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Paru dans la collection « Citizen Free Art » chez L’Harmattan, laquelle privilégie des ouvrages portant sur des manifestations artistiques diverses telles que le Street Art, le Land Art ou encore des oeuvres dites in situ, Les mémoires des Géants est le troisième livre de Hee-Kyung Lee sur l’art dans les espaces communs.
Sans grille préalable ni questionnaire préétabli, la sociologue a parcouru les rues du Havre et de Nantes, en France, là où se sont manifestées, entre 1993 et 2006 (avant un retour en 2017), les marionnettes géantes de la compagnie de théâtre Royal de Luxe, dirigée par Jean-Luc Courcoult.
Lee divise son essai en cinq parties, précédées d’une ouverture et d’un prologue et suivies d’une postface, d’une fermeture et d’un épilogue. Dans la première partie, présentée sous la forme d’un témoignage elliptique, l’auteure raconte ses propres déambulations dans la ville, quelques jours avant qu’elle ne rencontre ses habitants et qu’elle n’entame ce qu’on pourrait appeler une enquête de terrain. La deuxième partie consiste en une série de transcriptions des échanges que la sociologue a eus avec des gens ayant assisté aux « représentations » de Royal de Luxe dans leur ville. Quant à la troisième partie, elle présente un étonnant phénomène : certains spectateurs s’adressent aux Géants de la saga de Royal de Luxe dans des missives postées aux ateliers de la troupe. L’avant-dernière partie a pour but d’expliquer ce qui se passe entre les créateurs de Royal de Luxe (« l’émetteur ») et le public (« le récepteur »). Et la dernière propose une typologie de ce que Lee appelle une « mémoire plurielle ». Par exemple, il y est question de « mémoire du corps biologique » ou encore de « mémoire des relations spatiales – temporelles ».
Pour fascinante qu’elle soit de prime abord, la proposition de Lee tombe malheureusement à plat. En effet, Les mémoires des Géants n’offre aucune assise théorique (un parti pris assumé ; l’ouvrage ne comporte d’ailleurs pas de bibliographie) et reste très impressionniste, voire superficiel. La typologie qui aurait dû couronner l’enquête de la sociologue demeure succincte et peu rigoureuse.
Certes, on comprend que le passage des Géants de Royal de Luxe marque les imaginaires. On a également droit à beaucoup de spontanéité et de sincérité, surtout de la part des spectateurs et spectatrices qui ont accepté de se prêter au jeu de l’entrevue. Mais l’ensemble paraît singulièrement inabouti, presque livré en vrac, sans un véritable travail analytique qui aurait permis de mieux comprendre l’attrait qu’exerce la saga des Géants de Royal de Luxe sur le public. C’est peut-être là une caractéristique de la collection dirigée par Lee elle-même que d’inciter le lecteur à tirer ses propres conclusions. Cela ne saurait toutefois expliquer la pauvreté de la langue et l’absence manifeste d’un travail éditorial digne de ce nom.
Royal de Luxe mérite mieux.