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Livio Belloï, Film Ist. La pensée visuelle selon Gustav Deutsch, Lausanne, L’Âge d’Homme, coll. « Histoire et esthétique du cinéma », 2013, 291 p.[Notice]

  • Jan Baetens

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  • Jan Baetens
    Katholieke Universiteit Leuven

Professeur d’études cinématographiques à l’Université de Liège et spécialiste du cinéma d’avant-garde, Livio Belloï aborde ici une oeuvre singulière, Film Ist., de Gustav Deutsch (né à Vienne en 1952 et surtout connu pour ses travaux dans le domaine du found footage). Son livre est à la fois une microscopie (d’une partie) de cette oeuvre et une réflexion plus générale sur quelques aspects fondamentaux de la théorie et de la méthodologie du cinéma, et de la pensée visuelle dans son ensemble. Afin de bien faire ressortir l’originalité de l’approche de Livio Belloï lisant le film de Deutsch et réfléchissant sur le cinéma et la théorie de l’image (visual culture), il convient d’abord de présenter plus en détail la vision du cinéma dont part l’auteur dans son analyse de Film Ist. et la manière dont il situe l’oeuvre de Deutsch dans la tradition du cinéma expérimental. Qu’un film « pense » est une idée aujourd’hui largement partagée. De par l’organisation de son propre matériau, une oeuvre cinématographique porte la trace d’une intervention réfléchie dans le monde, qui comprend aussi le monde des images, fixes ou mobiles. Corollairement, un film offre au spectateur la possibilité de développer une réflexion, d’abord sur l’oeuvre en question, puis sur le cinéma en tant que médium et pratique culturelle, enfin sur l’image et la pensée visuelle en général. Le tournant cognitif dans les recherches sur l’image et le succès des livres de Gilles Deleuze sur le sujet ont beaucoup fait au demeurant pour rendre une telle lecture presque « naturelle ». Qu’un film expérimental pense « davantage » que d’autres films, plus soucieux par exemple d’efficacité narrative, de bons dialogues ou encore de l’exploitation de tel ou tel code générique, paraît tout autant une évidence, du moins dans la tradition des avant-gardes, laquelle a souvent privilégié le retour du cinéma sur lui-même. Or, sur les plans herméneutique et didactique (lesquels ne sont pas sans rapport), il n’est pas rare que le cinéma expérimental entrave la saisie de ses propres mécanismes, empêchant, soit par défaut, soit par excès, de prendre la vraie mesure de ce qui se passe à l’écran. Dans le premier cas, celui d’une insuffisance par défaut, le film ne montre pas assez. C’est le danger d’un certain minimalisme : à force de braquer l’attention sur un objet réduit à un petit nombre d’aspects, il décourage l’attention soutenue du spectateur qui a besoin, non pas de distractions, mais de suffisamment de diversité et d’alternatives pour s’attacher à la lecture approfondie d’une oeuvre et se lancer dans une tentative d’interprétation. Dans le second cas, celui de l’insuffisance (paradoxale) par excès, le film montre trop : trop d’images, trop d’images sursaturées d’informations, trop d’images défilant à un rythme qui dépasse les capacités d’assimilation du spectateur même averti. C’est le péril du maximalisme : à force de bombarder le spectateur de stimuli visuels, il finit par excéder, dans les deux sens du mot, les capacités d’assimilation du spectateur, pour qui distance et recul sont des conditions sine qua non de l’effort herméneutique. Pour relatifs que soient bien sûr les concepts de minimalisme et de maximalisme — car il est des spectateurs qui sont portés vers la monotonie voire vers l’ennui, comme il en est d’autres que stimule l’accélération débridée de l’input —, leurs effets sont souvent comparables : une diminution du caractère « pensif » du film, dont les possibilités de réflexion ne sont pas utilisées de façon optimale. Dans le corpus très vaste du cinéma expérimental, Film Ist. de Gustav Deutsch est une oeuvre qui semble avoir trouvé le bon équilibre entre les …

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