Corps de l’article

Sir John Houghton est l’un des plus grands spécialistes de la question du réchauffement de la planète et de ses conséquences sur les changements climatiques. Ancien professeur de physique de l’atmosphère à Oxford, il était jusqu’en 2002 directeur du groupe de travail sur l’évaluation scientifique au sein du groupe intergouvernemental sur les changements climatiques (en anglais, l’IPCC, pour Intergovernmental Panel on Climate Change). L’IPCC a été créé en 1988 par le Programme des Nations unies pour l’Environnement et l’Organisation météorologique mondiale afin de vérifier dans les faits s’il est exact qu’un processus accéléré de réchauffement de la planète est en cours et, s’il y a lieu, de chercher à en comprendre les modalités d’articulation ainsi que la portée. Global Warming. The Complete Briefing a été publié en 1994 dans la foulée du premier rapport sur le réchauffement de la planète de l’IPCC, rapport rendu public en 1991. L’ouvrage a ensuite été mis à jour à deux reprises, en 1997 puis en 2004, pour tenir compte des nouveaux résultats présentés dans les deux plus récents rapports de l’IPCC, publiés successivement en 1995 et 2001.

Ce livre de Houghton soutient qu’un réchauffement de la planète est bel et bien en train de se produire, qui n’est pas dû à la variabilité naturelle du climat, mais à l’activité humaine. Même s’il n’était que minimal, ce réchauffement aurait des conséquences climatiques dont l’ampleur ne devrait pas être sous-estimée. Les événements climatiques extrêmes seraient le plus à craindre: ouragans plus fréquents et plus dévastateurs, sécheresses encore plus marquées dans les régions déjà les plus durement touchées, accroissement du nombre des «réfugiés du climat», disparition d’ici quelques années de petites îles du Pacifique à la suite d’une dilatation des eaux qui fait monter le niveau des mers, etc. Au total, l’ouvrage nous montre clairement à quel point le changement climatique est un processus planétaire complexe, qui s’active et s’articule en fonction des échelles géographiques globale et régionale.

La forme du livre est particulièrement intéressante. Global Warming. The Complete Briefing comprend douze chapitres, dont les sept premiers composent un premier ensemble cohérent, scientifique, que chapeaute un huitième chapitre intitulé «Why should we be concerned?». Dans les sept premiers chapitres, l’auteur expose d’une manière rigoureuse et pédagogique l’abc du sujet: les rapports entre le réchauffement de la planète et les changements climatiques; les mécanismes qui régissent l’effet de serre et la façon dont certains gaz l’alimentent à des degrés divers; la nature des modèles climatiques et la justesse relative – mais effective dans bien des cas – de leurs prévisions; les liens entre les climats du passé et ceux à venir; enfin, les impacts prévisibles des changements climatiques. Puis, le chapitre huit marque un temps d’arrêt d’où surgit un questionnement d’essence éthique, voire chrétienne, sur les relations que nos sociétés entretiennent avec l’environnement.

Ce huitième chapitre aurait pu conclure un ouvrage de sept chapitres particulièrement denses, mais il fournit plutôt l’occasion à l’auteur de s’engager dans le dernier droit en terrain normatif. Tout d’abord, selon l’auteur, l’absence de preuves irréfutables d’un réchauffement de la planète ne devrait pas empêcher de passer à l’action en vue de contenir les changements climatiques hautement probables dans un proche avenir. Houghton évoque le recours au principe de précaution pour éviter qu’une attitude trop attentiste nous amène bien malgré nous jusqu’au précipice.

Aux yeux de l’auteur, les sciences humaines et sociales doivent être mises à contribution pour aider à la prise de décision. C’est pourquoi les derniers chapitres discutent des moyens à prendre, à la fois pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre en favorisant la mise en application des conventions internationales, comme celle de Kyoto, ainsi que des façons d’accroître l’efficacité énergétique tout en mettant l’accent sur le développement des sources d’énergie alternatives.

Dans cette seconde partie de l’ouvrage, le raisonnement prend donc une tournure normative et économique. Elle est normative parce que l’auteur discute principalement de ce qu’il faudrait faire pour vivre en harmonie avec la planète. Le raisonnement est aussi économique, parce que l’auteur veut désespérément chiffrer le coût du risque associé au wait and see, c’est-à-dire à l’inaction. Mais Houghton se voit forcé d’admettre qu’à ce chapitre le raisonnement économique ne peut être d’un grand secours puisqu’incapable de déterminer la valeur intrinsèque d’une forêt ou d’une espèce unique en voie de disparition. Par exemple, les économistes ne s’intéressent à la valeur d’une forêt qu’une fois celle-ci coupée en morceaux à destination d’un marché, soit à sa seule valeur d’échange (pp. 236-237). Pour parler de valeurs intrinsèques, ou de valeurs d’usage, il faudrait que les économistes empiètent sur le domaine des valeurs, du social, ce dont ils n’ont pas encore pris l’habitude.

«Quelle planète voulons-nous léguer à ceux qui nous suivent?» Telle est fondamentalement la question que pose l’ouvrage de Houghton. Pour les pays développés qui prônent une amélioration de la bonne gouvernance à l’échelle planétaire grâce à une meilleure circulation des capitaux, des biens et des services – mais pas des personnes –, la réponse est claire: il faudrait laisser aux seuls mécanismes du marché la tâche d’optimiser l’utilisation des ressources de manière à obtenir un fonctionnement optimal des sociétés. Mais pour le moment, cette option ne marche pas (Stiglitz), sauf pour ce qui est de vaporiser de plus en plus efficacement des combustibles fossiles dans l’atmosphère et d’activer les boucles de rétroaction positives néfastes dont Houghton nous entretient tout au long des sept premiers chapitres de son livre.

En tant que scientifiques, Houghton nous invite plutôt à nous engager, comme il le fait lui-même, dans un débat de société, voire à lancer un tel débat sur nos habitudes de vie, puisque c’est de cela dont il s’agit essentiellement. Il aspire à ce que les scientifiques de toutes les disciplines apprennent enfin à dialoguer entre eux, afin de mieux comprendre un problème aussi général que celui du réchauffement de la planète, donc à miser sur la transdisciplinarité. À ce chapitre, la géographie a longtemps été une discipline qui recherchait en soi le dialogue avec les sciences voisines parce qu’elle étudiait des processus globaux comme la formation des paysages, notamment. Si elle ne s’était pas détournée de cette voie durant les années 1970, elle aurait donc pu être avant-gardiste!