Compte renduBook Review

Danielle Aubry, Du roman-feuilleton à la série télévisuelle. Pour une rhétorique du genre et de la sérialité, Berne, Peter Lang, 2006, 244 p.[Notice]

  • Nicolas Dulac

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  • Nicolas Dulac
    Université de Montréal et Université Paris 3

Qu’ont en commun David Copperfield, La cousine Bette, La famille Plouffe et Twin Peaks ? Ces oeuvres, qui diffèrent tant par leur propos, leur origine que le média qui les accueille, partagent néanmoins un trait essentiel : elles ont toutes fait l’objet d’une sérialisation. En d’autres mots, il s’agit de fictions sérialisées, parues périodiquement, à intervalles plus ou moins longs, sur une période plus ou moins étendue. Bien qu’un tel type de « découpage » narratif soit aujourd’hui indissociable de la programmation télévisuelle, son origine remonte à une époque beaucoup plus reculée et prend racine au sein d’une pratique proprement littéraire : le roman-feuilleton. Ainsi, malgré leurs profondes différences et le siècle qui sépare leur avènement respectif, le feuilleton littéraire et le feuilleton télévisé gravitent autour d’un même principe structurant, une même « rhétorique sérielle », et ne sauraient, par conséquent, être appréhendés sans que l’on tienne compte de leur diffusion fragmentaire, par « tranches » distinctes, caractéristique incontournable afin de saisir les modalités narratives qui sous-tendent ces deux types de production. Certes, la sérialité est intimement liée aux préoccupations économiques qui s’emparent de l’industrie culturelle de masse dans la première moitié du xixe siècle, mais il ne faut pas réduire ce procédé, comme plusieurs l’ont fait, à une simple stratégie mercantile visant à asservir le consommateur avide. Non seulement la sérialité a-t-elle un impact décisif sur chacune des étapes allant de la création à la consommation du récit, mais elle est également à l’origine d’une esthétique singulière, qui ignore les préceptes sur lesquels reposent l’institution des belles-lettres et l’idéal romantique. C’est sur cette trame de fond que s’amorce la réflexion de Danielle Aubry dans son ouvrage Du roman-feuilleton à la série télévisuelle. Se situant au croisement des études paralittéraires, des études télévisuelles et de la théorie du genre, cet essai a pour principal objet d’étude la fiction sérielle ou, plus précisément, la sérialité. L’une des constantes les plus tenaces de l’ère médiatique moderne, la sérialité gouverne en effet une bonne part de la production culturelle populaire et se manifeste dans bon nombre de médias. Deux manifestations concrètes de la fiction sérielle sont abordées dans l’analyse d’Aubry, qui propose, plus précisément, « une comparaison approfondie des multiples convergences narratives unissant les modalités d’écriture du feuilleton littéraire et des séries télévisées » (p. 3). Mettant à profit un outillage théorique particulièrement efficace et une foule d’exemples soigneusement sélectionnés, cette comparaison s’échelonne sur neuf chapitres relativement autonomes, qui éclairent diverses facettes fondamentales de la fiction sérielle. D’emblée, on pourrait objecter que la comparaison sur laquelle s’appuie l’ensemble de l’ouvrage n’a rien de bien original. En effet, le rapprochement entre feuilleton littéraire et feuilleton télévisé va en quelque sorte de soi, surtout à l’heure de l’intermédialité et du recyclage culturel, expressions à la mode s’il en est. D’ailleurs, la similitude de leur procédé de diffusion et la vocation populaire qu’ils assument tous deux ont vite suscité des comparaisons entre ces formes de récit, si bien que, dès 1963, le critique et historien Jacques Siclier publiait un article intitulé : « La télévision va-t-elle ressusciter le roman-feuilleton ? » (cité dans Benassi 2000, p. 190). Si de nombreux parallèles ont déjà été tracés entre les différents types de fictions sérielles (du roman populaire jusqu’au téléroman, en passant par le serial des années 1910, la bande dessinée et le soap radiophonique), Aubry ne s’engage pas pour autant dans le sillon creusé par ses prédécesseurs. L’originalité et la pertinence de son propos résident avant tout dans la perspective qu’elle adopte par rapport à son objet d’étude, perspective qui n’est plus …

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