Comptes rendus bibliographiques

GALLET, Gilles (2016) Pour une Russie européenne. Géopolitique de la Russie d’hier et d’aujourd’hui. Paris, L’Harmattan, 194 p. (ISBN 978-2-343-09530-1)[Notice]

  • Dominique CROZAT

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  • Dominique CROZAT
    UMR 5281 ART-Dev, Département de Géographie, Université Paul-Valéry-Montpellier, Montpellier (France)

Voici un ouvrage ambitieux qui vise à mettre en perspective les cohérences de la géopolitique russe sur un siècle et demi, et parfois plus longtemps encore. Ce n’est pas illégitime puisque l’auteur met en valeur des schémas de pensée souvent très constants du monde avoisinant. Plus stable encore, la permanence de points de fixation qui jalonnent l’immense frontière russe, envisagés dans des perspectives très stables malgré l’évolution des territoires concernés (la Pologne) et des contextes (les Caucases), voire la réinvention régulière de ces entités voisines (l’Ukraine, la côte Balte). Stables également la réalité des représentations comme des moyens consacrés à ces relations de voisinage : une Russie qui fait toujours peur par son gigantisme, mais peut parfois incarner la constance face à d’autres puissances plus volatiles, avec des armées souvent fragiles, mais toujours colossalement présentes. Le propos est donc intéressant dans un monde qui cultive l’immédiateté et qui serait sous le coup d’une condamnation à la « fin de l’histoire ». Ce souci d’offrir un tel panorama est bienvenu pour donner une culture cohérente à nos étudiants et au grand public, à qui on présente souvent les événements dans chacun de ces théâtres de manière ponctuelle et très fruste. Le large tableau proposé, tant chrono–logiquement (trois régimes) que spatialement, peut cependant laisser parfois dubitatif : parle-t-on de la même Europe dans les pays baltes et dans le Caucase ? En 1920 et aujourd’hui ? Cette volonté russophile (mais pourquoi pas ?) de tout ramener à un dessein aussi constant peut lasser à la longue et se révéler contreproductive en alimentant certains fantasmes récurrents vis-à-vis d’une Russie perçue comme menaçante en toutes circonstances : la page 145 le résume bien, mais contredit aussi ce discours sur les permanences de la politique russe en affirmant à juste titre que les missions de l’armée « ont considérablement évolué ». Surtout, c’est oublier que l’histoire des relations de la Russie avec les territoires européens voisins est faite aussi de beaucoup d’opportunisme et de réactions sous la contrainte d’une actualité urgente et non prévue… De plus, le propos vise à construire le portrait d’une « âme russe » qui laisse dubitatif, surtout quand ce portrait est cerné par des formules telles que « l’idée communiste est en effet assez proche de l’âme russe » (p. 26). Déjà en 1925, Porché se méfiait « des lieux communs, c’est-à-dire de ces traits généraux universellement admis, qui comportent une multitude d’exceptions. […] D’ailleurs, l’expression " âme slave " n’a rien de scientifique : c’est un cliché commode », avant de conclure que « le terme, dans son acception ordinaire, vise surtout les Russes ». Éternelle fascination pour une éternelle Russie, une catégorisation qui touche la Russie plus que la plupart des régions du monde… et pourquoi ne pas aussi réinventer les aires culturelles de la géo à papa ? Cela n’empêche cependant pas de souscrire à la seconde idée qui termine la phrase citée en page 26 : « En Russie, capitalisme et communisme ont toujours eu un sens différent de celui que l’on entend ailleurs. » Mais encore faudrait-il se montrer plus précis que les deux pages qui suivent, puisque cela pourrait expliquer en partie quelques indéniables éléments de continuité de la géopolitique russe par-delà les éclipses temporaires et somme toute assez courtes des changements de régime, tout autant qu’une attitude constante face à certains territoires qui, pourtant, ont beaucoup changé. La Géorgie ou l’Ukraine illustrent bien ces mutations permanentes de territoires qui se construisent sous l’influence d’une géopolitique globale et de relations très changeantes avec Saint-Pétersbourg puis Moscou. La Crimée de 1852 n’a rien à voir …

Parties annexes