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L’innovation sociale a le vent dans les voiles. Non seulement les publications sur le sujet se multiplient, mais le Fonds de recherche Société et culture, en collaboration avec l’Agence nationale de la recherche, lançait à la mi-octobre 2015 un appel franco-québécois à projets de recherche, entre autres, sur le thème Politiques publiques et innovations sociales face aux changements démographiques. On imagine l’intérêt des auteurs du présent ouvrage, qui ont déjà publié abondamment sur ce concept dont la montée en importance fait dire à Bonneworth (2015) que l’innovation sociale s’avère un précieux moyen pour faire face aux défis du XXIe siècle. [1] On comprendra pourquoi Jean-Marc Fontan, professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et responsable de la collection qui publie l’ouvrage écrit que (p. 124), en tant que membre du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), il fait partie de ce regroupement de chercheurs pour qui la société fonctionnerait mieux dans la mesure où une plus grande attention serait portée aux questions de nature sociale, économique et environnementale. Pour le démontrer, on a fait appel à 14 collaborateurs, dont la moitié sont sociologues. L’ensemble se présente en huit chapitres.

Dans une introduction qui n’en est pas véritablement une, Denis Bussières, doctorant en sociologie à l’UQAM, a cru utile de traiter d’abord de « [l]a crise du modèle de développement » (!) et ensuite de « [l]a société et l’économie du savoir » où il cite ad nauseam une étude de l’OCDE datant de…1996, pour poursuivre avec une publication de l’UNESCO datant cette fois de 2005. Que le lecteur se rassure, les autres auteurs se sont faits moins scolaires.

Le tout débute avec une contribution de Pierre-André Tremblay, professeur d’anthropologie à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), sous le titre « Une sociologie de la recherche partenariale ». De prime abord, il importe d’éviter de confondre la recherche partenariale avec la recherche en partenariat ou la recherche-action, dont font part la majorité des autres collaborateurs à cet ouvrage. En effet, comme l’écrit Tremblay, la recherche partenariale jumelle les expertises. Les acteurs de terrain avec qui travaillent les chercheurs se font eux-mêmes chercheurs. Ce type de partenariat conduit à la « coconstruction de connaissances ». Les uns et les autres sont appelés à effectuer l’analyse des données et à en faire l’interprétation. L’auteur va jusqu’à affirmer que les praticiens en arrivent ainsi à acquérir une grande autonomie de recherche. Je me permets d’en douter : on ne fera pas d’un élu local ou d’un représentant d’association de retraités des usagers inconditionnels du logiciel SPSS et de la pratique de l’analyse factorielle. L’auteur reconnaît effectivement l’existence d’asymétrie en précisant que le chercheur n’ambitionne pas de devenir praticien. On l’aurait deviné.

Le chapitre suivant, « L’espace de recherche partenariale », se veut la suite du précédent. Jacques Caillouette, professeur à l’Université de Sherbrooke, et Sid Ahmed Soussi, professeur à l’UQAM, fournissent d’utiles précisions. En effet, ils soulignent la nécessité d’éviter de voir dans ce type de recherche un moyen de fusionner l’identité des différents acteurs entrant en interaction. Il serait, selon eux, plus réaliste d’évoquer la constitution d’un « espace hybride de recherche ». Ainsi, on peut lire : « Ce n’est pas l’acteur qui est hybride, mais bien l’espace créé par la rencontre des acteurs, lesquels conservent leur identité d’origine. » Même si elle s’inscrit dans la trame tracée par les deux premiers chapitres, la contribution de Diane Gabrielle Tremblay et Valéry Psyché, toutes deux reliées à Télé-Université, traite avant tout des « communautés de pratique » avec lesquelles elles se sont impliquées. Le lecteur se voit offrir à satiété des extraits d’entrevues, avec des précisions que ne renierait pas un notaire de campagne. Les auteures croient utile de préciser, dans leur conclusion, que rien n’est facile faute de temps ou de motivation de la part des participants.

Avec Jean-Marc Fontan et Jean-Francois René, ce dernier étant professeur à l’École de travail social de l’UQAM, on s’écarte de la recherche partenariale telle que définie antérieurement pour se rapporter à deux études de cas qu’il m’a été donné de connaître lors d’un imposant colloque du CRISES, en mars 2014. Il s’agit de deux cas liés au programme Parole d’excluEs, mis en branle par un praticien de longue date, Patrice Rodriguez. [2] L’un est situé dans Hochelaga-Maisonneuve, et l’autre à Montréal-Nord. Certains lecteurs pourront apprécier le long descriptif de la méthode d’enquête, d’autres préféreront s’attarder aux intéressantes considérations se rapportant au pragmatisme comme courant de pensée. Au chapitre V, nous retrouvons Jean-Marc Fontan qui, avec sa collègue Lucie Dumais de l’École de travail social, s’engage dans un passionnant échange sous la forme d’une entrevue menée par Denis Bussières. Ici, il est avant tout question de recherche en partenariat laquelle, selon Lucie Dumais, ne « coconstruit » pas toujours de la connaissance. Une nuance appréciée. Très lucide, Lucie Dumais ne se réfère à nul autre qu’Huberman pour préciser qu’un partenaire de recherche peut trouver satisfaction pour diverses raisons. De son côté, Jean-Marc Fontan conserve lui aussi les pieds sur terre en reconnaissant que la recherche partenariale a, comme toute chose, ses limites en termes de retombées et de suivi. Enfin, comme le signale Lucie Dumais, la recherche en partenariat prend son appui sur une logique d’empathie.

Le chapitre VI porte sur le développement tel que promu par la Concertation en développement social de Verdun [3] (à Montréal). Son auteur, Christian Jetté, professeur en travail social de l’Université de Montréal, est de toute évidence davantage porté sur le social que sur l’économique. Il déplore qu’un organisme mis en place voilà plusieurs années, le Forum économique, mette l’accent sur l’entrepreneuriat individuel en négligeant l’entrepreneuriat collectif. Faut-il préciser que, parmi tous les commerces qui fleurissent sur la rue Wellington – souvent montrée en exemple dans l’hebdo local pour son nouveau dynamisme –, on ne voit guère de coopératives… Oui, comme l’écrit Jetté, les préjugés entre le milieu communautaire et le milieu économique sont toujours tenaces. De part et d’autre, faut-il préciser.

Le chapitre VII se rapporte à une nième recherche sur les Corporations de développement économique et communautaire (CDEC) de Montréal depuis la création des trois premières, au milieu des années 1980. Juan-Luis Klein, directeur du CRISES et Pierre Morrisette, directeur d’une de ces CDEC, annoncent une recherche exploratoire en vue de… tester une hypothèse. Or, on sait qu’une recherche exploratoire, par définition, ne s’appuie sur aucune hypothèse puisqu’elle vise précisément à en établir pour les tester par des recherches ultérieures. L’hypothèse en question se rapporte à la cohésion sociale que favoriseraient les CDEC dans leurs quartiers respectifs. À la question (p. 171) « La cohésion sociale est-elle importante pour le développement économique de votre arrondissement ? » on a répondu par… l’affirmative. Faut-il s’en étonner ? C’est un peu comme si l’on demandait aux policiers si leur travail est… utile. L’ouvrage se termine par l’étude d’un cas se rapportant aux conséquences des changements climatiques dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Pour les jeunes lecteurs, les auteurs on cru bon de s’attarder sur l’origine du concept de gouvernance.