politiques (Pickett et Pearl, 2001). Toutefois, cette méthode demeure incomplète puisqu’elle ne tient nullement compte de l’espace commun partagé par les individus et qu’elle peut ainsi regrouper des sections de territoire statistiquement similaires, mais où les individus n’ont que peu ou pas de contacts sociaux, n’ont pas accès aux mêmes services, etc. Plusieurs auteurs ont déjà envisagé certaines solutions à cette situation, en suggérant de nouvelles approches basées par exemple sur la perception des habitants, les frontières administratives, ou encore sur des critères historiques (Granis, 1998 et 2001; Coulton et al., 2001; Diez Roux, 2001; Sampson et al., 2002). De plus, avec une approche purement statistique, le chercheur n’a que peu de prise sur l’échelle spatiale à utiliser pour décrire un phénomène quelconque sur le territoire choisi (Macintyre, Ellaway et Cummins, 2002; Lupton, 2003; O’Campo, 2003).

L‘objectif de cet article est de présenter les caractéristiques et les possibilités d’une de ces approches, celle de type historique, laquelle permet de délimiter des unités de voisinage à l’aide des frontières fonctionnelles, administratives ou institutionnelles ayant marqué le territoire d’étude au cours des dernières décennies. L’utilisation d’une telle approche pour la création d’unités de voisinage représentant la synthèse de découpages administratifs ne semble jamais avoir été tentée et nous paraît être prometteuse, puisque son élaboration présente des éléments novateurs tant au niveau de la collecte des données que de leur traitement. Comme le mentionnent Kearns et Parkinson (2001), l’unité de voisinage est le résultat des actions passées et présentes des acteurs qui entrent en relation sur le territoire. De même, Roncayolo (1988) fait remarquer que sous les formes urbaines s’accumule une somme d’expériences historiques. Ainsi, nous croyons possible de mettre en évidence les limites qui ont eu le plus d’impacts sur la structuration du territoire, car ce seront celles qui auront été les plus utilisées par les différentes forces sociales, économiques et administratives exercées sur ces territoires.

Secteurs étudiés

Limoilou

Situé à l’origine en banlieue de la ville de Québec, le quartier de Limoilou fut annexé à celle-ci en 1909 entre deux phases de développement résidentiel importantes. Ces phases de développement se sont produites à une époque où les autorités religieuses avaient une grande influence, tant au niveau politique que social, ce qui paraît encore aujourd’hui dans le paysage de Limoilou. Depuis le début des années 1970, sous l’effet du développement des banlieues, la population de Limoilou est en baisse, ainsi que le dynamisme de ses institutions (Ville de Québec, 1987).

Charlesbourg

Fondé en 1665 par les jésuites, Charlesbourg demeura un espace rural jusque vers 1950. Entre 1951 et 1971, la municipalité de Charlesbourg connut une explosion démographique sans précédent en augmentant sa population de 375%. Celle-ci s’aggloméra principalement autour de son centre historique, le Trait-Carré, pour lui donner sa forme radioconcentrique particulière. Mais pour mettre un frein à un développement résidentiel non contrôlé, le gouvernement du Québec incita grandement les nouvelles banlieues à se fusionner. Le territoire actuel de l’arrondissement est donc le fruit de la fusion, au milieu des années 1970, de l’ancienne ville de Charlesbourg avec trois municipalités voisines (Plan directeur d’aménagement et de développement de Charlesbourg, 1994).

Portneuf

La municipalité régionale de comté (MRC) de Portneuf est un territoire essentiellement rural composé actuellement de dix-huit municipalités et de trois territoires non organisés (TNO). De ces municipalités, treize ont été fondées en un peu moins de soixante ans, entre 1842 et 1901. L’histoire des activités humaines de Portneuf reflète un peu le schéma classique de la colonisation au Québec et est donc liée de très près à l’exploitation des ressources naturelles. L’agriculture, l’exploitation forestière et des ressources minérales font encore aujourd’hui partie des principales activités économiques de Portneuf. Avec des activités humaines qui n’ont que très peu changé au cours du dernier siècle, il n’est pas surprenant que l’on retrouve une très grande stabilité des limites de gestion utilisées et ce, autant sur le plan fonctionnel que social (MRC de Portneuf, 2003).

Figure 1

MRC de Portneuf et arrondissements de Limoilou et de Charlesbourg

MRC de Portneuf et arrondissements de Limoilou et de Charlesbourg

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Notion de voisinage

Il n’y a pas de définition unique de l’unité de voisinage (Kearns et Parkinson, 2001; Galster, 2001; Lupton, 2003). De plus, des concepts analogues, comme le quartier ou la communauté, peuvent se voir attribuer des définitions qui se rapprochent beaucoup de celles que l’on peut donner à l’unité de voisinage (MacQueen et al., 2001), sans que la différence ne soit clairement établie (Diez-Roux, 2001). Certains auteurs vont jusqu’à se demander si ce type de regroupement a encore sa place dans un monde de plus en plus globalisé (Forrest, 2000). Bien que tous puissent identifier leur propre quartier, chacun semble lui attribuer sa propre définition.

En effet, plusieurs chercheurs, institutions ou administrations définissent l’unité de voisinage à leur manière afin de répondre à leurs besoins particuliers. Galster (2001) rapporte quelques définitions de ce qu’est le voisinage. Si celles-ci présument toutes d’une certaine extension spatiale ou de la présence de relations dans l’espace, elles ignorent bon nombre de facteurs de l’environnement résidentiel local, de sorte que le résultat d’une telle lecture pourrait être bien différent selon la perspective d’un habitant, d’un administrateur ou d’un investisseur (Galster, 2001). Ainsi, les caractéristiques du cadre bâti, des infrastructures, des services publics, de l’environnement, de la proximité des services, de la démographie, des classes sociales, de la politique locale, des interactions sociales et les sentiments d’appartenance sont tous des facteurs qui contribuent à constituer une unité de voisinage. Pour ces raisons, Galster propose la définition suivante: «Neighbourhood is a bundle of spatially based attributes associated with a cluster of residences, sometime in conjunction with other land uses» (Galster, 2001: 2112).

Concernant l’échelle d’analyse, l’adaptation faite par Kearns et Parkinson (2001) de la définition de Suttles (1972) explique bien comment peut être perçue une unité de voisinage en distinguant trois niveaux spatiaux et en identifiant, pour chacun d’entre eux, à quel aspect de la personne est liée sa fonction dominante et l’élément moteur de son mécanisme (tableau 1). Le secteur de la maison fait référence à l’identité propre des individus et aux activités familiales; le milieu local se rapporte au statut social et au système d’approvisionnement; le district urbain quant à lui fait référence aux conditions sociales et économiques ainsi qu’aux réseaux sociaux et professionnels.

Tableau 1

Échelles d’unité de voisinage

Échelles d’unité de voisinage

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Méthodologie

Types de données

Pour les fins de notre recherche, quatre des dix facteurs que Galster (2001) utilise pour définir une unité de voisinage ont été retenus, soit les infrastructures (réseau routier, rôle d’évaluation des bâtiments), les services publics (secteurs de patrouille de la police, secteurs d’intervention du service des incendies et du service ambulancier, secteurs des centres locaux de services communautaires – CLSC –, réseau de transport en commun), la politique locale (quartiers, conseils de quartier, districts électoraux, limites municipales) et les interactions sociales (paroisses, unités pastorales, secteurs du service des loisirs, bassins de clientèle des écoles primaires, secondaires et des commissions scolaires). Les autres facteurs se révèlent moins pertinents dans notre projet en raison de la thématique, de l’échelle d’analyse ou de critères opérationnels et seront plutôt explorés lors de travaux ultérieurs à caractère statistique. De plus, l’environnement physique des territoires à l’étude a été pris en considération pour la description des unités de voisinage, pour finalement nous fournir un cinquième facteur là où l’échelle d’analyse le permettait.

Notre recherche d’unités de voisinage se situe au niveau local, tel que défini par Kearns et Parkinson (2001), car c’est à cette échelle que nous voulons vérifier l’impact du milieu de vie sur la santé.

Une recherche de tous ces types de limites dans les trois territoires à l’étude a été effectuée pour les quarante dernières années, soit de 1963 à 2002 inclusivement. La période de quarante ans a été retenue puisqu’il s’agit de la durée moyenne d’une vie active, ce qui permet ainsi de couvrir la période de résidence de la grande majorité de la population. Nous estimons également que les limites recensées au-delà de cette période ne sont plus significatives du milieu local actuel, si l’on considère que le résultat final sera utilisé pour une étude de l’état de santé actuel de la population.

Collecte des données

Chacune des institutions a été tour à tour contactée sur place ou par téléphone. Certaines n’ayant pas cartographié les limites de leur territoire d’activité (par exemple les services ambulanciers, les pompiers et les unités pastorales), seules quelques personnes ressources pouvaient révéler avec précision quelles étaient ces limites et comment elles ont évolué dans le temps.

Sur le plan temporel, les limites dont la période d’utilisation se rapproche d’aujourd’hui sont évidemment beaucoup plus faciles à retrouver que les plus anciennes, quelques-unes étant même disponibles en format numérique et, par le fait même, plus précises. Toutefois, plus l’origine de l’information recueillie s’éloigne du moment présent, plus les limites deviennent rares, voire introuvables, et imprécises, ce dont nous avons tenu compte dans un système de pondération des limites.

Pondération des limites

Afin d’identifier les limites les plus significatives dans la définition des unités de voisinage, nous avons mis au point une méthode de pondération permettant de qualifier ces limites en fonction de certains critères. Ainsi, chacune des limites recensées lors de la collecte reçoit un poids distinct selon quatre critères: la durée et la période d’utilisation de la limite (à l’année près), la pertinence de celle-ci en fonction de la thématique (inégalités sociales de santé) et la qualité de l’information recueillie.

La durée d’utilisation donne un poids correspondant au nombre d’années pendant lesquelles une limite a été utilisée sur le territoire d’étude. La période d’utilisation, elle, attribue un poids en fonction de sa dernière année d’utilisation, c’est-à-dire que plus une limite aura été utilisée récemment, plus le système de pondération l’avantagera. Pour mesurer la pertinence des limites recensées en rapport avec notre thématique de recherche, nous les avons regroupées de deux façons. La première, inspirée de Roncayolo (1988), les partage selon que les organismes qui les ont produites sont de type fonctionnel ou de type social; la seconde, adaptée de Galster (2001), les divise entre organismes reliés aux services publics, à la politique locale ou encore aux interactions sociales. Puisque notre objectif est de circonscrire des unités de voisinage pour une étude des inégalités sociales de santé, notre système de pondération avantage les limites de type social dans les deux classifications. Enfin, la qualité de l’information recueillie a été estimée en fonction de la précision de la carte source, de la qualité de l’information chronologique (années d’utilisation) ou du degré de certitude de la source d’information. Une carte considérée comme étant de bonne qualité sera une carte où la définition graphique des limites est nette, qui ne recèle aucune ambiguïté quant à sa période d’utilisation et dont la source d’information est un document officiel de l’organisme concerné. Les données de qualité moyenne sont celles qui ne remplissent pas un des ces trois critères, alors que les données qui ne remplissent pas au moins deux d’entre eux sont considérées comme incertaines.

À l’exception de la période d’utilisation, les critères de pondération susmentionnés ont été calculés de différentes manières. En faisant varier l’agencement de toutes ces méthodes de calcul, nous avons obtenu douze méthodes de pondération différentes. Deux de ces méthodes ont donné des résultats assez similaires, facilement interprétables et ne créant aucune disparité de grande envergure entre les différents types de limites. Une de ces deux méthodes fut retenue pour l’analyse spatiale.

Système d’information géographique

Afin de colliger toutes les limites recueillies, la création d’un système d’information géographique (SIG) s’est avérée nécessaire. Une structure topologique de base fut construite à partir du réseau routier des secteurs urbains à l’étude, à laquelle ont été ajoutées toutes les limites recensées qui ne sont pas des routes. En milieu rural, nous avons construit la structure de base à partir des limites municipales, étant donné que le réseau routier y est rarement utilisé comme limite. Chacun des segments qui constituent la structure de base a reçu un pointage propre en fonction de l’addition du poids pondéré de chacune des limites qui l’utilise. En d’autres mots, plus un segment de rue sera utilisé souvent par des limites ayant obtenu un poids relatif élevé, plus ce segment pourra être considéré comme étant une limite significative importante.

Résultats

Limoilou

Au total, pour les quarante dernières années (1963-2002), douze types de limites ont été recensés (tableau 2) et ont fourni un ensemble de quarante cartes découpant le territoire de Limoilou de manières différentes. Le tableau 2 montre aussi la qualité des limites dans le temps. De fait, les données se raréfient avec le temps, et leur qualité, selon les critères de pondération retenus, s’amoindrit.

La distribution des poids obtenus pour chacun des segments (N=1273) de la structure de base présente les caractéristiques d’une distribution plurimodale. En effet, trois regroupements de données peuvent être observés. En reportant ces regroupements dans l’espace, on constate qu’ils sont distribués à des endroits stratégiques sur le territoire (figure 2A). Le groupe des valeurs les plus hautes (plus de 80% de la valeur maximale obtenue pour un segment) représente le pourtour de l’arrondissement; le regroupement central (entre 40% et 80% de la valeur maximale) divise Limoilou en onze secteurs; enfin, le dernier regroupement représente tous les segments qui sont peu ou pas utilisés.

Charlesbourg

Pour les quarante dernières années (1963-2002), quatorze types de limites ont été recensés (tableau 2) et ont fourni un ensemble de quarante-neuf cartes découpant le territoire de Charlesbourg de manières différentes. Tout comme dans le cas de Limoilou, on remarque que plus les données sont anciennes, plus elles deviennent rares, et celles qui sont disponibles sont de moins bonne qualité selon nos critères de pondération.

Bien que la distribution du poids des segments (N=2738) soit elle aussi de type plurimodale, elle est beaucoup moins bien définie que celle de Limoilou, et le poids relatif des limites ayant un pointage plus élevé est nettement plus faible. En effet, il a été nécessaire de retenir les limites ayant un pointage aussi faible que 25% du pointage maximal pour repérer des unités spatiales qui concordent approximativement avec notre échelle de recherche. Sur la carte (figure 2B), il ressort que les limites utilisées à Charlesbourg sont très nombreuses et révèlent un faible taux de concordance dans la région où se situe le centre historique de l’arrondissement (le Trait-Carré), ce qui complique la tâche de définir des unités fermées dans ce secteur. Toutefois, si l’on ne retient que les segments qui ont plus de 42% de la valeur maximale, on retrouve cinq unités bien circonscrites qui représentent les quatre anciennes municipalités et la paroisse de Saint-Rodrigue, au sud.

Portneuf

Onze types de limites ont été recensés entre 1963 et 2002 (tableau 2); elles produisent un ensemble de trente-six cartes découpant la MRC de Portneuf.

La distribution des poids accordés à chacun des segments démontre qu’un peu plus de 20% des segments obtiennent le pointage maximal et que près de 65% ont un poids supérieur à 60% du pointage maximal. Cet écart est attribuable au fait que la structure de base pour Portneuf contient beaucoup moins de segments (N=101) que les structures de Limoilou et de Charlesbourg.

Reportée sur une carte (figure 2C), cette distribution montre beaucoup de segments ayant un poids élevé. Cependant, ces segments ne sont pas non plus répartis aléatoirement sur le territoire. Un premier découpage divise le territoire en trois sections, soit l’est, l’ouest et le nord de la MRC, délimitées par les segments ayant un poids relatif de plus de 72% du poids maximal. Ensuite, à l’intérieur de ces sections, les aires fermées que décrivent les segments compris entre 62% et 72% redécoupent la MRC en neuf secteurs.

Discussion

Une des particularités de cette méthode de repérage des unités de voisinages est le type de données recueillies. De nature historique, les cartes recensées étaient le plus souvent sur support papier ou numérique, mais certaines ont dû être reconstituées verbalement. En effet, certaines limites n’avaient jamais été transcrites d’aucune manière. Cependant, elles ont pu être retracées en interrogeant les personnes responsables des organisations, puisqu’elles épousaient dans tous les cas des limites connues et facilement repérables comme les municipalités, les paroisses ou encore des éléments physiques importants comme les chemins de fer ou les lignes à haute tension.

De plus, cette collecte de données nous a permis de faire une synthèse de la perception de toutes les organisations qui ont à gérer le territoire selon leurs besoins propres et, par conséquent, de déterminer la stabilité ou l’instabilité de la gestion générale de ce même territoire pendant la période d’étude. En effet, nous avons remarqué, à travers les trois territoires d’étude, que la stabilité d’une limite lui donne beaucoup de poids dans notre système de pondération et que les limites qui se sont avérées les plus constantes sont celles des paroisses.

Tableau 2

Synthèse des limites recensées

Synthèse des limites recensées

Plus la teinte est foncée, plus la qualité de la carte recensée est bonne

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Figure 2

Représentation du poids relatif de chacun des segments utilisés en fonction du poids maximal pour Limoilou (A), Portneuf (B) et Charlesbourg (C)

Représentation du poids relatif de chacun des segments utilisés en fonction du poids maximal pour Limoilou (A), Portneuf (B) et Charlesbourg (C)

Figure 2 (suite)

Représentation du poids relatif de chacun des segments utilisés en fonction du poids maximal pour Limoilou (A), Portneuf (B) et Charlesbourg (C)

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Le milieu urbain

Le cas de Limoilou est révélateur, puisque le découpage reconstitué à l’aide du SIG représente exactement celui établi par l’archidiocèse de Québec avant 1998, année du réaménagement des territoires paroissiaux à Limoilou. Il est important ici de rappeler que le cadre bâti de l’arrondissement fût presque entièrement érigé à une époque où le pouvoir clérical était à son apogée au Québec (Deschênes, 1980). Ceci a eu pour conséquence que le développement des infrastructures et l’organisation sociale du quartier ont largement emprunté au découpage paroissial. Bien sûr, l’institution paroissiale n’occupe plus la place d’antan dans les activités de quartier. Toutefois, le cadre bâti est demeuré et, si les infrastructures ont changé de vocation ou se sont adaptées aux besoins actuels, l’organisation de l’espace dans lequel elles évoluent est restée la même (Deschênes, 1980). Cette structure a aussi influencé d’autres organisations (loisirs ou soutien aux personnes défavorisées) qui utilisent aussi, en tout ou en partie, le découpage paroissial. En conséquence, ce découpage est non seulement très constant dans le temps, mais il est aussi utilisé pour satisfaire plusieurs administrations différentes. Il n’est donc pas surprenant de constater que c’est ce découpage que nous avons pu mettre en évidence à l’aide du SIG (figure 2A).

Le milieu périurbain

En milieu périurbain, la situation est très différente. Outre son centre historique, Charlesbourg est une municipalité dont le cadre bâti est relativement récent. En effet, l’augmentation rapide de population qu’a connue Charlesbourg à partir du milieu des années 1950 a induit un développement urbain à la fois diffus et peu contrôlé par les instances municipales et pas du tout par le cadre clérical. Ceci a eu pour conséquence une sous-utilisation des services et de l’équipement municipal en raison de la faible densité de population (Pelletier-Lachance, 1981). C’est de cette manière que l’on pourrait expliquer l’absence de quartiers bien définis par la municipalité et la centralisation de son organisation. Les seules unités de gestion mises en place par la municipalité ont été les districts électoraux. Mais encore là, avec six redécoupages territoriaux en vingt-sept ans, on doit conclure que les districts électoraux constituent des limites pour le moins instables.

Ainsi, le résultat obtenu lors de la synthèse des limites recensées représente assez bien la situation de Charlesbourg. À une époque où le clergé perdait considérablement de son influence sociale et politique, des quartiers périurbains se sont construits naturellement autour du centre historique alors que les autorités municipales n’intervenaient que très peu pour en assurer la coordination. Les limites que nous avons repérées avec le SIG n’offrent donc pas un découpage très net ou très marqué, avec des unités fermées comme pour Limoilou, mais contribuent néanmoins à établir des unités de voisinage caractéristiques de cet arrondissement (figure 2B).

Le milieu rural

L’unité de voisinage est un concept qui semble toujours avoir été utilisé pour caractériser des milieux urbains. En milieu rural, comme dans la MRC de Portneuf, où la densité de population peut être aussi basse que 1,4 habitants par km 2, la notion de voisinage prend une toute autre dimension. C’est pourquoi l’échelle géographique utilisée pour l’analyse de cette région est beaucoup plus petite que dans le milieu urbain ou périurbain et que la structure topologique de base ne comprend pas le réseau routier. Également, on constate que les limites utilisées par l’ensemble des systèmes administratif et institutionnel sont très stables dans le temps.

En effet, très peu de fusions ou de démembrements ont eu lieu sur le plan municipal au cours des quarante dernières années sur le territoire de la MRC et aucune modification ne s’est produite pour les paroisses. Pour Portneuf, le travail a donc consisté à repérer non pas les limites les plus utilisées, comme cela a été fait pour les milieux urbains, mais plutôt celles qui le sont le moins. La somme de ces limites reflète en fait le partage des services et des infrastructures entre les municipalités. En d’autres mots, plus une municipalité aurait de liens sociaux et fonctionnels étroits avec une autre municipalité, moins la limite qui les sépare aurait un grand pointage. Ainsi, en colligeant toutes les données recueillies, nous avons constaté qu’il y avait beaucoup de regroupements de municipalités ou de paroisses voisines qui partagent les mêmes infrastructures et les mêmes services sociaux, alors que d’autres ne partagent rien. On peut identifier à la lecture de la carte issue du SIG quelles sont les municipalités qui entretiennent de tels liens et cela pour deux échelles géographiques (figure 2C).

L’unité de voisinage historique

Un autre trait singulier de notre approche est qu’il est aisé de repérer dans nos trois territoires d’étude des unités de voisinage à différentes échelles. Effectivement, en retenant un seuil relatif supérieur, il est possible de découper Limoilou et Portneuf en trois unités différentes et Charlesbourg en cinq.

Que l’utilisation d’un SIG historique permette de découper un territoire contemporain de manière objective constitue en soi un résultat intéressant. Mais peut-on considérer les unités circonscrites comme étant des unités de voisinage homogènes, dont les habitants partagent un espace de vie commun? Les données assemblées pour cette étude ne considèrent pas directement les aires d’activité de chacun des habitants, ni ne tiennent compte de leurs attributs socioéconomiques. Cependant, en utilisant toutes les limites fonctionnelles, administratives et institutionnelles, le système reconnaît des aires qui sont, en quelque sorte, imposées aux habitants, circonscrivant ainsi une partie de leurs déplacements et de leurs lieux de rencontre, ce qui augmente nécessairement leurs interactions. En d’autres mots, les espaces tracés par notre approche rassemblent des îlots d’habitations et des territoires associés qui, de manière générale, subissent les mêmes décisions de politique locale, reçoivent la même qualité de services et abritent des lieux de rassemblement communs (écoles, églises, arénas, etc.), ce qui contribue à repérer des sections du territoire où le potentiel d’interaction entre les habitants est plus élevé à l’intérieur de cet espace qu’avec les autres secteurs du même territoire.

Pour valider le découpage obtenu et vérifier le niveau d’homogénéité de nos unités de voisinage, il sera nécessaire d’utiliser une méthode de regroupement statistique. Nous croyons que la combinaison de ces deux méthodes permettra d’obtenir des unités spatiales qui, dans le cadre d’une étude sur les inégalités sociales de santé, pourront consolider les analyses du milieu local. Incidemment, puisque les données quantitatives utilisées dans ces analyses proviennent des recensements canadiens, un ajustement des unités de voisinage issues de la méthode historique devra être effectué en fonction du découpage de Statistique Canada, à l’échelle des aires de diffusion, pour les milieux urbain et suburbain (tant à Limoilou qu’à Charlesbourg, une aire de diffusion sur cinq recoupe plus d’une unité de voisinage, alors qu’elles s’insèrent parfaitement à Portneuf).

En somme, s’il ne faut pas considérer la méthode historique comme un substitut à une méthode statistique. Elle peut toutefois agir comme une balise empêchant des regroupements statistiques incohérents par rapport à l’espace de vie commun des habitants.

Conclusion

Parce qu’elle fait la synthèse de toutes les divisions administratives d’un territoire, l’approche historique pour repérer des unités de voisinage dans le cadre d’une étude sur les inégalités sociales de santé se révèle pertinente. Effectivement, cette nouvelle approche nous a permis de découper des parcelles de territoire ayant une influence potentielle différente à une échelle qui concorde avec nos besoins de recherche. De plus, en ajustant le système de pondération, il demeure possible de révéler d’autres unités là où, par exemple, les cadres fonctionnels et politiques seraient plus importants à considérer en fonction des besoins d’une autre expérimentation.

Testée dans la région de Québec, il pourrait être également intéressant d’analyser les résultats obtenus par cette méthode dans des villes ou des régions plus anciennes, qui ont connu une toute autre évolution, ou encore dans celles qui présentent un bon degré de diversité ethnique et culturelle (ce qui n’est évidemment pas le cas pour notre région où plus de 95% de la population est de race blanche et francophone).

Néanmoins, il faut rappeler que l’approche historique n’est pas une méthode absolue. Nous croyons que sa combinaison avec une méthode statistique est inévitable pour obtenir un résultat cohérent et que le véritable rôle de l’approche historique est de baliser les résultats obtenus par une approche statistique. Nous croyons également que ces résultats devraient être par la suite validés par des intervenants locaux qui connaissent bien leur territoire respectif sous d’autres aspects.

Enfin, il nous apparaît qu’un des points intéressants de l’approche historique est le fait qu’elle rende opératoire, et à peu de frais, un concept dont la définition demeure relativement vague et ambiguë. Avec cette approche, il est maintenant possible de définir, sur des bases empiriques, des unités spatiales dont les caractéristiques internes sont potentiellement différentes les unes des autres.