Comptes rendus bibliographiques

ORTAR, Nathalie et ANSTETT, Élisabeth (dir.) (2017) Jeux de pouvoir dans nos poubelles. Économies morales et politiques du recyclage au tournant du XXIe siècle. Paris, Éditions Petra, 226 p. (ISBN 978-2-84743-172-8)[Notice]

  • Geneviève Brisson

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  • Geneviève Brisson
    Département sociétés, territoires et développement, Université du Québec à Rimouski, Rimouski (Canada)

La question du recyclage se pose de manière cruciale, aujourd’hui. Au-delà des aspects techniques, elle convoque le monde du social par ses dimensions économiques, politiques, éthiques. Elle sert aussi de lien : d’une part, entre les construits du sale et de la pureté, révélés par Mary Douglas, d’autre part, dans la dualité construite par la modernité et fortement étudiée en anthropologie contemporaine, la culture et la nature (dualité exprimée sous le vocable d’environnement, en ce XXIe siècle ). Nous pourrions ajouter que la question permet aussi des allers-retours entre le domestique et le public, le privé et le commun, et même le bien commun. Consacrer une collection scientifique à ces réflexions est tout à fait judicieux, et c’est l’avenue qu’ont choisie les Éditions  Pétra. Directrices de la collection Matières à recycler, les anthropologues Nathalie Ortar et Elisabeth Anstett codirigent aussi avec intelligence cet ouvrage collectif faisant suite à un atelier mené en 2015 à l’École des hautes études de sciences sociales (EHESS) autour des travaux de la sociologue australienne Gay Hawkins. C’est d’ailleurs cette chercheuse de la Western Sydney University qui rédige le premier chapitre et donne le ton à l’ouvrage en proposant de considérer les déchets comme un matériau « qui force la pensée », qui force à penser. L’ensemble du livre ne dément pas ce mot d’ordre et s’intéresse aux discours et aux pratiques du recyclage, plus précisément aux moments où le recyclage devient moralisé, voire moralisateur. Quels sont les systèmes de valeurs qui sous-tendent l’appréciation des gestes de recyclage ou l’opprobre face aux pratiques jugées non conformes ? Dix chapitres issus d’approches disciplinaires variées mèneront donc à comprendre les jeux de pouvoir derrière les objets laissés pour compte et ceux récupérés, réparés, conservés, redéfinis. Géographes (Romain Garcier, Jean‑Baptiste Bahers) ; anthropologues (Stavroula Pipyrou, Mariano Perelman, Fanny Pacreau, Linda Gonzalez‑Lafaysse, Sebastian Carenzo) ; sociologues (Gay Hawkins, Denis Blot); historienne de l’art (Deborah Laks) ; et philosophes des sciences (Fanny Verrax ) se penchent sur une étendue de sujets insoupçonnés pour qui ne connaît pas ce champ d’études. Sont ainsi abordées des politiques publiques locales ou nationales telles l’interdiction de récipients en polystyrène à New York ou des opérations de nettoyage en nature. La notion de responsabilité élargie du producteur est examinée dans deux chapitres tandis que plusieurs textes font état de controverses sociales, par exemple autour de normes ou entre recycleurs formels et informels. Certains auteurs montrent à voir des expérimentations technoscientifiques (par exemple, l’usage de bouteilles de plastique pour recycler des eaux usées ). Plusieurs se penchent sur la gestion des déchets, dont l’incontournable déchetterie et les circuits de recyclage. Une place importante est également réservée à l’analyse de réseaux privés comme le transfert des vêtements de seconde main. Les acteurs du déchet sont aussi présentés : ceux se constituant comme corps de métier (éboueurs, rétameurs, chiffonniers et, maintenant, des multinationales ), et ceux du quotidien, les citoyens auxquels on a conféré un rôle et une « écoresponsabilité » pouvant mener à des dictatures et à des paradoxes, comme le fait de privilégier les produits recyclables à ceux d’écoconception. Ces chapitres soulèvent aussi le grand paradoxe entre la valorisation du recyclage domestique et la mise à l’écart social qui se perpétue au sujet des professionnels du déchet. Sans être sous un format unique, l’écriture de chacun des chapitres permet de passer avec fluidité d’un univers à l’autre car, chaque fois, est abordé une activité de recyclage distincte où sont déconstruits les cadres normatifs derrière les pratiques, mettant au jour représentations sociales, motivations, principes et idéologies. Le plus souvent, ces chapitres seront donc ancrés dans de …