Compte rendu

Guillaume Soulez, Quand le film nous parle. Rhétorique, cinéma, télévision, Paris, Presses universitaires de France (coll. « Lignes d’art »), 2011, 251 p.[Notice]

  • Laurent Jullier

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  • Laurent Jullier
    Université Paris 3

L’ouvrage de Guillaume Soulez a pour objet le lien qui nous relie aux récits audiovisuels que nous regardons quotidiennement, ce lien fragile et toujours renégocié, fait de compréhension, d’interprétation et d’affect. Son titre joue sur deux sens du verbe « parler » : il arrive qu’un film nous parle au sens propre par le biais de certains procédés comme l’aparté ou la voix off, et il arrive aussi qu’il nous parle au sens figuré parce qu’il remue des questions qui nous tiennent particulièrement à coeur. Dans les deux cas, il nous revient de prendre position au regard de ce discours, et c’est cette prise de position qui fait l’objet du livre, dans une perspective pragmatique puisque l’élaboration de notre réaction face aux stratégies de production de sens déployées par le film est considérée comme dépendante du contexte de visionnement. Cette élaboration personnelle, sinon intime, est appelée ici délibération. Ce qui donne lieu à une délibération, donc, c’est l’efficacité et l’actualité du film, et plus précisément la façon qu’a sa forme de décrire des enjeux sociopolitiques qui nous touchent ou simplement nous concernent. L’originalité « ni… ni » du propos du livre, dès lors, se fait patente : ni une approche immanentiste, qui décontextualise le film pour n’en extraire qu’une suite de figures, ni une approche « contenuiste », qui réduit la négociation aux seuls thèmes abordés ou, au mieux, à l’utilité du film. Par ailleurs, parler de « film » ou de « cinéma » à propos de ce livre est un abus de langage, car son objet est plus vaste : on y passe de Godard au journal télévisé du soir, et toutes sortes d’objets audiovisuels y sont convoqués. Pour mener à bien cette approche de symétrisation — car il s’agit bien de poser en face de la médiation (bien connue) entre le film et le monde, la médiation (moins étudiée) entre les figures du film et ce que peut en faire le spectateur —, l’auteur utilise les ressources de la rhétorique. Les films, en effet, ont « quelque chose de persuasif » (p. 20), par lequel ils prennent position dans l’espace public, non pas à propos de ce qu’est réellement le monde, mais à propos de ce que « la majorité des gens croient être le réel » (Todorov, cité p. 19). Pour ce faire, le cinéma joue sur les trois registres aristotéliciens : le logos (les arguments soutenant la cause défendue), l’ethos (l’attitude morale des signataires du film) et le pathos (ce qui est susceptible d’être ressenti, avec une certaine affectivité, par les spectateurs). Non seulement ce point de départ, défini par Soulez au début de son ouvrage, permet de passer outre au sempiternel combat des deux hypergenres antagonistes fiction et documentaire, mais il permet aussi d’affiner la dichotomie lecture fictionnalisante/ lecture documentarisante mise en place par Roger Odin (2000). Un nouveau duo oppose désormais la lecture fictionnalisante aboutie, qui nous fait oublier les conditions de la représentation et nous détache du contexte sociopolitique présent, à la lecture rhétorique sans mimésis poétique, qui surgit par exemple lorsque l’auteur d’un reportage télévisé nous parle directement, et que s’envole du même coup la dimension mimétique-représentationnelle. Cette dichotomie permet d’introduire, à la place de la notion trop rigide de contrat de communication, l’idée de « régime de crédibilité non contractuel », plus conforme au fait que « l’auditoire […] reste […] en éveil quant à la relation discursive elle-même » (p. 81). Les occasions ne manquent d’ailleurs pas, et Soulez en étudie quelques-unes, de changer de régime en cours de route, notamment quand se présente une brèche …

Parties annexes