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« Par la solidité de la méthode mise en oeuvre, l’ouvrage de Grison fait honneur à la recherche géographique. » Ainsi se termine la préface de Diry, professeur émérite de l’Université Blaise-Pascal. Tiré d’une thèse de doctorat en géographie, soutenue en 2009 et publiée trois ans plus tard, l’ouvrage présente un panorama très détaillé des très petites communes françaises (ci-après TPC) comptant moins de 50 habitants. En Hexagone, les TPC n’étaient pas moins de 1 652 entre 1962 et 1999, comme s’est acharné à le démontrer l’auteur à la faveur d’un travail de bénédictin. Selon les questionnaires qui lui ont été retournés par 547 maires, il ne manque pas de communes affichant un certain dynamisme au pays des 36 570 municipalités. Oui, les élus défendent bien leur chasse gardée malgré les multiples réformes imposées par le pouvoir central. Pour le montrer, l’auteur, à qui l’on attribue le mérite de renouveler la recherche géographique, a eu recours à 55 figures et 18 tableaux, résultant de l’analyse d’un questionnaire très sommaire où l’on ne compte que 6 questions ouvertes. Ainsi, il m’apparaît qu’un maire, plutôt introverti et peu porté sur les épanchements, aurait pu répondre en moins de 10 minutes.

L’ouvrage soulève de nombreuses questions qui demeurent sans réponses. Toutefois, aux dires du maire de Gargillesse-Dampierre (Indre), président de l’Association des maires ruraux de France, dans l’avant-propos, la question du sous-titre de l’ouvrage mérite une réponse positive : de ses TPC, l’auteur aurait réussi à dégager un modèle original.

Il y serait parvenu en se donnant, comme piste centrale de recherche, l’étude de la capacité des TPC à jouer un rôle véritable dans le concert des acteurs du développement local (p. 199). Pour ce faire, en introduction générale, Jean-Baptiste Grison précise avoir dû composer avec de multiples enjeux auxquels doivent faire face les TPC, notamment la régionalisation originale des espaces ruraux français. Pour aborder ces enjeux, l’ouvrage comprend 12 chapitres à l’intérieur de 3 parties. La première, Les TPC et la géographie : organisations, répartitions, trajectoires, débute par une définition du territoire : « un espace social, identifié comme tel et revendiqué par ses habitants, offrant une base de développement local » (p. 29). Le tout est précédé d’une question: le territoire n’a-t-il pas tendance à « remplacer la commune dans l’intérêt que portent les géographes envers le local ? » (p. 29). S’ensuit l’hypothèse que les municipalités occupent une fonction majeure en captant une certaine forme d’attachement et d’identification de la part de leurs habitants. Ceci étant admis, de nouvelles questions sont soulevées. Une TPC a-t-elle une cohésion territoriale plus forte qu’un hameau de taille équivalente et soumis à une entité plus importante ? (p. 38). Sans obtenir de réponse précise, le lecteur passe au chapitre II où une première figure fournit des éléments de comparaison à l’échelon de l’Union européenne. Ainsi, on voit que la France, avec une population municipale moyenne de 1 733 habitants, se trouve en bonne compagnie avec la Bulgarie (1 441) et la République tchèque (1 646).

Cette première partie se termine par la confirmation d’une tendance depuis les années 2000. En 2006, le nombre de TPC a diminué de 10 % par rapport à 1999. Aux yeux de l’auteur, il s’avère probable que le nombre diminuera encore davantage, sans toutefois cesser de représenter une composante structurelle du territoire français (p. 88).

La deuxième partie, La diversité des TPC, s’ouvre avec le tableau 5 présentant les 11 variables servant à comparer les TPC. Parmi ces variables se trouvent : l’évolution démographique, les revenus moyens, la part des plus de 60 ans et des moins de 30 ans. Le tableau 8 (p. 119) fournit la typologie des TPC en huit composantes allant de stable, en expansion, en difficulté, etc. Nous les retrouvons dans les chapitres subséquents à l’intérieur de plusieurs tableaux. La figure 39 (p. 153) offre une juste illustration de l’usage qu’en fait l’auteur avec l’exemple des Cévennes ardéchoises où, au nord du Vivarais cévenol, se trouvent trois TPC. L’analyse factorielle en composantes principales, ayant joué un rôle capital dans la méthodologie à la base de l’étude, place ces trois communes dans des classes différentes, ce qui prouverait l’existence de distinctions à un échelon très localisé. On comprend ainsi la conclusion de cette partie où l’auteur souligne que les évolutions régionales exercent une évolution sur leurs différenciations, alors que le facteur taille aurait, pour sa part, un effet de singularisation indéniable (p. 173). Il revient au lecteur d’y comprendre autant que faire se peut, car s’ensuit une batterie de questions, dont une pourtant au coeur de l’ouvrage : « La TPC serait-elle, en définitive, un ensemble insaisissable ? »

Fort curieusement, la dernière partie, Politiques, communautés locales, perspectives : les TPC en question, débute avec la présentation de la méthodologie. Pourquoi attendre la 178 e page pour ce faire ? Est-ce par suite d’une invitation de son éditeur qu’on trouve (enfin !) une abondance de citations tirées des six questions ouvertes ? Quelques exemples : « L’entretien de notre petit village est possible grâce à la solidarité des habitants qui n’hésitent pas à s’engager bénévolement » (Aisne, p. 192) ; « Une fusion au sein d’une entité plus importante ferait disparaître le bénévolat » (Alpes-Maritimes, p. 213) ; « Malgré la proximité de Dijon, nous souhaitons rester une petite commune rurale » (Côte-d’Or, p. 248). Demeurer petit, oui, mais pas à l’image des films de Jacques Tati (Jour de fête) ou des premiers films de Darry Cowl (Le triporteur) où l’agriculture était dominante avec les poules sur la rue et les enfants qui « vont au lait » gobelet en mains. « On peut dire que la nature a remplacé l’agricole dans l’identité locale », écrit Grison (p. 195).

Et, on en arrive, après un incontournable chapitre sur l’intercommunalité, à l’ultime chapitre intitulé Faut-il supprimer les TPC ? Après 260 pages, s’il est attaché au principe du small is beautiful, le lecteur répond non à la place de l’auteur. Car ce dernier s’engage à nouveau dans son sempiternel questionnement : « les TPC ont-elles réellement un rôle dans le dynamisme des territoires ? » (p. 279) ou encore : La TPC, un modèle de gouvernance locale ?, comme sous-titre d’une section (p. 281). Heureusement pour l’auteur, le témoignage des maires l’incite à faire preuve d’un certain optimisme. Mais qu’il est difficile d’afficher des certitudes, comme l’atteste sa conclusion générale.

En effet, les dernières pages offrent une batterie de questions se terminant par un aveu de scepticisme : héritage sans avenir ou modèle original ? Avec hésitation, Jean-Baptiste Grison parvient à déceler un certain avenir pour les TPC, à défaut d’un avenir certain. Un conseil à ce jeune auteur : contacter un éditeur non universitaire, après avoir réduit son texte de moitié, en visant comme lecteurs les amoureux de la France profonde, tout en retirant les trop nombreux passages où il nage dans l’abstraction [1].