Résumés
Résumé
Ce texte examinera les dispositions de la DNUDPA touchant l’appartenance à une communauté ou à un peuple autochtone. Le droit de définir la composition d’un groupe étant une expression du droit à l’autodétermination, nous explorerons de quelles manières se manifestent les différents processus menant à la définition du groupe et à la saisie de l’identité autochtone par le droit au Canada. Il est ainsi conclu que l’apport de la DNUDPA est de soutenir les efforts des peuples et communautés autochtones cherchant à redéfinir leurs citoyennetés par les mécanismes de leur choix.
Mots-clés :
- Droits autochtones,
- auto-identification,
- autodétermination,
- citoyenneté,
- appartenance,
- Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
Corps de l’article
Introduction
Le droit de définir la composition du groupe est vu, de manière unanime, comme une expression du droit à l’autodétermination (article 3 DNUDPA). Ce processus de définition n’est pas simple : il repose sur des vecteurs d’inclusion et d’exclusion des personnes, ne correspond pas toujours à l’identité vécue par les individus ni aux développements qui ont eu cours dans les différentes sciences sociales, par exemple quant aux concepts d’ethnicité ou de culture, ni aux traditions historiques, politiques ou culturelles des groupes, communautés ou nations et de leurs relations, ni des rapports de pouvoirs qui oeuvrent au sein des groupes (Grammond 2008). Il n’en demeure pas moins central dans la DNUDPA dans la mesure où il est au coeur des rapports et des faisceaux de relations entre les individus, mais aussi, bien sûr, entre ces derniers, les collectivités et leur rapport au monde. C’est un droit fondamentalement relationnel.
Les dispositions de la DNUDPA sur les droits touchant à l’identité, à la citoyenneté ou à l’appartenance ont suscité, somme toute, assez peu de débats lors des étapes préliminaires à l’adoption de la DNUDPA par les États membres de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies. Par exemple, la distinction entre les termes « communauté » et « nation », que l’on trouve à l’article 9, a résulté en l’ajout des deux termes dans la version finale de la disposition. Ce débat sémantique portait davantage sur la représentation symbolique des termes. Ainsi, le terme « nation » suscitait l’opposition du fait de son rapprochement avec l’expression « État- Nation », mais obtenait par ailleurs l’adhésion puisqu’il permettait de refléter la véritable nature des groupes autochtones comme sociétés politiques organisées et historiquement souveraines (Imai et Gunn 2018 : 215). Le recours au terme « peuple », plutôt que « communauté » ou « nation », à l’article 33 ne fait pas non plus l’objet d’explications.
L’article 9, au coeur du droit à l’identité, soulève, selon Imai et Gunn (2018 : 219), les questions suivantes : Quelle est l’obligation de l’État de reconnaître un peuple comme étant autochtone? Quelle est l’obligation de l’État de reconnaître un individu comme étant autochtone? Quelle est l’obligation de l’État de reconnaître le droit d’appartenir à une nation? Quelle est la discrimination que doit éviter l’État? À ces questions, la DNUDPA amène à réfléchir sur la portée et les limites des droits des groupes et des individus autochtones de définir leurs propres appartenances. Toujours selon ces auteurs, l’article 33 soulèverait, quant à lui, les questions suivantes : Quelles sont les différences entre les droits des peuples de déterminer leur identité et leurs règles d’appartenance? Quelles sont les limites applicables aux coutumes et traditions? Quels sont les rapports entre la citoyenneté de l’État et les identités et les appartenances des communautés, nations et peuples autochtones? Quels sont les droits des nations eu égard à la mise sur pied d’institutions? Lus de concert avec l’article35, ces articles posent la question de savoir comment les différentes communautés et nations ou divers peuples se gouvernent-ils quant aux relations et aux responsabilités qui les unissent entre eux et avec le monde qui les entoure. L’article36 poserait, enfin, les questions suivantes : quels sont les « contacts, relations ou liens de coopération » qui permettent de mettre en oeuvre les droits prévus à cet article? Quelles sont, plus globalement, les mesures étatiques qui permettent de mettre en oeuvre cette disposition? Ce ne sont là, bien entendu, que quelques-unes des questions que posent ces dispositions.
Le présent texte a pour objectif d’amorcer une réflexion sur l’apport potentiel de la DNUDPA aux enjeux entourant le respect, la protection et la mise en oeuvre du droit des peuples autochtones à leur propre identité. Il n’a pas pour ambition de répondre à toutes ces questions, mais plutôt de toucher à certaines d’entre elles, notamment à la lumière de l’expérience canadienne. Le texte n’a pas non plus pour objectif de vérifier la conformité des règles canadiennes ou des lois des différentes nations autochtones, ni de les comparer aux normes et standards internationaux. Pour amorcer cette réflexion, nous examinerons, tout d’abord, la question des obligations de reconnaissance de l’État quant aux groupes qui se déclarent autochtones. Nous présenterons ensuite quelques phénomènes contemporains ayant cours au Canada quant au droit des Premiers peuples à leur identité et nous proposerons quelques réflexions sur les impacts potentiels de la DNUDPA sur les processus de réforme des citoyennetés autochtones au Canada.
L’autochtonéité et la reconnaissance étatique
Le mouvement contemporain de l’autochtonéité s’est développé et consolidé, à l’échelle internationale, à partir des années 1970, notamment dans la foulée de l’enquête du rapporteur spécial José Martínez Cobo, dont les conclusions furent publiées entre 1981 et 1984 dans un rapport intitulé « Étude du problème de la discrimination à l’encontre des populations autochtones ». Au-delà du mouvement politique, la définition de l’autochtonéité pose la question du statut des groupes et de leur reconnaissance par l’État.
À cet égard, la DNUDPA pose l’auto-identification, par une communauté ou une nation autochtone, au coeur du processus. Cela dit, dans l’état actuel des discussions qui ont cours aux échelles régionale et internationale, ce sentiment ne constitue pas, à lui seul, le critère applicable entrainant une obligation de reconnaissance de l’autochtonéité d’un groupe. Dans une version préliminaire de la DNUDPA, l’article 8 reconnaissait expressément le principe de l’autodéfinition. Cette disposition a été retirée de la version finale à la demande des États (Imai et Gunn 2018 : 216).
Aussi, bien que le droit international répugne à définir des critères exhaustifs de l’autochtonéité, ce sont les critères suivants, dont l’application dépend largement du contexte, qui sont généralement retenus à l’échelle internationale et qui fondent les obligations des États : auto-identification, continuité historique avec une présence précoloniale, lien important au territoire, systèmes politiques, économiques et sociaux, culturels, linguistiques et spirituels distincts des systèmes dominants; groupes non dominants de la société, groupes étant résolus à maintenir et à reproduire leurs milieux environnementaux ancestraux en tant que sociétés distinctives. Ces critères sont largement inspirés des travaux initiaux du rapporteur Cobo. On trouve d’ailleurs certains d’entre eux expressément mentionnés à l’article 1 de la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux (Convention 169) de l’Organisation internationale du Travail :
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La présente convention s'applique:
aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale;
aux peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'État, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles.
Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente convention.
L'emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s'attacher à ce terme en vertu du droit international.
Non exhaustifs, ces critères ont été ajustés, au fil du temps, à l’échelle des institutions régionales ou internationales pour tenir compte des situations particulières ayant lieu en Asie et en Afrique où le critère de l’occupation précoloniale ne faisait pas sens. En Amérique latine, la reconnaissance de l’autochtonéité de peuples afrodescendants reflète un rajustement similaire[1]. Au Canada, c’est l’interprétation, donnée par la plus haute juridiction, du terme « Métis », employé à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui met en lumière un tel rajustement (R. c. Powley). Il faut souligner que les critères retenus par la Cour suprême du Canada ne font que partiellement écho à ceux développés à l’échelle internationale et qu’une précision de ces critères, s’ils étaient mieux alignés sur l’ordre international, pourrait éclairer la question métisse au Canada. Au Québec, les groupes qui déclarent une identité métisse ne font pas l’objet de reconnaissance par les tribunaux. Ils ne font pas non plus l’objet de reconnaissance par l’État ou par les Premières Nations et Inuit.
Au Canada, la reconnaissance des groupes autochtones par l’État repose principalement sur les législations et politiques coloniales ainsi que sur la jurisprudence constitutionnelle. Ainsi, l’autochtonéité des groupes ayant été signataires de traités historiques ou d’autres formes d’accords avec la Couronne (ex. : accords de règlement des revendications territoriales globales) ou ayant été décrits comme des « Indiens » par les colonisateurs au moment du pacte fédératif est reconnue[2]. C’est le cas, par exemple, des différents groupes inuit. Les groupes ayant historiquement été assujettis au cadre de la LoisurlesIndiens se voient aussi, de manière contemporaine, reconnaître comme des groupes autochtones. Pour tous ces groupes, l’État pourrait aujourd’hui difficilement nier leur autochtonéité sans contrevenir aux standards posés par la DNUDPA. Parallèlement, l’État ne peut – au terme de l’article 33 – retirer ou refuser d’attribuer la nationalité à un individu vivant sur son territoire pour le motif de son appartenance à un groupe autochtone, par exemple, transfrontalier ou situé hors de la frontière internationale. Au contraire, l’État a même, en vertu de l’article 36, l’obligation de prendre des mesures effectives pour permettre aux groupes transfrontaliers de maintenir et de développer leurs cultures. Or, les différences d’approches adoptées par les États quant à la reconnaissance des groupes autochtones et quant aux différents critères identitaires qu’ils retiennent peuvent constituer des obstacles au maintien et au développement des cultures des groupes transfrontaliers (Imai et Gunn 2018 : 238-244). Ajoutons ici que ce droit n’est pas, en soi, novateur, puisqu’on en trouve un écho à l’article 32 de la Convention 169.
Enfin, soulignons qu’aux yeux des instances onusiennes, la reconnaissance est un élément déterminant de la protection adéquate des droits fondamentaux des Premiers peuples. Ainsi :
Le fait que certains États manquent de reconnaître les peuples autochtones aboutit à l’inadéquation de la protection juridique apportée à ces peuples et à leurs terres et est, à la fois, une cause et une conséquence des déplacements. Même dans les pays qui donnent d’autres noms aux peuples autochtones, comme « peuples des collines » en Thaïlande, « tribus » ou « minorités ethniques » en Inde et au Bangladesh ou « petits peuples » en Fédération de Russie, la non-reconnaissance des peuples autochtones restreint voire compromet leurs droits, ce qui favorise les migrations.
Mécanisme d’expert sur les droits des peuples autochtones 2019 : 7
En clair, la reconnaissance de l’autochtonéité des groupes est une condition sinequanon de leur capacité de jouir de leurs droits fondamentaux. Cette absence de reconnaissance pose dès lors des enjeux majeurs pour ces groupes, comme c’est le cas dans nombre de pays africains où les États sont souvent réfractaires à toute forme de reconnaissance de l’autochtonéité (Kaba 2022 : 293-300). Les enjeux entourant l’absence de reconnaissance étatique se posent aussi, à divers degrés, pour des groupes au Canada (ex. : Inuit de la Basse- Côte-Nord) et ailleurs dans le monde (ex. : Native Hawaiian).
Le droit de l’individu d’appartenir à une communauté ou une nation et le droit des peuples de définir leurs identités et appartenances : retour sur l’expérience canadienne
Au Canada comme ailleurs, les politiques et pratiques coloniales ont eu pour conséquence de déconstruire les identités autochtones. Du point de vue collectif, les régimes législatifs mis en place au Canada dès le dix- neuvième siècle ont eu pour objectif de remplacer les systèmes d’appartenance traditionnelle intimement liés aux systèmes de gouvernance et de responsabilité. En plus de mettre à mal les systèmes d’autorité, ces régimes législatifs et les critères d’appartenance qu’ils ont imposés avaient pour but affiché de réduire le nombre d’individus membres des communautés, contrairement aux standards aujourd’hui reconnus par l’article 9. Des individus ont ainsi perdu leur appartenance à leur communauté d’origine par suite d’événements et/ou de pratiques coloniales fort agressives (déplacements ou adoptions forcés, systèmes des pensionnats, migrations vers les centres urbains, etc.) alors que d’autres individus ont carrément été exclus, en application des politiques législatives, de leur communauté d’origine. Au Canada, les cas de perte identitaire et culturelle vécus par les femmes autochtones mariées à des « non-Indiens », de leurs enfants et de leurs descendants sont connus et documentés (Lovelace v. Canada, Human Rights Committee, Communication No 24/1977 (1) & (2) (29 décembre 1977) UN Doc CCPR/C/13/D/24/1977 (1981); McIvor v. Canada (Registrar, Indian and Northern Affairs) [2009] 269 B.C.A.C. 129; Descheneaux c. Canada (Procureur général), 2015 QCCS 3555; Comité sénatorial permanent des peuples autochtones 2022; Palmater 2011; Napoleon 2001). Il en va de même pour les processus de retrait des enfants autochtones de leurs familles et de leurs communautés en application des politiques provinciales en matière de protection de la jeunesse (Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2022 QCCA 185, notamment aux paragraphes 512-513). Enfin, certains individus ont perdu leur rattachement à leur communauté ou groupe national à la suite de l’application de codes ou de règles internes d’appartenance (« désinscription »). À ces phénomènes, s’en ajoutent d’autres, à la fois concurrents et complémentaires, et qui touchent autant le droit des individus d’appartenir à un groupe autochtone que le droit des communautés ou des nations de définir leurs appartenances, conformément à leurs coutumes, traditions, institutions et procédures. Nous présentons trois de ces phénomènes.
Le premier phénomène consiste, pour des individus, parfois regroupés en associations, à déclarer une identité autochtone de manière illégitime, en vue de se prévaloir de certains avantages, intérêts ou droits reconnus aux Autochtones en application de politiques visant à assurer l’égalité réelle des chances (emplois réservés, accès à des services culturels réservés, exercices de droits ancestraux ou issus de traités, etc.) ou de bénéficier des retombées de programmes gouvernementaux (ou autres). Ce phénomène soulève un ensemble d’enjeux sociaux complexes. Certains de ces enjeux concernent la reconnaissance des identités métisses au Canada. Il amène, entre autres, les institutions et organisations, étatiques ou des Premières Nations par exemple, à resserrer l’encadrement et dès lors les exigences juridiques liées à la preuve identitaire des individus. Dans ce contexte, la reprise de contrôle de la question identitaire et de leurs règles d’appartenance ou de citoyenneté par les groupes autochtones constitue aussi une mesure de protection contre les formes d’usurpation économique et d’appropriation culturelle.
Le deuxième phénomène concerne la multiplicité des catégories identitaires découlant des traités et accords, de la législation et de la constitution canadienne ainsi que de leur interprétation jurisprudentielle, ou encore des codes de citoyenneté, ce qui complexifie la capacité des peuples, des nations et/ou des communautés à se réapproprier leurs règles de citoyenneté, conformément à leurs coutumes, traditions, institutions et procédures. À titre d’exemple, on doit relever les interprétations distinctes qui découlent des paragraphes 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 ou encore de la Loi sur les Indiens, les distinctions entre bénéficiaires de droits issus d’accords de règlement des revendications territoriales globales (ARRTG) et les citoyens aptes à voter dans le cadre des institutions politiques mises en place à la suite de la signature de ces mêmes accords (Motard 2013). Au-delà de la multiplicité de ces catégories qui ajoute aux défis des groupes autochtones à dépasser le cadre colonial, il semble difficile pour l’État canadien – au vu des récentes réformes de la LoisurlesIndiens ou des récents ARRTG et des limites qui y sont posées – de desserrer son emprise sur les identités autochtones (Comité sénatorial permanent des peuples autochtones 2022). Cette volonté manifeste de l’État de maintenir une certaine mainmise sur les identités autochtones s’explique notamment par les ressources (par exemple, budgétaires) qui sont ici en jeu (Grammond 2008 : 299).
Le dernier phénomène s’appuie justement sur les efforts des communautés, nations et/ou peuples eu égard à la réappropriation de leurs propres citoyennetés, de manière décolonisée, tout en assurant la légitimité et l’effectivité de ces politiques identitaires. Dans ce dernier cas, les enjeux démographiques, les défis liés à la non-reproduction de la discrimination résiduaire découlant du système colonial, la rareté des ressources et les initiatives des organisations régionales qui assurent notamment des services (ex. : réseaux des centres d’amitié, Commission de développement économique Premières Nations Québec-Labrador) peuvent alimenter les réflexions des membres et des groupes autochtones qui s’investissent dans la réforme de leurs citoyennetés[3].
Pour ces trois situations, la DNUDPA doit être comprise comme un outil supplémentaire établissant de grands principes et des normes minimales guidant les États ainsi que les groupes et les individus autochtones sur la question des identités, des réformes de leurs citoyennetés et de leur reconnaissance par les États.
Le cas particulier de la réforme des régimes de citoyenneté par les nations et communautés autochtones : quel est l’apport de la DNUDPA au droit des peuples de définir leur appartenance?
La DNUDPA pose deux principes complémentaires pouvant éclairer les processus de réforme des citoyennetés autochtones par les peuples autochtones. D’une part, ces derniers ont le droit fondamental de définir leurs identités selon leurs propres traditions, coutumes, institutions et procédures. Cela comprend notamment le droit de déterminer la composition de ces institutions. Cela signifie aussi que, dans l’exercice de leurs droits, les groupes autochtones ont la capacité de porter atteinte, par loi, aux droits et libertés des uns en vue de respecter les droits d’autrui et dans la mesure où cela respecte les exigences propres aux sociétés démocratiques (al. 46 (2)). D’autre part, ils ont aussi, en tant que sociétés politiques autonomes et autodéterminées, le droit de définir les responsabilités rattachées à l’exercice de leurs citoyennetés (article 33). Il s’agit, sans aucun doute, d’une des facettes du droit à l’autonomie prévu à l’article 4 de la DNUDPA. Les droits de déterminer l’appartenance au groupe et les responsabilités qui sont rattachées à cette appartenance sont cependant limités par le principe de non-discrimination duquel les groupes autochtones ne peuvent, suivant les normes internationales, déroger. Ainsi, l’article 44 rappelle que « [t]ous les droits et libertés reconnus dans la présente Déclaration sont garantis de la même façon à tous les autochtones, hommes et femmes ». L’article 46 affirme, quant à lui, le principe général suivant lequel : « les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous sont respectés ».
Si, au Canada, plusieurs moyens peuvent être utilisés pour redéfinir les citoyennetés et pour aller au-delà du statut conféré par la Loi sur les Indiens, trois mécanismes semblent actuellement obtenir la faveur des différentes nations au Québec et au Canada : (1) l’adoption d’un code d’appartenance adopté conformément aux dispositions de l’article 10 de la Loi sur les Indiens (APN 2020; Bélanger 2021); (2) la réforme de la citoyenneté menée dans les suites de la conclusion d’un ARRTG[4] et (3) l’adoption d’un code d’appartenance ou de citoyenneté exoétatique et autodéterminé[5]. Ces mécanismes n’épuisent évidemment pas la richesse des relations qu’entretiennent les groupes, les individus et le monde matériel et spirituel qui les entourent. Dans tous ces cas de figure, les droits et libertés des individus (article 46) – et en particulier l’égalité entre les genres (article 44) – doivent, selon les termes de la DNUDPA, être respectés et doivent orienter le choix des règles d’appartenance ou de citoyenneté de même que la nature des institutions et des procédures. Cela peut, par exemple, avoir des conséquences sur les choix des critères d’appartenance ou de citoyenneté (ex. : auto- identification de l’individu, réseau de parenté et parentalité, participation au réseau d’entraide, de réciprocité et de solidarité, participation à la culture commune, partage d’une langue commune, lieu de vie, sens du territoire) (Grammond 2008 : 294-298), sur les responsabilités que ces identités entrainent, mais aussi sur les enjeux qui entourent les identités multiples et/ou changeantes et qui peuvent nécessiter de mettre en place des règles sur le cumul ou l’option entre des citoyennetés distinctes. À cet égard, soulignons que la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2016 par l’Organisation des États américains, prévoit explicitement que :
[l]es personnes et communautés autochtones ont le droit d’appartenir à un ou plusieurs peuples autochtones, conformément à l’identité, aux traditions, aux coutumes et aux systèmes d’appartenance de chaque peuple. Aucune discrimination quelle qu’elle soit ne peut découler de l’exercice de ce droit.
Les processus d’attribution de la citoyenneté et de révision ainsi que les droits, les responsabilités et les obligations qui sont rattachés à cette citoyenneté devront, dès lors, tenir compte de ces droits et libertés et du sens qui leur est donné par le groupe autochtone concerné dans le contexte qui lui est propre.
Conclusion
En somme, la DNUDPA soutient les efforts des peuples autochtones qui cherchent à redéfinir leurs citoyennetés par les mécanismes, institutions et procédures de leur choix tout en rappelant que ces réformes doivent respecter les droits et libertés des individus, incluant le droit à l’égalité entre les genres. Cet exercice entraine, pour l’État et pour ses entités fédérale et fédérées, l’obligation de soutenir les peuples et les communautés dans ces processus de réformes et de reconnaître les effets de ces citoyennetés ou de ces modalités d’appartenance, conformément aux principes de justice, de bonne foi et de bonne gouvernance que rappelle la DNUDPA en vue de favoriser leur effectivité.
Parties annexes
Notes biographiques
Geneviève Motard, (LL.B, LL.M., LL.D.) est professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval et, depuis 2020, directrice du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA). Ses travaux s’intéressent aux rapports entre l’État québécois et les peuples autochtones, et notamment aux interactions entre leurs ordres et traditions juridiques. Elle s’intéresse particulièrement au respect des droits politiques et territoriaux des peuples autochtones par les États, et aux diverses expressions du constitutionnalisme autochtone. Elle a récemment traduit et mis à jour, en collaboration avec Geneviève Nootens et Dominique Leydet, La Constitution autochtone du Canada, de John Borrows (P.U.Q., 2020). Elle vient de publier, avec Geneviève Nootens, l’ouvrage Souverainetés et autodéterminations autochtones : Tiyaoriot’en (P.U.L., 2022). Elle est membre du Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP).
AlexanePicard, LL.B., est étudiante à la maîtrise à la Faculté de droit de l’Université Laval.
Notes
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[1]
Saramakapeople v. Suriname, Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs, Judgement, Inter-AM. Ct. H.R. (ser. C) No. 172 (28 novembre 2007)
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[2]
Re:Eskimos Reference as to whether “Indians” includes in s. 91(24) of the B.N.A Act includes Eskimo in habitants of the Province of Quebec, [1939] SCR 104
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[3]
Voir le travail récent de la CDEPNQL concernant l’attribution du logo de l’Ours comme mesure de protection, notamment contre l’appropriation culturelle et l’usurpation économique : https://id1n.org
-
[4]
Voir la situation découlant de la détermination des listes de bénéficiaires de la ConventiondelaBaie-Jamesetdu Nord québécois et de la ConventionduNord-Estquébécois.
-
[5]
Voir la situation à Kanhawake depuis l’adoption du registre des Mohawks de Kahnawake en 1981 (remplacé depuis notamment par la Loi Mohawk de Kanhawake [11 décembre 1984]) et où coexistent deux listes d’appartenance concurrentes : celle du gouvernement fédéral, déterminée en vertu de la LoisurlesIndiens et celle de Kahnawake, adoptée en vertu de sa souveraineté inhérente et qui ne répond pas aux critères et aux processus de la Loi sur les Indiens prévus par l’article 10. À ce sujet, voir : Jacobs c.Mohawk CouncilofKahnawake, [1998] 3 CNLR 68 dans laquelle le Tribunal juge discriminatoire la loi mohawk du fait qu’elle se base sur le critère de la pureté du sang et exclut ainsi — par exemple — les enfants non-Indiens adoptés par des Mohawks. L’autorité du Conseil en matière d’appartenance n’est ici pas contestée et le Tribunal reconnaît tacitement sa validité dans le cadre constitutionnel canadien, indépendamment de son rattachement à la LoisurlesIndiens. Dans cette affaire, le Tribunal souligne que les autorités fédérales avaient entamé un processus de reconnaissance par le biais de négociations.
Bibliographie
- ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS, Guidedescodesd’appartenance, mars 2020, en ligne : http://www.afn.ca/wp-content/uploads/2020/11/20-03-31-Draft-Membership-Guide-final_FR.pdf
- COMITÉ SÉNATORIAL PERMANANT DES PEUPLES AUTOCHTONES, C’estassez!Finissons-enavec ladiscriminationquant à l’inscriptionauregistredesIndiens, Rapport provisoire, Ottawa, 27 juin 2022.
- DÉCLARATION AMÉRICAINE SUR LES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES, Organisation des États américains (OÉA), Résolution adoptée à la troisième séance plénière, le 15 juin 2016, AG/RES.2888 (XLVI-O/16).
- BÉLANGER, Édith, mars 2021, Les paramètres de l’identité, de l’appartenance et de la citoyenneté des Premières Nations au Canada, Observatoire des administrations publiques autochtones, École nationale d’administration publique, en ligne : https://obsapa.org/wp-content/uploads/OAPA_Rapport_2021-02.pdf (21-22-2021).
- Descheneaux c. Canada(Procureurgénéral), 2015, QCCS 3555
- GRAMMOND, Sébastien, 2008, « L’identité autochtone saisie par le droit », dans Pierre Noreau et Louise Rolland (Dirs), Mélanges Andrée Lajoie, Montréal : Éditions Thémis, pp. 285-332.
- IMAI, Shin et Kathryn Gunn, 2018, « Chapter 8: Indigenous Belonging: Membership and Identity in the Undrip: Articles 9, 33, 35, and 36 », dans Jessie Hohnmann et Marc Weller (Dirs), TheUNDeclarationonthe Rights of Indigenous Peoples : A Commentary, UK : Oxford University Press, pp. 213
- KABA, Fatoumata, 2022, Ledroitminieretledroitaudéveloppementdescommunautésautochtones : l’exemple de la Guinée, Paris, Éditions L’Harmattan.
- Lovelace v. Canada, Human Rights Committee, Communication No 24/1977 (1) & (2) (29 décembre 1977) UN Doc CCPR/C/13/D/24/1977 (1981)
- McIvor v. Canada(Registrar,IndianandNorthernAffairs) [2009] 269 B.C.A.C. 129
- MÉCANISME D’EXPERTS SUR LES DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES, Conseil des droits de l’homme, « Étude et conseils sur les droits des peuples autochtones dans le contexte des migrations, des déplacements et du contrôle des frontières », A/HRC/EMRIP/2019/2/Rev.1, 18 septembre 2018.
- MOTARD, Geneviève, 2013, « Identité et gouvernance autochtone dans les ententes d’autonomie et de revendications territoriales globales au Canada », Revue générale de droit, 43(2) : 501-530
- NAPOLEON, Val, 2001, « Extinction by Number : Colonialism Made Easy », Canadian journal of law and society, 16(1) : 113-145
- PALMATER, Pamela, 2011, Beyondblood:rethinkingindigenousidentity, Saskatoon, Purich Publishing Ltd. R. c. Powley [2003] CSC 43
- Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 2022 QCCA 185
- Referenceastowhether“Indians”includesEskimoinhabitantsoftheProvinceofQuebec, 91(24) of the B.N.A Act [1939] SCR 104
- Saramaka people v. Suriname, Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs, Judgement, Inter-AM. Ct. H.R. (ser. C) No. 172 (28 novembre 2007)