Comptes rendus bibliographiques

LENEL, Emmanuelle (dir.) (2018) L’espace des sociologues. Recherches contemporaines en compagnie de Jean Remy, Toulouse, Éditions Érès, 296 p. (ISBN 978-2-74925-812-6)[Notice]

  • Thierry Ramadier

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  • Thierry Ramadier
    Laboratoire SAGE, CNRS-Université de Strasbourg

Dirigé par Emmanuelle Lenel, cet ouvrage repose sur le désir d’un collectif de chercheurs et chercheuses, majoritairement belges, de donner une suite à l’ouvrage L’espace, un objet central de la sociologie de Jean Rémy, en montrant comment, dans leurs propres travaux, ils se sont approprié les concepts et les manières d’analyser de ce sociologue de l’urbain. Un entretien d’Emmanuelle Lenel avec Jean Remy sur son dernier opus ouvre le livre. Puis s’ensuivent deux parties. La première est classiquement centrée sur la sociologie urbaine à partir de quatre études de terrain très variées, dans leurs échelles géographiques comme dans leurs conditions sociospatiales. La seconde partie regroupe cinq études qui utilisent l’espace comme objet permettant d’approcher d’autres domaines de la sociologie (sociologie de la famille, de l’adolescence, de l’immigration, du pouvoir, etc.). Ces deux manières de se saisir de l’espace géographique illustrent la principale proposition de Jean Remy, selon laquelle cet objet constitue une entrée pertinente pour toute analyse sociologique, dans la mesure où il n’y a pas de fait social qui échapperait à l’espace. L’entretien d’ouverture revient largement sur la place des concepts et conceptions de Jean Remy par rapport à ceux développés par Marx, Durkheim, Lefebvre, Bourdieu ou Latour. L’espace est présenté comme une potentialité qui médiatise les articulations entre la matérialité et les pratiques sociales par la mise en forme des relations entre les objets matériels. Ces configurations spatiales sont en retour porteuses de valeurs sociales structurantes pour l’appropriation de l’espace par la pensée. Autrement dit, l’espace géographique est envisagé comme « la mise en forme sociale de la matérialité » (p. 33) et devient, par la même occasion, un objet incontournable pour une analyse sociologique qui s’articule à la géographie (structure matérielle) et à la psychologie (structure des représentations). De la sorte, l’espace ne se limite ni aux dimensions symboliques de la vie sociale, qui l’éloigneraient de la matérialité, ni à des faits matériels, qui l’éloigneraient cette fois des interactions humaines. Cette approche à la fois matérialiste et interactionniste traverse les quatre recherches de la première partie. Que ce soient l’analyse de la diversité des significations attribuées à un quartier (Xavier Leloup et Annick Germain), la critique du spatialisme et du physicalisme des approches architecturales (Christine Schaut), l’investigation des ressources spatiales de la sociabilité (Emmanuelle Lenel) ou, au contraire, les structures spatiales contraignantes pour les femmes (Ghaliya Djelloul), les configurations urbaines sont analysées comme des potentialités qui sont d’une part, de la diversité des significations environnementales, d’autre part, des coexistences entre groupes sociaux sur un même lieu. Néanmoins, les manières d’aborder la diversité des interactions sociales et spatiales sur un même lieu divergent. Ainsi, Leloup et Germain mettent en évidence une « indifférence bienveillante » des coexistences dans l’espace public, qui contraste avec l’inconfort des distances sociales et culturelles que véhicule généralement le sens commun. Djelloul aborde, quant à elle, la question des coexistences dans l’espace géographique en renversant la problématique de Leloup et Germain. En prenant le quartier résidentiel comme un « espace interstitiel » (au sens de Remy) entre le logement et le centre-ville, elle montre que, dans la périphérie d’Alger, les aménagements urbains – et surtout leur lecture – participent à la limitation des déplacements des femmes non mariées dans l’espace public et contribuent à un « ordre moral urbain » qui s’oppose en tout point à « l’indifférence bienveillante ». Autrement dit, à la coprésence comme coexistence s’ajoute la confrontation aux formes urbaines comme source de coexistence entre endogamie et exogamie. Emmanuelle Lenel développe une analyse qui cherche, plus encore, à tenir ensemble la conception urbaine (acteurs des politiques urbaines, urbanistes et architectes) et …

Parties annexes