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Cet ouvrage sur les enclaves résidentielles fermées aux États-Unis et en France enrichit la documentation accumulée sur les gated communities si bien popularisées par l’École de Los Angeles. Ses trois auteurs, tous géographes, ont réalisé cette importante compilation des expériences de « fermeture résidentielle et de sécurisation des espaces urbains » dans le cadre d’un programme de recherche intitulé Insécurité, habitat et risque de sécession sociale dans les villes européennes et nord-américaines, programme soutenu par le ministère français de la recherche. La première partie esquisse une géographie du phénomène, la seconde traite des logiques de l’enfermement résidentiel et la troisième aborde la question d’une ville ouverte sous surveillance. Le matériel recueilli est considérable ; les chapitres sont émaillés d’encarts portant sur des exemples d’expériences urbaines particulières (surtout états-uniennes), sur des extraits de politiques ou d’ouvrages de référence, le tout complété par des photos, cartes et tableaux. On regrettera toutefois les sources souvent fort approximatives des informations ainsi consignées, ainsi que l’absence d’index des matières couvertes, ce qui aurait pourtant été utile dans un ouvrage renfermant autant de matériel et couvrant un large éventail de thèmes associés au phénomène des enclaves résidentielles fermées. Voyons plus en détail ce que nous proposent les trois auteurs.

La première partie sur la géographie du phénomène en France et aux États-Unis apporte peu d’éléments nouveaux ; il faut dire que dans le second cas, la littérature est déjà importante et permet surtout de faire la préhistoire du phénomène des gated communities. Dans la seconde partie, les auteurs examinent d’une part la montée des discours et des logiques sécuritaires, et, d’autre part, la recherche de l’entre-soi qui passerait de plus en plus par le besoin d’enfermement, particulièrement au sein de certaines fractions des classes moyennes. Cette partie débouche sur la question épineuse de la séparation ou de la sécession, le retranchement spatial conduisant éventuellement au retranchement politique. Les auteurs notent qu’aux États-Unis, les expériences de gouvernance privée conduisent rarement à des tentatives de sécession municipale, notamment parce que la plupart des enclaves résidentielles ne sont pas assez grandes et aussi parce que l’aventure apparaît de plus en plus périlleuse. Quant à la France, il en est encore d’autant moins question que les solidarités communautaires y sont peu développées et que le maillage communal est très fin.

La troisième partie élargit considérablement (trop ?) le propos pour couvrir ce qui se passe dans les espaces centraux et, de façon générale, le programme d’un urbanisme sécurisant qui aurait pour mission de prévenir le risque d’habiter. Du new urbanism, en passant par les politiques de résidentialisation qui tentent de refaçonner de manière plus conviviale, notamment, les espaces semi-publics de l’habitat social, jusqu’aux mesures techniques (et technologiques) et policières de surveillance, une véritable ingénierie de la prévention est passée en revue, qui semble en tout cas engager un jargon complexe et souvent déroutant, à commencer par la prévention communautaire. Il faut dire que, dans l’ensemble, l’ouvrage est rédigé avec force de néologismes… et d’anglicismes, effet sans doute des longs séjours de l’équipe aux États-Unis. Il semble avoir aussi été rédigé dans la précipitation. La rigueur n’est pas toujours au rendez-vous. Surtout, il manque un cadre d’analyse qui permette de dépasser le collage d’informations pour interroger ce qui se joue véritablement dans le phénomène des gated communities.