Comptes rendus bibliographiques

CHABROL, Marie, COLLET, Anaïs, GIROUD, Matthieu, LAUNAY, Lydie, ROUSSEAU, Max et TER MINASSIAN, Hovig (2016) Gentrifications. Paris, Éditions Amsterdam, 360 p. ISBN 978-2-35480-145-8[Notice]

  • Hélène Bélanger

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  • Hélène Bélanger
    Département d’études urbaines et touristiques, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal, Montréal (Canada)

Les théories explicatives de la gentrification (embourgeoisement), héritées des travaux pionniers anglophones, ne permettraient pas de rendre compte des spécificités de l’environnement construit, des politiques publiques et du développement économique et social local. C’est pourquoi six jeunes chercheurs ayant soutenu leur thèse entre 2007 et 2011 proposent de croiser leurs regards disciplinaires et empiriques sur des processus de gentrification. La collaboration fine entre les auteurs est claire tout au long de l’ouvrage, qui est de belle facture, agrémenté d’une série de photographies à mi-parcours. Les lecteurs curieux d’explorer la gentrification sur des terrains moins fréquentés risquent cependant d’en ressortir partiellement insatisfaits. Les regards croisés demeurent très ancrés sur le territoire français, qui rassemble la majorité des terrains d’étude (Goutte d’Or, Château-Rouge et Bas-Montreuil à Paris ; Croix-Rousse à Lyon ; Berriat Saint-Bruno à Grenoble ; le centre de Roubaix). Mais cette limite est aplanie par le dialogue entre les cas français, portugais (Alcantara à Lisbonne), espagnol (Ciutat Vella à Barcelone) et anglais (Inner city de Sheffield). Par ailleurs, les auteurs se focalisent sur des processus de gentrification émergeant dans des quartiers ou secteurs centraux, denses, diversifiés et historiques, excluant les dynamiques de transformation des petits centres urbains périphériques, des noyaux villageois ou de villégiature, même si elles suscitent un intérêt grandissant chez les chercheurs. Malgré ces limites, le travail est original et démontre une grande rigueur. Les 10 chapitres sont précédés, en introduction, d’une recension détaillée et fouillée des écrits. Insatisfaits des définitions classiques issues des travaux pionniers sur la gentrification par l’offre (par exemple Smith, 1979) ou la demande (entre autres Zukin, 1987) voire leur complémentarité (par exemple Hamnett, 1991), les auteurs en prennent leurs distances et proposent une approche plurielle. Pour eux, « les » gentrifications, « ces rapports inégalitaires à l’espace », sont créées, facilitées ou alimentées par une diversité d’acteurs, soient-ils résidents, usagers, commerçants, investisseurs ou pouvoirs publics, et ce, dans des contextes multiples. En d’autres mots, ces gentrifications prennent place à la croisée de trois dynamiques structurantes à différentes échelles qui forment les trois parties de l’ouvrage : l’économie (Structures), les politiques urbaines (Politiques) et la population (Habitants). Face à la complexité des processus et de leurs effets variés, les auteurs présentent la gentrification comme une catégorie analytique plutôt que descriptive, une théorie de moyenne portée. Les chapitres de la première partie de l’ouvrage montrent que les facteurs macros n’expliquent pas à eux seuls les gentrifications. D’autres structures, à différentes échelles, peuvent avoir des caractéristiques ou des effets singuliers. C’est le cas du redéveloppement du centre de Roubaix, qui a été amorcé par le développement immobilier à l’aide de capitaux locaux, dans une logique de deuxième circuit du capital (Harvey, 2003), sans toutefois mettre un terme au processus de paupérisation (Rousseau, chap. I). Mais il ne suffit pas d’investir dans l’immobilier ; le potentiel de gentrification dépend également, à Paris et à Lyon, des caractéristiques architecturales et urbanistiques (Chabrol et Giroud, chap. II). À cela il faut ajouter les structures sociales et les motivations de la population, ce qui explique notamment que les profils des résidents (nouveaux arrivants et « déjà là ») sont diversifiés à toutes les étapes du processus (Collet, chap. III). Les politiques publiques et ces acteurs qui influencent les transformations urbaines au coeur de la gentrification sont examinés dans les chapitres de la deuxième partie. On observe que les effets d’actions publiques restent difficiles à distinguer de ceux des actions du privé, mais en parallèle, on doute de l’intentionnalité des acteurs publics de chasser les plus pauvres pour rendre les quartiers plus attrayants. La …

Parties annexes