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Ce petit ouvrage de 144 pages, classé dans la « Bibliothèque des territoires » de l’éditeur, entre dans la catégorie des essais critiques. Paru juste avant les échéances électorales nationales en France, il cherche à réhabiliter la place des villes dans le fonctionnement des sociétés contemporaines, une place que l’auteur juge insuffisante – voire absente ou mal posée – dans le contexte politique français. Agréable à lire et bien documenté, l’ouvrage complète la production récente de Guy Burgel, titrée Géographie urbaine (avec Alexandre Grondeau), parue en 2105 chez Hachette et auquel l’auteur se réfère, notamment quand il aborde la question des pouvoirs dans la ville.

Questions urbaines constitue une bonne synthèse des enjeux urbanistiques, sociaux, économiques et environnementaux des villes occidentales (peu de mentions – sinon très générales – des aspects des villes du Sud), que pourront lire avec profit les étudiants des facultés de géographie, d’aménagement, des écoles d’architecture, mais aussi tout public intéressé par ces questions. Cela, d’abord parce que l’ouvrage, constitué de huit chapitres thématiques, a comme originalité d’analyser les questions urbaines de manière pédagogique, à l’aune des défis que posent aujourd’hui l’école, le travail, l’urbanisme, le développement durable, la conservation du patrimoine, la place montante de la démocratie locale et la vie collective dans la cité. C’est-à-dire des questions de société sensibles auxquelles sont confrontés les décideurs locaux et nationaux et vis-à-vis desquelles l’auteur fustige les fausses bonnes réponses spatiales que les politiques publiques appliquent sans relâche depuis plusieurs décennies, sans s’apercevoir des changements dont ces mêmes recettes sont l’objet.

Ainsi en est-il de la fameuse « carte scolaire » censée gérer une mixité sociale bien ordonnée, mais qui, dans une société de mobilité, est régulièrement détournée. L’auteur lui préfère l’expérimentation, plus efficace à ses yeux, consistant, comme cela se pratique dans certaines villes américaines, à « transporter une partie des enfants des ghettos noirs pour les mélanger à une population scolaire de quartiers blancs ». De même, il critique le fait que les (souvent bonnes) intentions et réalisations qualifiées de développement durable urbain, soient si mal reliées entre elles, c’est-à-dire entre les territoires, pour répondre à des enjeux dont on mesure l’incidence au niveau planétaire.

Dans le premier chapitre, Guy Burgel insiste sur les deux processus qui remettent en cause une vision linéaire d’une croissance urbaine continue encore trop présente dans les analyses urbaines contemporaines : la fragmentation sociospatiale des centres et des périphéries, d’une part, la fin des appartenances sociales et idéologiques traditionnellement attachées aux différentes partitions des espaces urbains, d’autre part.

Le deuxième chapitre revient sur la crise actuelle de l’école, assimilable dans l’esprit du plus grand nombre à une crise de la ville dans son ensemble et symbolisée par la concentration de l’échec scolaire dans les quartiers urbains en difficulté. L’auteur dénonce cette transposition et propose de revenir sur les processus d’« exception spatiale » en vogue dans les politiques publiques éducatives. Dans la même logique, l’auteur décrypte, dans le chapitre III, le processus de « développement économique-redistribution spatiale », qu’il décrit plus comme une démarche de « translation » sans valeur ajoutée que comme de véritables politiques de développement. Il recommande de réaliser cette démarche à l’échelle des agglomérations en s’appuyant plus souvent sur des atouts endogènes.

Le chapitre IV est l’occasion de revenir sur les erreurs de ce qu’on a improprement appelé la politique de la ville, en France, depuis plus de 30 ans ; et là encore, sur la mauvaise appréhension territoriale des problèmes sociaux auxquels cette politique devait répondre. Le cinquième chapitre pose bien l’articulation problématique des échelles du temps long du développement des villes et l’urgence des problèmes environnementaux et sociaux à résoudre. C’est finalement, sans forcément le souligner comme tel, aux mêmes difficultés d’articulation des temporalités des représentations de la valeur physique et mémorielle du patrimoine que s’attache le chapitre VI.

Dans les deux derniers chapitres, Guy Burgel se livre à une critique argumentée des processus d’organisation de l’administration territoriale que la législation française a produits depuis 2014, en promouvant le statut de « métropole », en fusionnant les régions de programme, en limitant la légitimité politique des intercommunalités, dont les représentants ne sont toujours pas élus au suffrage universel direct. Sur ce point, l’auteur aurait pu nourrir sa démonstration en s’appuyant sur des exemples pris en dehors de l’agglomération parisienne qu’il a très souvent analysée. D’autant qu’il revient sur un constat fondamental qui explique la difficile application de ces dernières lois en France : si les métropoles ont profité à plein de l’européanisation et de la mondialisation des échanges, ce sont bien les villes moyennes et petites qui ont crû le plus fortement depuis 30 ans. D’où les deux nouvelles propositions de l’auteur qui lui semblent être mieux appréhendées par les citoyens parce que plus conformes à leurs aspirations : promouvoir une meilleure complémentarité métropoles – communes et départements – et intercommunalités, d’une part, pour garantir ce besoin de réorganisation d’un maillage de services de proximité, aujourd’hui fragilisé ; et, d’autre part, dans tout processus de développement, définir d’abord les territoires d’application de tel ou tel projet (physique ou immatériel) et s’interroger ensuite seulement sur les instances de gouvernement local les plus efficaces pour que le projet se concrétise.

C’est tout l’intérêt de cet ouvrage que de combiner en permanence les évolutions les plus actuelles des politiques publiques avec les enjeux socio-spatiaux-politiques du moment, en montrant que la gestion des espaces de vie et des espaces institutionnels doit, elle aussi, évoluer en résonance avec les nouveaux défis des sociétés contemporaines, mais en résonant à la bonne échelle.