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Introduction

En près de 40 ans, les revendications pour plus de participation et de transparence, ainsi que la diffusion du principe de développement durable ont profondément transformé les secteurs de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, au Québec. Au fil des décennies, divers types de dispositifs de participation publique ont vu le jour dans ces deux secteurs – consultations publiques, comités consultatifs, référendums décisionnels, comités de suivi, conseils de quartier, etc. – et ont permis de démocratiser le rapport gouvernants / gouvernés et la relation entre les pouvoirs publics et la société civile (Hamel et Jouve, 2006 ; Hamel, 2008 ; Gariépy et Morin, 2011). Cette transformation ne s’est pas faite du jour au lendemain. Après l’adoption, à la fin des années 1970, des deux principaux cadres législatifs dans ces secteurs, soit la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) et la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), l’offre de dispositifs participatifs s’est progressivement accrue.

Quel bilan de ces innovations participatives en environnement, en aménagement du territoire et en urbanisme au Québec peut-on présenter sur le long terme ? Quelle lecture peut-on faire du chemin parcouru depuis près de 40 ans ? Dans cet article, nous souhaitons proposer, par une étude longitudinale sur environ quatre décennies, une interprétation de l’évolution des dispositifs de participation publique au Québec dans ces deux grands secteurs d’action publique. Nous verrons qu’au fil des ans, différents dispositifs participatifs ont été expérimentés, ajoutés, bonifiés et superposés, de sorte qu’ils forment aujourd’hui une architecture complexe de la participation. À cet égard, les audiences publiques du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) apparaissent, avec le recul du temps, comme une innovation structurante et une expérience marquante dans les deux secteurs. Le BAPE a agi en quelque sorte comme un modèle à imiter ou à éviter (Baril, 2006 ; Beauchamp, 2006 ; Gauthier et Simard, 2017). Dispositif ouvert, quasi obligatoire, générateur d’information et d’expertise, sa fréquence et sa portée se sont accentuées avec les années. Conduites par une véritable institution, souvent contraignante pour les promoteurs et les gouvernements (Gauthier et Simard, 2017), les audiences publiques du BAPE font toutefois souvent l’objet de critiques en raison notamment de leurs coûts, de leur durée et du caractère conflictuel des débats qui mènent parfois à des blocages.

Ainsi, plusieurs dispositifs participatifs, plus fermés et orientés vers la recherche du consensus, ont vu le jour afin d’atténuer ou de contourner les conflits et de rendre la participation publique plus prévisible. Avec le développement de la pratique, certains acteurs de la participation publique ont en effet senti le besoin de créer des dispositifs participatifs basés sur la recherche du consensus et la résolution des conflits, notamment pour mieux en contrôler la portée. L’objectif était de trouver des formes participatives permettant d’accommoder les demandes des parties concernées et d’instaurer un climat de collaboration plutôt que d’affrontement (Dorcey et McDaniels, 2001 ; Meadowcroft, 2004 ; O’Leary et al., 2004), mais parfois avec le résultat de seulement déplacer le problème.

Il s’agit d’un tournant important qui a marqué profondément la pratique de la participation publique, au Québec comme ailleurs à l’étranger, notamment aux États-Unis (Elliott et Kaufman, 2016). Plusieurs ont vu dans cette transformation des modes d’action publique la consolidation de deux approches concurrentes de la participation publique, soit, d’une part, un modèle de participation ouvert axé sur l’expression des conflits et des oppositions et, d’autre part, une approche plus managériale d’aide à la décision, centrée sur la concertation et la négociation par les acteurs immédiatement concernés. Toutefois, dans la pratique, ces deux modèles s’opposent-ils vraiment ou sont-ils complémentaires ? La question se pose puisqu’ils sont habituellement présentés sur un même axe opposant, d’un côté, un modèle d’expression des conflits et des oppositions ouvert au plus grand nombre et, de l’autre, un modèle consensuel centré sur un petit nombre d’acteurs concernés, souvent désignés comme étant les « parties prenantes » (stakeholders).

Nous considérons toutefois qu’une approche diachronique sur plusieurs décennies et par secteurs d’activité permet de tracer un portrait beaucoup plus nuancé de ce phénomène complexe. Cette approche permet d’aller au-delà de l’analyse des dispositifs participatifs pris isolément pour plutôt embrasser l’ensemble des dispositifs participatifs d’un champ d’activités sur une longue période. Notre analyse tend à montrer que : 1) au cours des 40 dernières années, les dispositifs participatifs dans les secteurs de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme se sont multipliés ; 2) aux dispositifs participatifs traditionnels permettant l’expression des conflits et des oppositions, comme les audiences publiques du BAPE et les assemblées publiques de consultation en aménagement et urbanisme, se sont progressivement ajoutés des dispositifs davantage orientés vers la recherche du consensus et la résolution des conflits, comme la médiation environnementale, les organismes de bassin versant (OBV) et les conseils de quartier ; 3) de nos jours, ces deux grandes catégories de dispositifs participatifs cohabitent et peuvent apparaître parfois comme étant complémentaires et parfois comme étant contradictoires. Nous verrons notamment que, même si la participation publique est devenue incontournable, sa mise en pratique est fort diversifiée et pose une série de problèmes quant à ses modalités de mise en oeuvre.

Notre article se divise en trois parties. Dans la première, nous présentons notre cadre théorique et notre grille d’analyse, laquelle s’appuie sur deux axes pour qualifier les différents dispositifs participatifs. Dans la deuxième partie, nous analysons les différents dispositifs de participation publique à l’oeuvre dans les secteurs de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme à l’aide de deux figures positionnant les dispositifs à l’intérieur d’un cadran reprenant nos deux axes d’analyse. Ce découpage en deux secteurs, retenu pour l’analyse, correspond à deux grands domaines d’intervention de l’État québécois, lesquels reposent sur deux cadres législatifs distincts : la LQE (1978) et la LAU (1979). La LQE avait pour principales cibles les grands promoteurs de projets dans les régions ressources et les milieux ruraux en instaurant notamment une procédure d’évaluation environnementale. La LAU visait principalement les villes et les municipalités en leur confiant des responsabilités en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Ces deux secteurs d’activité, qui sont intimement liés, ont évolué en parallèle tout en s’influençant mutuellement. Enfin, ce travail de synthèse, qui s’appuie sur les études disponibles, permet de porter un regard diachronique sur les transformations de l’action publique dans ces deux grands secteurs d’activité. [1]

Cadre théorique et grille d’analyse

Pour fin d’analyse de l’évolution du champ de la participation publique en environnement, en aménagement du territoire et en urbanisme, les deux secteurs sont compris comme des champs organisationnels (DiMaggio et Powell, 1983), c’est-à-dire comme un système d’acteurs et d’organisations qui se reconnaissent comme partageant la même sphère d’activités et qui interagissent de différentes façons. L’idée de champ organisationnel suppose qu’il y aurait institutionnalisation, c’est-à-dire progression de la reconnaissance et de l’intensité des pratiques typiques de ce champ. Dans le cas spécifique de la participation publique, ceci se fait par un processus continu de création, de multiplication, de superposition et de transformation des principes, règles et designs qui encadrent la mise en oeuvre de dispositifs participatifs.

Dans un tel contexte, le changement concerne non seulement la transformation des pratiques, mais également les tentatives de stabilisation autour de pratiques dominantes. L’évolution des dispositifs participatifs en environnement, en aménagement du territoire et urbanisme s’est faite principalement autour de deux dimensions : la première, que nous synthétisons à l’aide d’un axe où l’on trouve aux extrémités les pôles ouvert et fermé, et la deuxième, qui se traduit sur un autre axe avec des pôles antagoniste et consensuel. De manière générale, du point de vue de l’action publique et de la participation publique, nous avons privilégié une approche qui s’inspire de la sociologie de l’action publique et de ses instruments (Lascoumes, 1994 ; Lascoumes et Le Galès, 2007 ; Hassenteufel, 2011) ou, selon Fourniau (2003), la démocratisation de la vie publique par rapport à d’autres approches plus critiques axées sur les mouvements sociaux et l’action collective (Hamel, 2008 ; Vaillancourt, 2010 ; Neveu, 2011) ou plus normatives d’inspiration managériale d’aide à la décision (Prévil et al., 2004 ; Alexander, 2006 ; Dietz et Stern, 2008). D’un point de vue plus spécifique, cette distinction en deux axes s’inspire de deux types de littérature. La première catégorie de travaux relève de la délibération et on s’y interroge sur la qualité de la discussion des espaces participatifs, plus spécifiquement sur la délibération en petits groupes par opposition aux assemblées ouvertes (Mansbridge, 1983 ; Chambers, 2004). La deuxième catégorie de travaux a trait aux études dans le domaine de l’évaluation environnementale qui s’intéressent à l’articulation entre la participation publique, l’évaluation des impacts sur l’environnement et la décision (Sinclair et Diduck, 2001 ; O’Faircheallaigh, 2010 ; Glucker et al., 2013). [2]

Première dimension : dispositifs participatifs ouverts / fermés

Le degré d’ouverture ou de fermeture d’un dispositif participatif fait référence à la sélection des citoyens invités à participer à une instance participative. S’agit-il d’une démarche ouverte et volontaire à laquelle tous les citoyens peuvent prendre part ou les participants sont-ils sélectionnés sur la base de critères particuliers, comme le niveau d’expertise ou la représentativité ? Avec le développement de la participation publique, plusieurs acteurs du domaine se sont interrogés sur l’utilité de conserver le caractère public de tous les espaces participatifs. L’ouverture a été associée à l’idéal de participation de la communauté, entendue comme un tout indivisible et harmonieux. Toutefois, la pratique a montré rapidement qu’il y avait plusieurs formes de publics ayant des préférences et des intérêts différents et parfois même divergents (Elliott et Kaufman, 2016 : 199). L’articulation de ces intérêts était vue comme un véritable casse-tête. Cela a suscité une interrogation sur la représentativité des participants, c’est-à-dire sur les critères à utiliser pour désigner qui pouvait être autorisé à participer. La notion de « parties prenantes » (stakeholders) a ainsi été créée pour distinguer les citoyens directement concernés de ceux pour qui les intérêts sont plus diffus. Mais cette notion n’est pas stabilisée ; elle fait l’objet de différentes interprétations selon le contexte d’action (Ballet et Bazin, 2004).

Les parties prenantes englobent généralement les citoyens et les militants non professionnels particulièrement mobilisés dans une communauté (laystakeholders) ainsi que les parties prenantes professionnelles, qui incluent autant les associations fortement organisées et reconnues que les experts ou des acteurs à qui est accordée une grande légitimité à intervenir dans un secteur donné (Fung, 2006). Plus un mécanisme sera fermé, moins les simples citoyens seront invités à participer et plus les parties prenantes professionnelles seront privilégiées. Dans le cas d’un projet fortement localisé, les parties prenantes identifiées à un territoire peuvent être sélectionnées, alors que les organisations et citoyens hors du territoire sont considérés comme moins légitimes, car ils n’ont pas d’intérêts directs dans le projet. Dans les cas des dispositifs participatifs les plus fermés, la fermeture du processus vient généralement avec une obligation de démontrer son intérêt pour se qualifier à participer.

Deuxième dimension : dispositifs participatifs antagonistes / consensuels

Comment le pluralisme des opinions, la dissension et l’opposition s’expriment-ils, et comment l’atteinte du compromis, voire du consensus, est-elle recherchée ? La deuxième dimension concerne ainsi le type de participation à l’oeuvre ou la manière dont prennent forme les échanges entre les participants. Quelle tournure prend la participation entre, d’un côté, l’expression des conflits et des oppositions et, de l’autre, la collaboration et la recherche du consensus ? Cela touche la question de la gestion des intérêts divergents (Blondiaux, 2008). Encore là, le développement de la participation publique a mené à des interprétations différentes sur la manière dont les désaccords devaient être traités. Ainsi, il existe une tension fondamentale entre les approches dites éthiques de la participation publique, qui renvoient à une perspective axée sur la démocratisation de la décision, et celles dites instrumentales ou managériales, qui renvoient plutôt à une perspective orientée vers l’aide à la décision et la résolution de conflits (Gauthier, 2006).

Dans la première approche, on voit la participation publique comme l’occasion d’ouvrir de nouveaux espaces d’expression du conflit et des oppositions de manière à clarifier le débat. L’objectif est de rendre visibles les intérêts divergents pour bien comprendre et cartographier les différentes dimensions d’un conflit. Ici, les vertus de la participation publique et les possibilités d’apprentissage sont associées à la publicité des débats, c’est-à-dire à la capacité de faire connaître les termes et les enjeux du débat. En étant publiques et accessibles à tous, les discussions permettent à un plus grand nombre de personnes d’avoir accès aux informations nécessaires. Cela engage également la responsabilité des autorités publiques et des promoteurs, publics ou privés, qui doivent présenter le contenu de leur projet ou de leur décision et justifier publiquement les raisons de les réaliser (Chad et Karpowitz, 2013). Dans ce type d’approche de la participation publique, les dispositifs participatifs agissent un peu comme un tribunal où les différents protagonistes d’un conflit viennent expliquer leur vision et leurs préférences en essayant de présenter le meilleur argument possible (Kelman, 1992). Le dispositif participatif a alors pour effet de créer un tiers acteur qui aura la responsabilité au final de trancher le débat, ce qui peut susciter, chez certains acteurs, une insatisfaction par le fait de couper la poire en deux, ou donner l’impression que le jeu serait à somme nulle, du type gagnant-perdant.

La deuxième approche envisage davantage la participation publique comme un instrument d’aide à la décision dont l’objectif est de désamorcer les conflits potentiels. Le but est d’amener les parties prenantes à collaborer et à trouver ensemble une solution qui convienne à tous, en y assortissant un discours laissant entendre qu’il s’agit davantage d’un jeu à somme positive, du type gagnant-gagnant. Le dispositif participatif amène donc les participants à se rencontrer plusieurs fois pour discuter directement, en face-à-face, de manière à trouver une entente commune (Kelman, 1992). Ce type de dispositif a été conçu pour promouvoir l’écoute mutuelle et ainsi déceler les occasions de consensus (Dorcey et McDaniels, 2001). L’optique est clairement pragmatique ; il s’agit de trouver une solution favorisant l’apaisement des conflits et l’atteinte d’un accord. En revanche, ce dispositif participatif peut parfois être opaque et forcer l’atteinte d’un compromis dans la mesure où les rapports de force ne peuvent être occultés.

Ainsi, le deuxième axe de qualification des dispositifs participatifs est composé d’un premier pôle antagoniste, qui cherche à rendre visibles les intérêts divergents, grâce à des procédures qui permettent une confrontation des opinions. En ce sens, les référendums seraient l’instrument antagoniste par excellence, puisqu’ils se soldent par l’approbation ou le rejet d’une mesure. L’autre pôle est celui du consensus. Les processus délibératifs sont souvent associés au consensus (Meadowcroft, 2004 ; Blondiaux, 2008), de même que les démarches liées à la gestion des conflits, comme la médiation environnementale, un processus volontaire par lequel un médiateur, qui n’a pas l’autorité d’imposer un règlement, facilite la négociation entre les parties prenantes à un conflit (Gauthier, 1998 ; O’Leary et al., 2004).

Dans les prochaines sections, nous traçons le portrait des principaux dispositifs participatifs québécois dans les domaines de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, en reprenant les deux dimensions présentées précédemment (figures 1 et 2).

Les principaux dispostifs participatifs en environnement au Québec

Cette section dresse un bref inventaire des principaux dispositifs participatifs en environnement au Québec, afin de faire mieux comprendre leur portée, leurs différences et leurs similarités. [3] Dans ce secteur, le développement de la participation publique est étroitement associé à celui de l’évaluation environnementale. Rappelons que les États-Unis ont été le premier pays à institutionnaliser les évaluations environnementales et les mécanismes de participation publique dans le domaine de l’environnement avec l’adoption, dès 1969, du National Environmental Policy Act. Au Québec, bien qu’on puisse faire remonter les premiers balbutiements de la participation publique en environnement aux années 1960 et début 1970 avec les premières grandes contestations de projets, notamment hydroélectriques, c’est avec la refonte de la LQE, en 1978, que la participation publique se formalise. Trois périodes marqueront par la suite l’institutionnalisation de la participation publique québécoise en environnement. Ce découpage rejoint celui proposé par Dorcey (2010) à l’échelle canadienne et s’explique par : 1) la montée en importance des préoccupations environnementales chez les citoyens ; 2) l’adoption de mesures et de concepts comme celui du développement durable, aux États-Unis et à l’échelle internationale ; 3) la gestion des controverses environnementales ; 4) les leçons qui sont tirées de l’expérience pratique des différents dispositifs et de l’évolution des contextes politique et économique.

1980-1990 : une institutionnalisation forte, centralisée, et une méthode de rechange

Cette première période est marquée par la création, en 1978, d’une institution centralisée responsable de la participation publique essentiellement à l’égard des grands projets d’infrastructure, le BAPE, qui marquera fortement le secteur. Le BAPE est créé lors de la refonte de la LQE (Gauthier et Simard, 2017). [4] Il est responsable de tenir des audiences publiques au sujet des projets assujettis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement (LQE, art. 31.1). Le BAPE a également pour fonctions « d’enquêter sur toute question relative à la qualité de l’environnement que lui soumet le ministre et de faire rapport à ce dernier de ses constatations ainsi que de l’analyse qu’il en a faite. Il doit tenir des audiences publiques dans les cas où le ministre le requiert » (LQE, art. 6.3).

Deux parties composent l’audience publique, qui est habituellement présidée par un membre permanent du Bureau accompagné de deux commissaires : d’abord l’enquête et la recherche d’information, puis l’expression des opinions. La première partie permet au promoteur de présenter son projet et aux citoyens de poser des questions. L’objectif est que tous aient accès à la même information pour être en mesure de présenter une opinion éclairée lors de la deuxième partie des audiences, où les citoyens sont invités à présenter des mémoires verbaux ou écrits. Les audiences sont ouvertes à tous et des avis et guides sont disponibles pour faciliter la participation.

La pratique du BAPE se distingue par les faits que : 1) les audiences publiques sont tenues par une organisation indépendante qui a la marge de manoeuvre pour inviter des experts, demander des informations supplémentaires au promoteur du projet sous examen et s’assurer d’avoir compris les questions et avis des citoyens ; 2) une attention particulière est donnée à l’information, avec l’accessibilité des documents pertinents dans plusieurs lieux et sur le site Internet du BAPE et la tenue de soirées d’information pour faire connaître le projet, et ce, avant que les citoyens donnent leur avis à la suite d’un délai de trois semaines après la fin de la phase d’information. L’objectif est clairement de donner de l’information aux citoyens, de rendre visible leurs préoccupations et d’espérer que les différents acteurs « apprennent » de ce partage de renseignements et soient ainsi en mesure de contribuer de façon positive à l’enquête publique. À la fin de la démarche, le rapport du BAPE est habituellement riche en contenu, très attendu et directement lié au processus décisionnel en raison des avis et recommandations qu’il contient.

Le BAPE a tenu, depuis sa création, plus de 330 audiences publiques sur des projets, programmes et politiques. La participation publique est conçue comme une manière inclusive de donner une voix aux citoyens, peu importe qui ils sont et quels intérêts ils représentent. Cette diversité des voix permet une expression claire et publique des controverses, des préoccupations associées à un projet de développement, de même qu’à la publicisation d’informations contradictoires à celles présentées par le promoteur. La place pour l’expression des conflits et des oppositions dans ce dispositif est donc particulièrement importante. En fonction des deux axes retenus, le BAPE se caractérise comme un dispositif participatif ouvert et antagoniste.

La pratique du BAPE a marqué et marque toujours profondément l’exercice et l’imaginaire de la participation publique au Québec. L’organisme a souvent servi de modèle pour mettre en place des espaces participatifs sous forme d’audiences publiques en deux temps. Toutefois, à partir des années 1990, plusieurs acteurs se montrent insatisfaits et mal à l’aise avec la formule de ces enquêtes et audiences publiques. Ils reprochent au BAPE son caractère trop formel et institutionnalisé, son fonctionnement trop conflictuel, son intervention tardive dans le processus décisionnel, l’issue de ses décisions trop incertaine, et le fait qu’il ne permet pas, selon eux, de trouver rapidement des accommodements entre le promoteur d’un projet et les citoyens et associations qui s’y opposent. Dans le modèle du BAPE, les accommodements viennent plutôt du jugement posé par les commissaires, qui font des recommandations sur l’à-propos du projet et les changements à apporter pour l’améliorer. Les commissaires agissent ainsi comme un tiers neutre qui « tranche » entre le promoteur et les citoyens.

Dans un tel contexte, de nouveaux dispositifs sont proposés pour compléter ou éviter la pratique des audiences publiques du BAPE. La médiation environnementale est un des dispositifs participatifs les plus emblématiques de cette recherche d’une méthode de rechange aux audiences publiques (Gauthier, 1998). À la suite des premières années d’expérience parfois controversées du BAPE et dans un contexte de remise en question de l’État, différentes réflexions sont engagées au sein du BAPE et du gouvernement du Québec en vue, respectivement, de développer la participation publique ou de la restreindre. Au même moment, en 1991, le BAPE innove au plan procédural en expérimentant la médiation environnementale.

Plus d’une cinquantaine d’expériences de médiation ont été menées à ce jour. La médiation peut être envisagée par le ministre à la suite d’une ou de plusieurs requêtes demandant une audience publique sur un projet. Un mandat de médiation est réalisé par un commissaire du BAPE qui agit comme médiateur entre les parties (promoteurs et requérants). Faisant appel à la négociation, ce dispositif vise à rapprocher les parties lorsque la justification du projet n’est pas fondamentalement remise en question, afin d’arriver à une entente. Quand une procédure de médiation est adoptée, les audiences publiques sont suspendues, la ratification d’une entente entre les parties pouvant conduire au retrait des requêtes d’audiences publiques. D’entrée de jeu, ce dispositif se retrouve près du pôle consensuel dans la mesure où, implicitement, la justification des projets est convenue et où l’objectif est de s’entendre sur une solution mutuellement satisfaisante. Quant à l’autre axe, la médiation est restreinte à un petit nombre d’acteurs et les ententes ne sont habituellement pas rendues publiques bien qu’un rapport de médiation soit produit. Une analyse des premières expériences de médiation conduites par le BAPE entre 1991 et 1998 a montré que cette procédure administrative agit bien souvent comme un instrument de gestion des conflits, de contrôle des oppositions et d’évitement du débat public, notamment en détournant certains acteurs des audiences publiques (Gauthier, 1998).

1990-2000 : multiplication des dispositifs participatifs et concertation ciblée

La deuxième période est marquée par l’ère du développement de la gouvernance avec, comme principes centraux, la coopération, la collaboration et le consensus. Se développent alors des espaces permanents de participation, plus décentralisés ou déconcentrés à l’échelle régionale, dans des sous-secteurs ou en lien avec des projets spécifiques. On y recherche la souplesse, l’adaptation des solutions dans des instances hybrides pour diversifier l’information et en arriver à des décisions innovatrices (Simard et Lepage, 2004). Les conseils régionaux de l’environnement (CRE), les comités de zones d’intervention prioritaire (ZIP) et les comités de suivi illustrent parfaitement cette période. Un autre dispositif participatif, d’une nature différente, s’ajoute à ceux-là : les audiences dites génériques du BAPE.

Les CRE sont des organismes autonomes reconnus comme interlocuteurs régionaux et jouissent d’un financement statutaire du gouvernement. [5] Ils réunissent et représentent des organismes publics ou privés, des groupes environnementaux, des entreprises, des associations et des individus. « En tenant compte des réalités locales et régionales, les CRE privilégient l’action, la concertation, l’éducation, l’information, la sensibilisation et la veille environnementale, pour atteindre leurs objectifs » (RNCREQ, 2017). Leur profil varie entre le groupe de pression et le groupe d’intérêt selon leur région et leur composition. Certains CRE sont plus revendicateurs et ont un profil de groupe de pression, mais dans leur fonctionnement à l’interne, le consensus prévaut. Le fonctionnement par consensus comporte des exigences qui peuvent faire en sorte que certaines questions font l’objet de délibérations ne débouchant pas sur des actions, ou que des dossiers prioritaires du point de vue environnemental soient évités (Simard et Lepage 2004). La diversité des membres laisse voir un certain degré d’ouverture de ce dispositif.

Les efforts pour développer une gestion intégrée du fleuve Saint-Laurent ont mené, notamment, à l’adoption, en 1988, du Plan d’action Saint-Laurent (PASL) qui comporte un volet participatif : le programme des ZIP (Gareau et Lepage, 2005). Ce dispositif, auquel participent les paliers fédéral et provincial et qui compte une quinzaine de comités ZIP établis dans autant de secteurs le long du Saint-Laurent, vise dans un premier temps à valider un bilan de connaissances tout en le bonifiant à l’aide du savoir local, pour ensuite établir un plan d’action. Les comités ZIP « sont des organismes locaux de concertation et d’action, dont le mandat est de regrouper les principaux usagers du Saint-Laurent d’un territoire et de favoriser leur concertation en vue de résoudre les problèmes locaux et régionaux touchant aux écosystèmes du Saint-Laurent et à leurs usages » (PASL, 2017). Les ZIP permettent un dialogue raisonné où chacun dispose en principe des informations nécessaires pour argumenter et pour planifier les actions à prendre. Les travaux qui ont porté sur les comités ZIP font état de plusieurs constats : les groupes organisés tirent mieux leur épingle du jeu que les acteurs autonomes ; la dominance du mode de fonctionnement consensuel (Turcotte, 2006) laisse peu de place aux opposants et peut conduire à l’évitement des problématiques environnementales majeures (Gareau et Lepage, 2005). De plus, la production de connaissances scientifiques et leur usage pour la décision, éléments centraux du mandat des ZIP, peuvent être une source de blocage et se traduire par une inégalité entre acteurs. Enfin, les effets de cette concertation sont plutôt incertains et laissent voir des actions qui reflètent les rapports de force, d’un secteur à l’autre (Lepage et al., 2003). Il y a peu de place pour le conflit au sein de ce dispositif, et les exigences scientifiques et techniques sont telles qu’un roulement des acteurs favorise une certaine homogénéisation des profils ainsi qu’une relative fermeture du dispositif.

Les comités de suivi des grands projets sont « composés de divers groupes de participants (entreprises, élus locaux, citoyens, experts, fonctionnaires, groupes environnementaux, etc.) chargés d’assurer la mise en oeuvre des programmes de suivi, de contrôle et de surveillance, voire de vigilance » (Gagnon et al., 2000 : 7) liés à un projet. Au Québec, certains décrets gouvernementaux incluent des prescriptions relatives non seulement au suivi environnemental, mais également à la formation de comités de suivi (Gagnon et al., 2000). Souvent encadrés et financés par les promoteurs de projets, ces dispositifs assurent une interface avec la société civile, conduisent des études, répondent aux plaintes et mènent des activités d’information et de sensibilisation. Les comités de suivi sont plutôt fermés : les participants sont parfois sélectionnés par le promoteur et leur fonctionnement se caractérise par le consensus, qui peut parfois y être implicite ou forcé (Côté et Gagnon, 2005). Les participants sont généralement des représentants d’autorités ou d’associations dans les territoires directement touchés par un projet.

Enfin, de 1988 à 1990, le BAPE a tenu ses premières audiences dites génériques (Gauthier et al., 2011). Il en a conduit huit autres par la suite à raison d’une tous les deux ans en moyenne. Ce type d’audiences est à la discrétion du ministre de l’Environnement. Il s’agit d’une « audience publique portant sur une question d’envergure plutôt que sur un projet bien localisé, par exemple tout un secteur industriel ou une filière énergétique » (Gouvernement du Québec, 2017). Reprenant la procédure d’une audience publique pour un projet, l’audience générique est ouverte et itinérante, et vise à saisir les principaux enjeux en vue de contribuer à la formulation d’une politique publique. Elle est habituellement basée sur un document d’information sur le secteur ou la filière et parfois accompagnée d’orientations pour fins de discussion. Ainsi, durant cette période, la plupart des innovations participatives ont été de type fermé et consensuel, à l’exception des audiences publiques génériques qui, d’habitude, marquent fortement le débat dans un secteur (gaz de schiste et filière uranifère, par exemple).

2000 à aujourd’hui : diversité et fragmentation

La dernière période se caractérise par la diversité des dispositifs participatifs qui voient le jour et une impression de fragmentation du secteur. Trois dispositifs spécifiques permettent d’apprécier ce constat : la Régie de l’énergie, les OBV et les dispositifs mis en place par les promoteurs eux-mêmes. Cette période laisse voir, de manière générale, l’émergence de nouveaux dispositifs, plus restrictifs, plus volontaires et moins publics.

Créée à la suite du débat sur l’énergie (1994-1995), la Régie de l’énergie est un organisme de régulation économique quasi judiciaire. Sa mission consiste à « assurer la conciliation entre l’intérêt public, la protection des consommateurs et un traitement équitable du transporteur d’électricité et des distributeurs » (Régie de l’énergie, 2002). Un dispositif d’audiences publiques est prévu afin d’entendre les parties, notamment lors des demandes d’augmentation des tarifs, d’investissements ou de plans pluriannuels. Les parties qui souhaitent y prendre part doivent obtenir le statut d’intervenant et par la suite préparer leur preuve (témoins, experts), laquelle doit être présentée par un procureur. À la fin des audiences, les régisseurs font connaître leur décision et les intervenants peuvent être remboursés pour les frais liés à leur participation. Ces dernières années, on observe au sein de la Régie une tendance forte à préférer les dispositifs de négociation aux audiences publiques plus longues, coûteuses et conflictuelles. En raison des modalités de participation adoptées au départ, la participation publique est très fermée et se déroule de manière antagoniste.

Pensés dès les années 1920 aux États-Unis, les OBV se sont déployés au Québec en lien avec la Politique nationale de l’eau (2002). L’action des OBV repose sur une connaissance des phénomènes naturels et anthropiques du bassin versant à partir de l’élaboration d’un plan directeur cherchant à intégrer le savoir local. Elle vise la concertation de l’ensemble des acteurs de l’eau concernés (municipalités ou municipalités régionales de comté [MRC], groupes de citoyens, usagers du bassin versant, ministères ou organismes du gouvernement) et mise sur une meilleure intégration des multiples intérêts, usages, préoccupations et moyens d’action des forces vives du milieu (MDDEP, 2002). Tables de concertation à l’échelle des bassins versants (40 zones au Québec), les OBV sont reconnus par l’État, peuvent compter sur un financement statutaire annuel et ont également un mandat de consultation de la population. En ce qui concerne la place du conflit, la composition multisectorielle (municipal, économique, communautaire, environnemental) ouverte à plusieurs groupes doit a priori s’orchestrer de manière consensuelle (Milot et Lepage, 2010).

Enfin, les promoteurs mettent de l’avant divers dispositifs de participation afin de mieux prendre en considération les préoccupations des acteurs touchés par leurs projets et de rendre plus prévisible le processus décisionnel. Ces dispositifs sont volontaires, sur invitation et se situent habituellement en amont (mais aussi parfois en aval) des audiences publiques du BAPE. Ils sont en quelque sorte un effet direct de celles-ci et des apprentissages des grands promoteurs tels Hydro-Québec (Simard, 2006). Si ces dispositifs sont parfois ouverts et inclusifs, ils se concentrent aussi, souvent, sur des acteurs qui sont en mesure d’établir un réel rapport de force avec le promoteur (élus provinciaux et locaux, association d’agriculteurs propriétaires et de gens d’affaires, communautés autochtones, etc.). Plutôt fermé en raison de son caractère asymétrique et de son mode de fonctionnement sur invitation, ce dispositif privilégie une démarche consensuelle avec les participants sélectionnés.

Figure 1

Position des dispositifs participatifs en environnement sur les deux axes retenus

Position des dispositifs participatifs en environnement sur les deux axes retenus
Conception : Bherer, Gauthier et Simard, 2018

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Les dispositifs participatifs en aménagement du territoire et urbanisme au Québec

Cette section présente les principaux dispositifs participatifs dans le secteur de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme au Québec afin de mieux faire comprendre leur portée, leurs différences et leurs similarités. [6] Dans ce secteur, le développement de la participation publique est étroitement associé aux réflexions ayant mené à l’adoption, à la fin des années 1970, d’un cadre législatif en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme se présentant comme un compromis entre le modèle étatique français et le modèle nord-américain axé sur la concertation aux niveaux local et régional (Trépanier, 1982). Trois périodes peuvent être dégagées pour relater les principaux moments de l’institutionnalisation de la participation dans ce secteur d’action publique. La première correspond aux années 1980 avec l’adoption, en 1979, de la LAU, qui prévoit trois grands mécanismes participatifs. La deuxième période correspond à l’émergence, au cours des années 1990, de dispositifs participatifs spécifiques aux grandes villes de Québec et de Montréal. Enfin, la troisième période correspond à l’après-fusion municipale (depuis les années 2000) ; elle se caractérise par une tentative de conciliation des pratiques établies dans les deux périodes précédentes.

La lau, un modèle fort mais controversé

L’adoption de la LAU, en 1979, a jeté les bases en matière d’information et de consultation publique en ce qui a trait à l’aménagement du territoire et l’urbanisme au Québec. La Loi prévoit trois grands mécanismes participatifs : l’assemblée publique de consultation, le référendum décisionnel en urbanisme et le comité consultatif en urbanisme (CCU).

Le mécanisme le plus répandu pour donner l’occasion aux citoyens de participer au processus de prise de décision est sans contredit l’assemblée publique de consultation. La LAU prévoit un processus de consultation publique obligatoire pour l’élaboration et l’adoption des documents de planification suivants : le plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) des communautés métropolitaines ; le schéma d’aménagement et de développement (SAD) des municipalités régionales de comté ; le plan et les règlements d’urbanisme des villes et municipalités (MAMOT, 2015). En général, l’assemblée publique de consultation est une activité structurée réunissant un public composé de citoyens et de groupes concernés. Elle débute normalement par une présentation de l’information sur le projet de règlement à l’étude, après quoi la parole est donnée aux participants, qui peuvent poser des questions et exprimer des opinions ou des préoccupations à l’égard du projet. Le déroulement de l’assemblée est encadré par des règles assez formelles qui limitent, par exemple, le temps alloué à la période de questions et le temps de parole accordé à chaque intervenant. L’assemblée publique est dirigée par une commission et présidée par un élu. Elle est précédée de la publication d’un avis et d’un résumé décrivant le projet de règlement et les principaux effets de la modification proposée sur le territoire. Elle correspond essentiellement à la forme traditionnelle des audiences publiques telle que nous l’avons décrite plus haut. Il s’agit d’un modèle ouvert de participation publique de type antagoniste qui permet l’expression des conflits et des oppositions.

Le référendum décisionnel en urbanisme « constitue un recours légal qui permet aux citoyens d’accepter ou non les propositions de modification de certains règlements de zonage ou de lotissement » (MAMOT, 2015). Il comprend trois étapes : la demande de participation au référendum sous la forme d’une pétition, la tenue d’un registre et le scrutin référendaire. Le référendum décisionnel en urbanisme met en scène des citoyens qui résident dans le voisinage immédiat d’un projet de construction exigeant une dérogation au plan d’urbanisme ou au règlement de zonage et pour lequel un registre a été ouvert à leur intention pour signature. Les participants ont le même intérêt élevé à voter en ces circonstances qu’à se prononcer dans le cadre d’assemblées publiques de consultation. Ces résidents expriment leur préférence en votant pour ou contre le projet soumis à l’approbation référendaire. L’étape du référendum décisionnel est rarement atteinte. Si la contestation est trop forte, les élus préfèrent généralement retirer le projet litigieux plutôt que de se rendre à l’étape du référendum. Le recours à ce processus est donc très peu fréquent. Malgré tout, le degré d’influence des citoyens est très important. La possibilité de recourir à un référendum décisionnel est un droit démocratique fort qui donne aux citoyens un droit de veto sur l’avenir d’un projet. Il s’agit d’un mode de participation qui favorise la polarisation du débat et l’expression d’un nombre relativement faible de citoyens, en l’occurrence ceux qui résident dans la zone immédiate du projet de règlement. Dans ce cas, donc, la portée de cette procédure tient dans la menace qu’elle fait peser sur les projets plutôt que dans une large expression d’une volonté démocratique (Bherer et Breux, 2012). Malgré les critiques à l’endroit de la procédure référendaire, plusieurs observateurs sont d’accord pour dire qu’il s’agit du seul outil disponible pour les citoyens afin d’éviter un projet indésirable selon leur point de vue, une fois les autres recours épuisés (pressions, manifestations, etc.). Ce processus permet aussi aux élus de se protéger de la pression des promoteurs : en faisant miroiter à ces derniers la menace d’un référendum, les élus peuvent se soustraire à leur influence et leur rappeler l’importance de présenter un projet bien ficelé.

Le CCU « est un organisme mandaté par le conseil municipal pour donner des avis sur les demandes qui lui sont soumises en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire » (MAMOT, 2015). Il est composé d’au moins un membre du conseil municipal et de résidents choisis par le conseil. Le nombre de citoyens qui y siègent est aussi décidé par le conseil. Les citoyens résidents siégeant sur les CCU y ont un intérêt moyennement élevé : ils ont été choisis plutôt que d’autres pour y siéger, mais leur avis n’est utilisé que dans une perspective consultative et dans le but de guider, d’orienter et de soutenir l’action du conseil municipal en matière d’urbanisme. Les conseils municipaux peuvent attribuer aux CCU des pouvoirs d’étude et de recommandation en matière d’urbanisme, de zonage, de lotissement et de construction. Les municipalités associent souvent leur CCU à l’évaluation du bien-fondé d’amender ou non le plan et les règlements d’urbanisme, notamment, le règlement de zonage. Les membres du CCU prennent donc part à des discussions sur ces enjeux et votent afin que des avis soient produits et acheminés au conseil municipal dont le CCU dépend.

Ces discussions sont abordées dans des perspectives globales, bien qu’elles portent généralement sur des enjeux localisés et territorialement circonscrits. Les résidents membres n’y défendent généralement pas leurs intérêts propres, mais apportent plutôt leur expertise citoyenne en dehors de toute considération partisane. La durée du mandat des membres des CCU, la fréquence à laquelle ils se réunissent ainsi que leurs responsabilités propres et la composition particulière des comités dépendent du conseil municipal qui les institue. Les CCU peuvent donc varier grandement d’une municipalité à une autre, mais leurs réunions se tiennent généralement sur une base mensuelle. Les risques de cooptation liés à ce type de dispositif fermé sont grands. Le degré d’influence des citoyens est important en ce qui a trait aux avis publics rendus par les CCU, mais il peut aussi être négligeable, advenant que le conseil municipal décide d’aller à l’encontre de ce que son comité consultatif lui recommande. Le mode de fonctionnement adopté par la plupart des CCU est la recherche de consensus même si, dans la pratique, les CCU se révèlent souvent comme des lieux d’expression des conflits et oppositions. [7]

Le tournant des années 1990 : émergence de pratiques éloignées du modèle de la lau

Jusqu’au moment des fusions municipales, au tournant des années 2000, les mécanismes prévus par la LAU ne s’appliquaient pas à Montréal et à Québec pour des raisons assez vagues liées à la taille des deux municipalités (Bherer et Breux, 2012). Selon cette perspective, la tenue de référendums décisionnels créerait des divisions insurmontables dans des communautés aussi larges. Comme cet outil plus polarisant était rejeté d’emblée, les autorités de Montréal et de Québec ont créé leurs propres outils de participation publique. Dans les deux cas, elles ont choisi des modèles plutôt ouverts axés sur la participation, soit les conseils de quartier, à Québec, et les audiences publiques, à Montréal.

Créés en 1993, les conseils de quartier sont des associations autonomes reconnues par la Ville de Québec pour mettre en place sa politique de consultation publique. Un conseil de quartier a comme membres d’office la population d’un quartier, qui est invitée lors d’une assemblée annuelle à élire les dirigeants de son association, c’est-à-dire les neufs membres du conseil d’administration (CA) du conseil de quartier (Bherer, 2006). Les règlements municipaux stipulent que les conseils de quartier doivent être consultés sur tout projet de modification ou d’adoption de règlement d’urbanisme (aménagement, zonage, circulation, toponymie). Le conseil de quartier participe activement à l’élaboration d’un plan directeur de quartier, document d’orientation et d’aménagement qui entraîne des retombées directes et à court terme au sein du quartier. Les conseils de quartier peuvent aussi être consultés sur d’autres enjeux déterminés par la Ville.

Comme les premiers participants des conseils de quartier sont les membres du CA, il s’agit d’un nombre relativement restreint de « représentants citoyens ». Leur statut de parties prenantes citoyennes est renforcé par le fait que ces membres s’engagent régulièrement et de façon continue dans leur conseil, ce qui leur donne un accès privilégié à un réseau de contacts et à de l’information provenant de la Ville. Cet aspect plus fermé est particulièrement vrai pour les demandes d’opinion, c’est-à-dire les consultations qui portent sur des enjeux précis. Lorsque la demande d’avis par la Ville porte sur des enjeux plus généraux au quartier, toute la population du quartier est invitée à une réunion publique présidée par les membres du CA. Celui-ci doit alors s’appuyer sur les préférences des citoyens pour formuler son avis ; il agit en quelque sorte comme un tiers acteur, comme le font les commissaires du BAPE dans les audiences publiques. Les réunions publiques sont mensuelles et plus fréquentes dans les quartiers plus dynamiques. Le principal pouvoir des conseils de quartier en est un de recommandation, car la Ville a un engagement moral fort à leur égard. Cet engagement se reflète notamment dans les garanties réglementaires, le budget et les postes de fonctionnaires (les agents de consultation publique) consacrés aux conseils de quartier. Pour certains processus, les conseils de quartier coproduisent les politiques publiques ; ils sont associés étroitement à leur élaboration du début à la fin du processus, sous forme de réunion publique ou fermée. Sans constituer un modèle fermé, les conseils de quartier de Québec ont pour effet de créer, à l’échelle microlocale, un espace de négociation et de délibération continue entre la Ville et des citoyens-experts sur le développement de leur territoire immédiat de résidence (Bherer et Breux, 2012).

À Montréal, le Rassemblement des citoyens de Montréal, arrivé au pouvoir en 1986, a très rapidement mis en place une politique cadre de consultation publique et plusieurs instances pour l’appliquer, dont le Bureau de consultation de Montréal (BCM), un organisme largement inspiré du BAPE et de sa procédure d’enquête et d’audiences publiques (Gauthier, 2008). Crée en décembre 1988, le BCM était un organisme permanent de la Ville de Montréal consacrant tout son temps et ses ressources à la consultation publique (Hamel, 2008). Il a repris le même modèle que le BAPE en adoptant les audiences publiques en deux temps, dirigées par des commissaires qui devaient remettre un rapport contenant des recommandations. Comme au BAPE, on portait une attention particulière à l’information préalable des citoyens de manière à permettre l’expression d’une opinion raisonnée au moment de la présentation des mémoires. Le BCM a cependant été aboli dès l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle administration municipale, le parti Vision Montréal (1994-2001), qui s’est employé à déconstruire la politique cadre mise en place par l’administration précédente (Gauthier, 2008 ; Bherer et Collin, 2013).

L’après-fusion municipale du tournant des années 2000 : la conciliation de pratiques de participation difficilement conciliables

Les fusions municipales du tournant des années 2000 sont l’occasion de revenir sur la situation exceptionnelle de Montréal et de Québec puisque les dispositions de la LAU en matière participative sont maintenant appliquées à ces deux grandes villes, en plus des dispositifs participatifs déjà en place. Cette période se caractérise par des réajustements des pratiques existantes, l’harmonisation des modèles de Québec et de Montréal avec la LAU et des projets de réforme avortés. De manière générale, l’usage de plus en plus important des outils de participation publique entraîne des discussions récurrentes sur les pratiques les plus appropriées et sur la manière de les généraliser à l’ensemble des municipalités québécoises.

D’abord, les fusions municipales amènent à Montréal le retour des audiences publiques en deux temps avec, cette fois-ci, une forme organisationnelle pour les chapeauter très similaire à celle du BAPE. Comme le BAPE, l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), créé en 2002, est une agence autonome qui a pour mandat d’effectuer des consultations publiques relatives aux différentes compétences de la Ville de Montréal, notamment sur les projets d’urbanisme et d’aménagement du territoire ou sur tout projet désigné par le conseil ou le comité exécutif (MAMOT, 2015). La création d’une telle agence, enchâssée dans la Charte de la Ville de Montréal, vise à protéger les pratiques de participation publique et à éviter qu’une nouvelle administration puisse abolir des pratiques reconnues par les citoyens, comme a fait le maire Pierre Bourque pour le BCM. L’autonomie de l’OCPM le protège en quelque sorte de toute ingérence politique et consolide son rôle de tiers neutre, qui est central dans l’approche d’expression des conflits et des oppositions. Les participants à ce dispositif sont les citoyens qui répondent à l’invitation de l’Office. Afin qu’ils puissent donner un avis raisonné aux commissaires, les participants ont accès à l’information nécessaire : 15 jours avant le début des audiences publiques, un dossier de documentation est déposé dans divers lieux de la ville (guichet de première ligne, bibliothèque, etc.) et sur le site Web de l’OCPM. L’objet de la consultation touche habituellement des projets en urbanisme et en aménagement du territoire. Il peut être ancré territorialement ou concerner une politique plus large touchant l’ensemble de la ville.

L’OCPM évolue en parallèle des dispositifs de la LAU qui s’appliquent, eux, à l’échelle des arrondissements montréalais. Les audiences publiques organisées par l’OCPM portent sur la réalisation de grands projets et se tiennent donc à l’échelle de la ville. Les arrondissements sont, quant à eux, responsables de la participation publique touchant les modifications aux règlements de zonage sur leur territoire, tel que le stipule la LAU (Trépanier et Alain, 2008). Au premier regard, il semble donc y avoir une logique de silos permettant d’éviter un recoupement entre les décisions qui font l’objet de la participation publique à l’échelle de la grande ville et celles qui s’appliquent à l’échelle des arrondissements. À Québec, la complémentarité entre les dispositifs participatifs a été, au départ, envisagée en termes d’harmonisation entre le modèle du référendum décisionnel et celui des conseils de quartier, tous les deux applicables à l’échelle microlocale. Les conseils d’arrondissement peuvent, s’ils le veulent, demander aux conseils de quartier de tenir la partie assemblée publique de la procédure référendaire. L’assemblée est alors tenue selon des exigences d’information et de discussion plus importantes que celles prévues dans la LAU.

Si, à première vue, l’harmonisation institutionnelle entre la LAU et les modèles de Montréal et de Québec semble bien avoir été pensée, dans les faits, plusieurs logiques de compétition font en sorte que la conciliation est difficile (Bherer et Breux, 2012). À Montréal, l’OCPM est vu comme un outil de la ville-centre, et plusieurs élus et fonctionnaires résistent à lui reconnaître une légitimité. À Québec, l’attrait exercé par le référendum fait en sorte qu’autant les autorités que les citoyens préfèrent stratégiquement escamoter la partie réunion publique pour tout de suite demander un référendum.

Même si le modèle de la LAU a été importé à Québec et à Montréal, sa pratique n’en continue pas moins d’être fortement critiquée et le besoin de réforme se fait sentir. Il n’existe pas de bilan satisfaisant de la portée et des limites des mécanismes prévus par la LAU. Toutefois, des critiques répétées sont faites depuis des années à ces procédures qui ont été peu renouvelées depuis leur adoption. Une réforme ambitieuse proposée en 2011, prévoyant des changements majeurs aux mécanismes de participation publique existants, est restée lettre morte (Gagnon et Gauthier, 2013). [8] L’objectif était notamment de mieux encadrer la pratique référendaire tout en promouvant des pratiques de consultation publique et de transparence touchant des enjeux plus larges que la modification de zonage. Le gouvernement voulait donc garder l’aspect public et diminuer l’aspect polarisant des référendums tout en favorisant une culture du partage de l’information propre à l’approche axée sur l’expression des conflits. C’est ce même objectif qu’on retrouve dans le projet de loi 122, sanctionné en juin 2017, qui permet aux municipalités d’être exemptées de l’approbation référendaire si elles adoptent par règlement une politique de participation publique conforme aux exigences promulguées par le ministre des Affaires municipales en novembre 2017. Le gouvernement a ainsi choisi de passer d’un modèle ouvert et conflictuel à un modèle plus incertain où chaque municipalité sera libre d’adopter les pratiques consultatives qu’elle préfère.

Figure 2

Position des dispositifs en aménagement du territoire et en urbanisme sur les deux axes retenus

Position des dispositifs en aménagement du territoire et en urbanisme sur les deux axes retenus
Conception : Bherer, Gauthier et Simard, 2018

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Analyse et discussion

Que retenir de cet inventaire des principaux dispositifs participatifs en environnement, en aménagement du territoire et en urbanisme au Québec ? Quelle lecture pouvons-nous faire du chemin parcouru depuis plus de 40 ans ? Pour répondre à ce questionnement général, examinons dans un premier temps les dispositifs par secteur d’activité – environnement, aménagement du territoire et urbanisme – pour ensuite proposer une discussion générale sur les transformations de l’action publique.

Les dispositifs participatifs en environnement

Les principaux dispositifs participatifs institutionnalisés dans le secteur de l’environnement brièvement décrits précédemment laissent voir, de manière générale, une multiplication et une diversification des dispositifs. Cela témoigne premièrement d’un développement de l’institutionnalisation de la participation publique dans le domaine, mais également d’une diversité quant aux différents types de dispositif. Cette multiplication et cette diversité peuvent nourrir une perception de fragmentation de la participation publique (échelles des projets, de la région, des sous-secteurs), notamment selon les périodes, qui sont loin d’apparaître homogènes, aussi bien chacune d’elle que dans leur ensemble.

Néanmoins, une lecture diachronique nous propose une première période marquée par un dispositif participatif centralisé et formalisé, ouvert et antagoniste à l’échelle des projets, suivi d’un autre dispositif en réponse au premier, soit la médiation environnementale, à la même échelle, sur les mêmes objets, mais plus fermé et axé sur la négociation et la recherche de consensus. C’est donc la création d’un modèle très fort qui marquera le champ avec les audiences publiques du BAPE, mais tout en paradoxe avec l’ajout de la médiation environnementale au cours des années 1990. Une deuxième période dans les années 1990-2000 (CRE, ZIP, comité de suivi) sera plutôt marquée par des dispositifs participatifs moins ouverts, plus permanents et hybrides, qui se déploient à l’échelle régionale ainsi qu’à celle des projets, et se voulant plus consensuels. Ce modèle de type « nouvelle gestion concertée » de l’environnement (Simard et Lepage, 2004) apparaît plus décentralisé, intégré et plus ou moins ouvert dans l’ensemble par la représentation des acteurs régionaux et par projet. Sans oublier l’apparition des audiences génériques du BAPE et une invitation à délibérer à l’échelle des politiques publiques. Une troisième période, 2000-2010, se caractériserait par des dispositifs encore plus fermés, plus ciblés et techniques avec, d’un côté, un dispositif au sein d’un tribunal (Régie de l’énergie) et, de l’autre, des dispositifs relevant des promoteurs, fort différents dans leur nature, mais s’inscrivant dans la suite de la période précédente avec les OBV.

Les dispositifs participatifs en aménagement du territoire et urbanisme

Dans le secteur de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, la description des dispositifs participatifs institutionnalisés présentée précédemment permet de constater que l’offre participative est beaucoup moins diversifiée que dans le secteur de l’environnement. L’essentiel de ces dispositifs se résume à ceux mis en place au début des années 1980, au moment de l’adoption de la LAU – assemblées publiques de consultation, référendums décisionnels en urbanisme et CCU – et à ceux instaurés au début des années 1990 à Montréal et à Québec. Lorsque l’on considère la dimension d’analyse de l’ouverture à l’ensemble de la population, trois mécanismes se distinguent, à savoir les assemblées publiques de consultation prévues par la LAU, les conseils de quartier à Québec et les audiences publiques en deux temps organisées par l’OCPM. Même si les modalités concrètes de mise en oeuvre de ces trois dispositifs ne sont pas les mêmes, les mécanismes sont tous accessibles à l’ensemble de la population, permettent un accès à l’information et favorisent, dans une certaine mesure, l’expression d’avis et d’opinions dans un mode consultatif. En ce sens, ces dispositifs favorisent également l’expression des conflits et des oppositions. Enfin, le mécanisme le plus fermé est sans contredit le référendum décisionnel en urbanisme, un mécanisme très controversé, qui restreint la participation aux citoyens concernés (les riverains) et qui leur accorde un pouvoir considérable en raison d’un quasi-droit de veto sur l’avenir des projets. Ce dispositif incarne le modèle antagoniste par excellence.

Si l’on considère maintenant la dimension d’analyse de la recherche du consensus, deux mécanismes se distinguent : le CCU et le conseil de quartier à Québec. Le CCU est un dispositif relativement fermé puisque la participation est restreinte à des personnes désignées, dont le mode de fonctionnement est la recherche du consensus afin de formuler des avis et des recommandations au conseil municipal. Les conseils de quartier à Québec, dont le mode de fonctionnement repose également sur la recherche de consensus, représentent un espace de négociation et de délibération continue entre les citoyens et l’administration municipale.

Sur le plan chronologique, lorsqu’on examine la période plus récente de l’après-fusion municipale du tournant des années 2000, on constate l’émergence de discussions récurrentes sur les pratiques de participation publique les plus appropriées, qui oscillent entre un modèle plus traditionnel ouvert et conflictuel reposant essentiellement sur des dispositifs consultatifs et un modèle plus fermé favorisant des dispositifs délibératifs visant la recherche du consensus.

Conclusion

Plusieurs des constats présentés dans ce texte concernant les dispositifs québécois de participation publique en environnement, aménagement du territoire et urbanisme rejoignent, du moins en partie, ceux faits à l’échelle canadienne, notamment par Dorcey et McDaniels (2001), Dorcey (2010) et VanNijnatten (2016). Dans les années 1970-1980, le modèle de l’audience publique apparaît comme la règle à l’échelle de la province. On rapporte d’importants désavantages liés aux audiences : coûteuses, longues, peu concluantes en termes de solution, conflictuelles, dont les effets ne sont pas clairs et où il y a surreprésentation de certains intérêts. Les années qui suivent (1980-1995) se caractérisent par la reconnaissance de nouveaux principes (accès à l’information, développement durable, nouveau management public et retrait de l’État). On y observe également une prolifération de dispositifs multipartites (VanNijnatten, 2016), la quête de consensus et de coopération, et les promoteurs comme la société civile gagnent en prise en charge (Dorcey, 2010). Enfin, les années plus récentes (1995-2010) laissent voir une montée en importance de la question environnementale, une certaine institutionnalisation du développement durable, une professionnalisation de la participation publique (Bherer et al., 2017), une hausse de l’autonomie de la société civile, une mise à contribution de l’expérience des acteurs et un penchant pour les initiatives volontaires.

Depuis plus de 40 ans, au Québec, plusieurs dispositifs participatifs ont été créés dans les secteurs de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Ces secteurs sont, ici comme ailleurs, les plus prolifiques en la matière. Ces instruments sont de véritables traceurs de l’évolution de l’action publique et ont eu une influence dans d’autres secteurs. La multiplication peut se comprendre dans une perspective de complémentarité des dispositifs participatifs, comme un foisonnement normal, adapté à une gouvernance flexible de ces secteurs dans une mouvance où la participation publique prend de plus en plus d’importance, tant du point de vue de l’offre que de la demande. La professionnalisation de la participation publique, l’émergence de firmes spécialisées et la création de postes au sein des organisations publiques, privées et communautaires ne sont qu’une conséquence de ce phénomène (Bherer et al., 2017). Ces constats ne sont pas spécifiques au Québec. À plusieurs égards, ils rejoignent ce qu’on peut observer ailleurs au Canada, aux États-Unis et en Europe (Durant et al., 2004 ; Nabatchi et Leighninger, 2015 ; Mazeaud et al., 2016).

La diversité des dispositifs participatifs, en revanche, peut se comprendre comme un effet des dispositifs antérieurs et comme une mise en tension des types de dispositif ouvert / fermé et antagoniste / consensuel. Loin d’apparaître comme une activité qui se stabilise dans ces secteurs ou comme un quelconque isomorphisme (DiMaggio et Powell, 1983) des dispositifs, la participation publique est régulièrement l’objet de relations de pouvoir entre les acteurs (promoteurs, citoyens et gouvernements) afin de transformer, créer ou abolir des dispositifs, et ce, sur la base de l’expérience de ceux-ci et des effets qu’ils induisent sur les normes et les pratiques. Nous assistons ainsi à la multiplication et à la diversification de dispositifs qui s’influencent sur différentes scènes (projets, régions, politiques publiques).

Les audiences publiques du BAPE apparaissent, avec le recul, comme une innovation structurante et une expérience marquante dans les deux secteurs. Dispositif ouvert et plutôt antagoniste, quasi obligatoire, sa fréquence et sa portée se sont accentuées avec les années. Véritable institution, souvent contraignante pour plusieurs, il est légitime de faire l’hypothèse que plusieurs autres dispositifs, plus fermés, consensuels et volontaires, ont vu le jour afin d’assouplir ou apaiser la participation pour rendre l’action publique plus prévisible et moins antagoniste.

Nous pouvons par ailleurs dégager une tendance qui s’observe pour des dispositifs plus consensuels, fermés, souvent discrétionnaires ou volontaires et à l’initiative ou sous la responsabilité des promoteurs. Faut-il y voir un recul de la participation publique ? Pas nécessairement, dans la mesure où d’autres dispositifs sont toujours présents et produisent leurs effets. Il sera à cet égard déterminant de suivre de près les réformes toutes récentes concernant la procédure d’évaluation environnementale et les changements touchant le BAPE ainsi que les modifications entourant l’abolition du référendum décisionnel en urbanisme à Montréal et à Québec. [9]