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Dans son plus récent ouvrage, le géographe et poète Jean Morisset nous invite à nous mettre en chemin, « en piste » pour rechercher et découvrir un Canada « errant ». Les fils croisés de l’ensemble des sciences sociales, dont particulièrement l’histoire et la géographie, bordent les premiers pas sur cette piste. Épais de 368 pages, le livre s’adresse à l’ensemble des lecteurs, canadiens ou non, francophones ou non, car le périmètre délimité dépasse la restriction géographique du titre : c’est bien de l’Amérique qu’il s’agit et, par une extension logique, Jean Morisset traite aussi des rapports coloniaux et décoloniaux qui ont façonné notre humanité. Au coeur de l’ouvrage, se situent les façons enchevêtrées dont a été vu, représenté et conçu un espace dont l’organisation finale remonte officiellement à 1867, mais dont les prémices sont bien antérieures. Le lecteur français aura également l’occasion de découvrir que l’espace et le temps du Canada sont bien plus complexes et en interaction intense avec d’autres univers voisins qu’il ne le pensait. La lecture du texte est également entraînée par un style lyrique et enthousiaste qui nous fait ressentir ce qu’est instinctivement la « canadianité ». Telle l’ouverture de l’ouvrage, qui affirme qu’il « existe un pays errant aux géographies mouvantes nées d’un fleuve aux racines appalachiennes et précambriennes se mariant et se jouxtant dans son lit ».

De fait, ce que Jean Morisset propose, c’est de retrouver le Canada originel enfoui sous les strates des histoires coloniales officielles : française et anglaise. Cette mise au jour révèle progressivement la fabrication de l’identité première, celle qui s’est effectuée, selon l’auteur, par le métissage avec les Premières Nations. Le personnage canadien n’a « rien d’un blanc complet ». Il est issu du croisement entre les deux mondes qui se sont vraiment rencontrés à partir du XVIe siècle, celui de l’Européen et de l’Autochtone. Dès lors, c’est aussi l’autre part géographique de l’autochtonie, celle de l’Amérique du Sud, qui est incluse dans le récit proposé par Jean Morisset. Il évoque avec bonheur ses séjours et réflexions dans la Caraïbe et au Mexique, citant notamment De Gaulle en Martinique qui s’exclamait à l’adresse de la foule « que vous êtes Français ! » N’y a-t-il pas là une évidente proximité avec un autre de ses discours prononcés à Montréal ? Il conduit le lecteur à revisiter sous cette lumière, celle de l’articulation parfois houleuse entre l’autochtonie et la colonisation, les différents temps et espaces de l’histoire continentale. Il nous amène à nous interroger en particulier sur le projet de Louis Riel, le Métis malheureux des Prairies.

Autre étape, la création du Canada en 1867 à travers l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, donne au pays son nom et ses institutions. Le nom est issu d’un métissage linguistique entre un terme autochtone et son adaptation francisée. Quant au contenu, il est marqué par la prédominance de la langue anglaise. Par ailleurs, Jean Morisset remarque que ce pays ne couvre pas le Canada d’origine, celui pratiqué par les « Canadiens d’origine », les « coureurs des bois » et les Métis qui parcouraient le continent de côte à côte et du nord au sud en se mêlant aux Premières Nations. Cette errance première du Canada donne naissance à une culture créole telle qu’on la trouve aussi au sud, aux Antilles par exemple. Poursuivant le croisement entre l’histoire et la géographie, Jean Morisset établit avec quelque sévérité la genèse politique du mot « Québec », proclamé avec éclat dans les années 1960, mais qui est la simple reprise d’un terme choisi à Londres en 1763 pour désigner la vallée du Saint‑Laurent après la défaite française aux Plaines d’Abraham. C’est désormais le « Canada-fait-Québec » dont l’auteur rappelle les hésitations, mais aussi les certitudes dans les relations avec le reste du pays.

La piste du Canada errant, selon Morisset, comprend donc trois itinéraires successifs chronologiquement et qui aboutissent, malgré tout, à un rétrécissement géographique. La première partie du livre décrit la « grande errance géographique » du Canadien à travers les Amériques, ce qui nous amène, épisode après épisode, à la fabrication d’un territoire géopolitique par addition d’entités diverses, le « Dominion » ou « l’empire du Nord ». Enfin la Baie‑James (et l’histoire de sa convention) nous invite à réfléchir sur la « gestion des vaincus », qui complète l’appropriation territoriale du Dominion of Canada.

Les sources consultées, les cartes et textes reproduits, notamment dans les annexes, les nombreuses références bibliographiques incluses dans les notes de bas de page forment un appareil critique impressionnant qui renforce l’argumentaire développé par Jean Morisset. Lire Sur la piste du Canada errant, c’est découvrir des territoires oubliés, voire occultés et encore plus, c’est mieux comprendre les interactions géographiques entre trois entités, les Premières Nations, les Métis et les Canadiens, et donc empoigner l’identité composite du continent.