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Laurent Véray, Les images d’archives face à l’histoire. De la conservation à la création, Paris, SCÉRÉN/CNDP-CRDP, coll. « Patrimoine-Références », 2011, 315 p.[Notice]

  • André Habib

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  • André Habib
    Université de Montréal

Les « archives » ou l’« archive », que le mot se présente au singulier ou au pluriel, captent depuis une vingtaine d’années l’attention de questionnements et de champs disciplinaires toujours plus divers, en études littéraires, en philosophie, en psychanalyse, en sciences de l’information et de la communication, en anthropologie, en histoire de l’art et, bien entendu, au sein des études médiatiques ou cinématographiques (comme en témoignent le présent numéro de la revue Cinémas sur l’« Attrait de l’archive » et celui de la revue Intermédialités sur le thème « Archiver/Archiving » (Méchoulan 2011), pour ne citer que les exemples les plus récents). Il est possible de faire remonter la source de cette fièvre archivistique à l’inflation commémorative et mémorielle des années 1980, contemporaine de l’explosion des réflexions sur le couple « mémoire et histoire » et de l’élargissement exponentiel de la notion de « patrimoine ». Pour positifs et productifs que puissent être, pour l’essentiel, ces phénomènes et ces discours critiques, ils n’en demeurent pas moins symptomatiques d’une anxiété culturelle plus large concernant la relation que nous avons avec le passé — avec la gestion et l’usage de ses traces —, plongés que nous sommes dans un régime historique (et on pourrait ajouter médiatique) dominé par ce que François Hartog (2003) appelle le « présentisme », et qu’est venue exacerber, sur bien des plans, la révolution numérique. La nécessité, de plus en plus reconnue et valorisée, de la conservation et de la bonne transmission des legs du passé est sans cesse compliquée par le fait que nous générons aujourd’hui, toujours davantage et à toutes les échelles, infiniment plus d’informations que nous ne pouvons en préserver (sans parler de les gérer, de les ordonner, de les classer), sur des supports en définitive peu fiables et dont la pérennité n’est nullement garantie. En même temps que, grâce au numérique et à Internet, l’accès aux archives se « démocratise » et se mondialise (en apparence du moins), on assiste à un déracinement sans précédent des archives de leur lieu, de leur contexte et de leur matérialité, pourtant nécessaires à leur bonne compréhension et à la restitution de leur intelligibilité historique : l’artefact bien souvent se réduit à son information, privée de son support et coupée de ses dispositifs techniques, répondant ainsi à un fantasme de transparence et d’immédiateté de l’accès à un « contenu » qui en gomme en revanche les spécificités historiques, la matérialité propre, et en banalise trop souvent la réalité. Bien entendu, cette histoire concerne, depuis longtemps, le cinéma et les images en mouvement, dont on a reconnu très tôt le rôle comme « nouvelle source d’histoire » (des écrits de Matuszewski aux premiers fonds conservant les images d’actualités, dès les années 1915). Aujourd’hui, cent ans plus tard, le sort des images en mouvement — menacées par l’obsolescence technologique des nouveaux supports (et les problèmes de migration qu’elle entraîne), ainsi que par les difficultés inhérentes à la conservation des supports traditionnels (avec la disparition annoncée de la pellicule cinématographique et des laboratoires, les stocks de pellicule nitrate non transférés et les syndromes divers qui touchent les pellicules safety) — est l’objet de préoccupations qui se heurtent à l’indifférence ou à l’aveu d’impuissance des pouvoirs publics, bien qu’elles aient engendré ces dernières années, en Europe et aux États-Unis, une importante littérature savante et des initiatives (conférences, festivals, rencontres) qui permettent d’y voir un peu plus clair (trop peu, trop tard, diront certains). Parallèlement à la fragilisation des mandats des institutions concernées et aux inquiétudes que soulève l’avenir de la mémoire qu’elles conservent, la demande, pour ne pas dire …

Parties annexes